20 000 morts sur les routes par an en Europe : pour réduire ce nombre par deux à l’horizon 2030, le Parlement européen a longuement préparé une directive destinée à mettre fin au permis de conduire universel. Mais à l’heure du vote, conséquence indirecte de la révolte des agriculteurs européens… c’est le ras le bol réglementaire qui l’a emporté !
L’héritage de Jacques Chirac est associé, entre autres, à sa politique de sécurité routière. En une décennie, de par sa seule volonté, il a réussi à diviser par deux le nombre de morts sur les routes françaises, passés de 8 412 en 1995 à 4 620 en 2007. Ce formidable résultat a été obtenu au prix de mesures impopulaires, aujourd’hui (plus ou moins) acceptées : ceinture de sécurité obligatoire, contrôle technique des véhicules… et radars automatiques sur le bord des routes. Le nouvel horizon en matière de sécurité routière est aujourd’hui de s’assurer que les automobilistes sont en capacité de conduire.
Conduire jusqu’à 80, 90, 100 ans ? Pourquoi pas, mais à condition d’être en bonne santé. Le Parlement européen devait se prononcer mercredi 28 février sur un projet de directive qui entendait notamment conditionner l’obtention et le renouvellement du permis de conduire à des visites médicales obligatoires. S’inspirant de législations mises en place chez la plupart de nos voisins (au Portugal, des contrôles ont lieu à 40, 50, 65 et 75 ans puis tous les deux ans ; en Espagne ou en Grèce l’examen médical devient obligatoire à 65 ans ; à partir de 70 ans au Danemark et de 75 ans aux Pays-Bas), le projet de directive, approuvé d’un cheveu par la commission “Transports et Tourisme” (22 votes pour issus de la gauche et du centre, 21 votes contre issus de la droite et de l’extrême droite) prévoyait une limitation de la validité du permis de conduire à 15 ans. Au terme de chaque période, son renouvellement aurait été conditionné par une visite médicale obligatoire vérifiant que la vue, l’ouïe et les réflexes du conducteur concerné lui permettent de conduire en sécurité.
Si on ne sait pas précisément quelle part des accidents est due à la perte de capacités physiques des conducteurs, cette perte en lien avec le vieillissement accéléré de la population est incontestable. Pour autant, la mesure s’adressait à tous les usagers de la route, car les pathologies incapacitantes peuvent toucher des personnes de tout âge. Le Dr Philippe Lauwick, médecin généraliste et membre du Conseil national de la sécurité routière souligne qu’ “être atteint d’Alzheimer augmente les risques de collision de 2,5 fois”, alors qu’une bonne vision est bien sûr indispensable : 90% de l’info que nous recevons est visuelle, et une acuité de 5/10 est d’ores et déjà requise par le Code de la route pour pouvoir conduire.
L’Association “40 millions d’automobilistes” était férocement contre ce projet jugé “liberticide” alors que les associations de personnes handicapées et de victimes des accidents de la route étaient résolument favorables. 59% des Français seraient également favorables au principe de la visite médicale obligatoire pour tous et même 70% pour les seuls seniors (IFOP / Le Parisien, 25/02/2024).
Oui mais voilà, l’air du temps européen, inspiré par le mouvement des agriculteurs dont les tracteurs défilent aussi en masse devant les institutions européennes, n’est plus à la réglementation ni à l’ajout de contraintes supplémentaires !
A l’heure du vote, les députés européens ont donc remplacé l’obligation envisagée par le principe d’une “auto-évaluation” des conducteurs : ce n’est pas un coup de frein, mais une véritable marche arrière ! La balle est renvoyée à chaque Etat, qui fera… ce qu’il voudra.
Bref une directive qui ne sert à rien, reflet d’une Europe usine à gaz et technocratique.
Il eut été préférable que les Parlements nationaux volontaires décident de visites médicales pour les personnes à risque en fonction de pathologies spécifiques, de la perte de vue et d’un grand âge. Et que l’Union européenne se concentre sur des enjeux d’intérêt supranational qui trouveraient de meilleures réponses au niveau européen que national. Cela s’appelle la subsidiarité !
A noter que le projet de directive prévoyait aussi une dématérialisation totale du permis de conduire dès maintenant pour ceux qui le souhaitent (Ah, enfin une bonne idée !) et se donnait pour objectif une réduction à “zéro mort et accident grave en 2050”… Un objectif louable et très ambitieux (pour ne pas dire totalement irréaliste), mais qui ne semble possible qu’en éliminant totalement le facteur humain : une nouvelle étape vers la voiture autonome… et la fin définitive des conducteurs ?