Depuis 2010, Karine Le Marchand anime sur M6 l’émission « L’amour est dans le pré » : chaque année, elle présente à la France entière une poignée d’agricultrices et d’agriculteurs à la recherche du grand amour. Plus qu’un divertissement au succès constant, une métaphore de notre époque.
Nous sommes tous des enfants de paysans, comme nous sommes tous des enfants d’immigrés. Qui peut prétendre que dans la longue liste de ses aïeux, aucun n’est né ailleurs que sur le territoire français ? Et qui peut prétendre que dans la longue liste des ses aïeux, aucun n’a consacré sa vie à travailler la terre, élever des animaux, cueillir ou moissonner ?
L’éruption du monde agricole qui s’est embrasé soudain en France sous nos yeux, était en réalité autant une irruption : celle du refoulé dans nos mémoires, celles du bon sens dans nos vies prétendument « modernes », tellement « connectées », d’urbains. Alors que nous avions simplement oublié que nous n’étions que des humains, que notre premier besoin pour vivre, était de nous nourrir, et que nous nous étions en réalité déconnectés de ceux grâce à qui nous vivons, ceux qui nous nourrissent.
Ce brusque retour au pied de la pyramide de Maslow, n’est pas autre chose qu’un retour au bon sens. Au bon sens paysan. Nos paysans, que l’on ne voyait plus et auxquels on ne pensait plus, sont venus nous rappeler qu’ils étaient là, certes de moins en moins nombreux, mais en réalité de plus en plus importants. Car nous sommes de plus en plus dépendants d’eux.
Ils sont venus nous rappeler que non seulement ils étaient là, mais qu’ils étaient là pour nous. Que non seulement c’est grâce à eux que nous nous nourrissons, mais qu’ils ont obéi à toutes nos injonctions : augmenter massivement la production dans les décennies d’après-guerre, raisonner leurs pratiques, accepter que leur rémunération ne soit pas le prix de leur travail mais celui que pouvaient payer les classes moyennes et modestes urbanisées. Ils l’ont fait, devenant des entrepreneurs de l’agriculture, s’adaptant en permanence, à l’évolution technologique comme à celle des marchés ou des règlementations.
Un vieux couple à la dérive
Ensuite on leur a demandé d’arrêter de détruire l’environnement et d’arrêter de faire souffrir des animaux. On leur a demandé de remplir des kilomètres de paperasses pour avoir le droit de continuer à faire ce qu’ils faisaient, et que d’ailleurs c’était assez moche, et qu’on n’allait pas tolérer cela longtemps. Et là ils n’ont plus compris. Ou plutôt, ils ont soudain compris : ils ont compris que nous avions perdu le bon sens, que nous avions perdu le sens, tout simplement de leur mission, qui est de nous nourrir tous. Qui est en réalité un geste d’amour.
Alors ce vieux couple, que forment les paysans français et la société française, les premiers nourrissant la seconde, la seconde étant censée, en contrepartie, assurer un niveau de vie et de bonheur décent aux premiers, a traversé une crise.
Ce n’était pas la première, ce n’était probablement pas la dernière. Comme des amants tellement anciens qui se sont éloignés, chacun happés par leur quotidien, qui ne se parlent plus, qui ne se comprennent plus, qui oublient peu à peu l’importance de l’autre, que leur relation est indestructible et nécessaire, qu’ils sont condamnés à s’aimer toujours.
France, n’oublie jamais d’où tu viens. Depuis bien avant Sully et Henri IV, pâturages et labourages sont tes mamelles nourricières. Aujourd’hui plus qu’hier et moins que demain. Alors nos dirigeants ont redit, mais cette fois en pesant leurs mots un peu plus que d’habitude, que l’agriculture est un enjeu stratégique pour notre pays, non seulement identitaire, mais existentiel. Cela voulait dire que l’amour est toujours dans le pré. Les paysans l’ont bien entendu, les tracteurs ont fait demi-tour, mais le doute sera long à disparaître. Car il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour. Ne l’oublions plus, sinon l’éruption peut se reproduire. On sait comment cela s’est fini à Pompéi.
Revenons à Karine Le Marchand… Sa visite sur un barrage d’autoroute le 29 janvier puis sa présence ce samedi 2 mars au salon de l’agriculture auront touché le cœur des paysans en colère.
Au fond, le succès de son émission n’est pas qu’une métaphore de notre époque. Il témoigne de ce que les paysans demandent à être aimés et à recevoir des preuves d’amour de la nation et des Français.
Au moment de clôturer le 60ème Salon international de l’agriculture, il est grand temps que les paysans reprennent leur place centrale dans le cœur des Français.