Le cœur dans les nuages avec de Mathieu Simonet chez Julliard
Ce très beau texte mélange poésie, roman d’amour et essai scientifique.
Il débute avec la rencontre entre Mathieu et Benoît. Le lecteur découvre la naissance de cet amour, sa consolidation année après année et les aléas de la vie à deux. Tous les ans, Benoît organise dans le cadre de son travail un festival de musique en plein air ; des mois de travail soumis à un aléa majeur : la météo. Et chaque année Benoît et Mathieu se demandent s’il va pleuvoir à la date tant attendue.
Et Benoît meurt.
Quelque temps plus tard, la dixième édition du festival est annulée pour cause de crise sanitaire. Une question vient alors frapper Mathieu : «Est-ce qu’il aurait plu ? » « Cette question m’a sauté au visage. C’est à cette époque que j’ai commencé à m’intéresser à l’effet papillon. Est-ce que le souffle de Benoît (…) pourrait avoir un impact sur la météo, cinq mois plus tard ? L’air qu’il avait expiré serait-il capable de provoquer une pluie sur la place de l’Hôtel de Ville au moment précis où le Fnac Live aurait dû commencer, le 1er juillet 2020, à 17h ».
Commence une douce et folle entreprise artistico-scientifique. Mathieu organise un « Non Fnac Live », en hommage à Benoît, réalise un film documentaire et demande à une centaine de personnes de devenir des « ambassadeurs de la pluie », en envoyant entre le 1er et le 3 juillet des photos, vidéos et enregistrements sonores de la pluie. Mathieu commence alors à se passionner pour les nuages. Ces derniers revêtent une importance stratégique pour tous les organisateurs de festivals en plein air, mais aussi pour les paysans et agriculteurs du monde entier, et enfin pour les Etats. Certains s’accusent de « vol de nuages » et des scientifiques s’attaquent à la question de « l’ensemencement des nuages », une variété de techniques permettant de faire pleuvoir à volonté. Mathieu découvre que durant la guerre du Vietnam, les Américains ont utilisé de l’iodure d’argent pour provoquer des pluies diluviennes, une manière de disperser les manifestations. L’idée n’était pas nouvelle ; l’Armée Rouge avait déjà tenté de maîtriser les nuages dans les années 1930.
La dimension politique du projet entre dans la vie de Mathieu. Il rencontre des membres d’associations qui cherchent à protéger les nuages contre toute velléité prédatrice, à en faire des biens communs de l’humanité.
Mathieu créée la Journée international des nuages le 29 mars. Une pause dans la trépidation du quotidien, durant laquelle adultes et enfants s’allongent par terre et observent les nuages. La deuxième édition a eu lieu cette année.
Malgré la souffrance de la perte subie par l’auteur au cours de l’ouvrage, ce dernier réussit à emporter le lecteur avec une grâce aérienne.
La folie et l’amour en héritage avec Hôtel de la folie de David de Bailly au Seuil
Un jeune adolescent – presqu’encore un enfant – voit sa grand-mère sauter par la fenêtre. « Il fait nuit et s’imprime à jamais cette date : sept décembre mille neuf cent quatre-vingt-sept. » Des années plus tard, devenu grand reporter, il décide d’enquêter sur sa grand-mère, Pià Nerina, « la femme qui [lui] a sauvé la vie. » Celle qui l’a préservé tant que possible des accès de colère et de la violence physique et morale de sa mère. Celle qui l’a inondé d’amour et de mots doux. Celle qui a aussi contribué par ses propres angoisses à l’instauration d’un huis-clos étouffant, dans un appartement des beaux quartiers parisiens. « Pourquoi ce silence ? Pourquoi toujours dissimuler les choses importantes ? » demande l’auteur, le jour où il découvre l’existence d’une autre Nerina dans la famille, petite-fille qui périt dans un accident de vélo. « À combien de weekends chez des copains, à combien de vacances ai-je dû renoncer parce que la route vous faisait peur ? Je porte en moi l’histoire de cette petite fille… »
Tenter de trouver des explications dans la vie de sa grand-mère n’est pas une mince affaire, car celle-ci n’a cessé de brouiller les pistes. Fausses dates de naissances, adresses inconnues, mariage blanc, amants supposés : « Qui es-tu Pià Nerina ? » interroge l’auteur. Tant d’images se télescopent. Une jeune Napolitaine magnifique et sans le sou qui réussit à pénétrer dans la haute société parisienne, sans être jamais pleinement acceptée. Une mère célibataire qui ne manque pourtant de rien, grâce à la générosité d’un célèbre amant. Une vieille femme violentée par sa propre fille e tqui finit par lâcher prise, trop fatiguée pour lutter.
L’auteur parvient à rassembler des éléments, mais sans réponse auxquelles s’adosser. « Où est née ton ambition ? De l’Hôtel de la Folie, modeste auberge sur Toledo, à l’appartement 138 de l’hôtel Continental où descendait Pyrrhus [son amant, NDLR], il y avait un monde. Plusieurs mondes, même. Quelle force t’a portée pour les franchir ? Quelle nécessité ? La faim ? Une quête de respectabilité ? (…) Non il y avait autre chose, un sentiment plus intime, plus viscéral, une folie.(…) Ces questions, je tourne autour depuis des années, je tourne dans le vide puisque personne ne sait quoi que ce soit, puisque tu n’as pas daigné laisser une lettre, un testament, un bout de papier ».
L’auteur se convainc peu à peu d’une folie, folie qui avait déjà frappé les ascendants de Pià Nerina et qui frappe à nouveau sa fille.
Ce constat sombre n’empêche pas l’amour porté par l’auteur à sa grand-mère, que l’on ressent d’ailleurs à chaque page. Le texte pourrait être un roman policier familial ou une autofiction vengeresse. C’est au contraire un ouvrage poignant et sans concession.
Mais aussi…
La manche de Max de Paz chez Gallimard
Un roman qui raconte la lente chute d’un jeune homme dans la misère. Le spectre de la pauvreté vient hanter le lecteur et le plonge parmi ceux que nous préférons ignorer dans la rue, ceux qui constituent l’angle mort de notre société.
Par-delà l’oubli d’Aurélien Cressely chez Gallimard
Un premier roman dans lequel l’auteur dresse le portrait fascinant du frère cadet de Léon Blum, René Blum, personnage historique méconnu alors que son engagement pour la défense de la France fut pourtant considérable.