Toute une vie au service de la justice et un hommage posthume en cette symbolique place Vendôme : Robert Badinter aura marqué son époque par sa quête d’un idéal humaniste, sa détermination et sa fougue à défendre l’abolition de la peine de mort en France.
En ce triste mois de février 2024, une immense photo fait face à la colonne Vendôme, érigée par Napoléon, en souvenir de la victoire d’Austerlitz.
Sur les pavés luisants de pluie de la Place Vendôme, deux tribunes se font face, celle des Badinter et celle des officiels. Autour de la philosophe Elisabeth Badinter, son épouse, et ses enfants et petits-enfants, retentit la 7 ème Symphonie de Beethoven, défile la vie de Robert Badinter.
La solennité du chagrin partagé, s’impose.
L’abolition de la peine de mort
J’ai eu le privilège d’être nommée au Ministère de la justice alors que Robert Badinter y arrivait tout juste comme Garde des sceaux, Ministre de la Justice.
J’ai donc vécu, à ses cotés, la suppression de la peine de mort. Toutes ces nuits et ces jours de travail dont nous témoignons modestement aujourd’hui. Nous savions tous que nous vivions un grand moment de l’histoire de la justice, pour la France, pays des droits de l’homme et des Lumières. Tout le pays, aux sentiments contradictoires, nous regardait.
Toute « la centrale », comme on surnomme tous les services de la grande administration du Ministère de la justice, avait les yeux rivés sur ses travaux, sur les débats à l’Assemblée nationale. Le climat était passionnel et vivant. Chacun a écouté, en 1981, la conclusion de sa grande plaidoirie : «J’ai l’honneur, au nom du gouvernement de la République, de demander à l’Assemblée nationale, l’abolition de la peine de mort en France.». Tous étaient suspendus au vote. Ce fut une victoire progressiste de l’humain éclatante.
Habité au plus profond de son être, Robert Badinter travaillait sans relâche. Il nous portait. Ses plaidoiries passées l’avaient beaucoup marqué, peiné, bouleversé et avaient forgé chez lui, cette volonté unique. Cette avancée sociétale représente des années de constance, de convictions et de travail. Merci à lui.
Missions juridiques
Dans le même temps, Robert Badinter a permis de mettre en place un équilibre pour les victimes, il fallait créer un minimum de droits des délinquants, il fallait apporter un équilibre ,avec les Droits des Victimes. Le Garde des sceaux m’a demandé de mettre en place un bureau de la protection des victimes, démarche qui n’existait pas du tout à l’époque en France. Nous avons donc rassemblé tout un réseau d’associations en faveur des victimes de la délinquance. Nous avons renforcé un système d’indemnisation des victimes qui avant ne fonctionnait que très mal. Nous avons associé assez vite la protection des victimes avec la prévention de la délinquance, idée très riche également initiée grâce a Gilbert BonneMaison, maire de Épinay-sur-Seine. Nous avons essayé d’autres alternatives que les solutions binaires, radicales qui ne faisaient qu’augmenter lamentablement la délinquance.
Expérience canadienne
Un peu plus tard. de retour du Québec, j’ai présenté à Robert Badinter les deux expériences de médiations pénales qui étaient en train de se développer là-bas. Enthousiaste, ouvert d’esprit, pétri d’intelligence, il a été immédiatement intéressé et m’a demandé de commencer plusieurs expériences.
Ce système de médiation pénale, qui existe toujours, permettait de sortir de l’opposition frontale et brutale, entre poursuite au classement sans suite. Combien nous étions travailleurs, fervents et passionnés grâce à lui ! Combien, ensuite, nous lisions sa production littéraire et intellectuelle.
En sa qualité d’intellectuel, ses ouvrages, d’une rare authenticité, resteront dans nos mémoires à jamais : « Idiss », « L’abolition », « Les épines et les roses », « L’exécution », « Contre la peine de mort », etc….
Robert Badinter se différenciait par sa personnalité en plus de ses hautes compétences. Il excellait. C’était un homme brillant extrêmement ouvert, progressiste et en outre formidablement sympathique et encourageant.
Robert Badinter est parti maintenant pour un autre grand voyage mais son empreinte restera dans notre pays. Assurément.
Mort à 95 ans, après une vie dédiée à la Justice de son pays, Robert Badinter entrera, prochainement, au Panthéon, en 2024.
À travers ces quelques lignes, qu il me soit autorisé de présenter mon hommage sincère et appuyé pour le grand garde des sceaux que j ai connu et servi, pour le Ministre de la justice qu’il a été, pour l’homme juste et pour son exemplarité qui nous soutient encore aujourd’hui.
Marie Pierre de Liege