Opinion Ruralités
17H22 - mercredi 13 mars 2024

« Pourquoi nous sommes bien plus qu’un Salon » : entretien avec Arnaud Lemoine, directeur du Salon international de l’agriculture

 

Du 24 février au 3 mars 2024, s’est déroulé à Paris le 60ème Salon international de l’Agriculture, le rendez-vous annuel adoré des Français – et des politiques. Une édition particulièrement mouvementée. 

Au-delà de la furie médiatique qui a marqué cette édition de tous les dangers, Arnaud Lemoine, directeur du Ceneca, l’organisation propriétaire de l’événement, a répondu à Opinion Internationale.

Ce grand entretien met en lumière les valeurs et les enjeux d’avenir d’un Salon pas comme les autres, – bien plus qu’un Salon en fait -, rendez-vous des Français avec leurs terroirs, savant équilibre entre tradition et modernité, et vitrine vivante d’un monde agricole en constante évolution.

 

Opinion Internationale : Arnaud Lemoine, on peut dire que l’édition 2024 a été assez mouvementée…

Arnaud Lemoine : nous avions évidemment anticipé que ce serait compliqué mais pas à ce point ! Franchement, ce Salon a été éprouvant mais je crois pouvoir dire que cette 60ème édition est une réussite. Notamment au vu de l’affluence : nous avons atteint le cap symbolique des 600 000 participants et ce malgré les déboires du premier jour et les vacances scolaires. Nous sommes dans la moyenne des autres années, ce qui pouvait paraître inespéré au départ.

Les Français et les agriculteurs ont répondu présents !

 

A part ces moments très durs de la première journée, quel bilan tirez-vous de cette 60e édition ?

Cette année, le Salon a été ultra-politique, à tous points de vue, ce qui me met un peu mal-à-l’aise car j’ai été un des premiers à dire, il y a quelques années, qu’il fallait que les politiques viennent, que c’était une forme d’attachement, d’enracinement, de reconnaissance nationale pour le monde agricole.

Mais nous avons vu cette année la limite de l’exercice avec 83 visites politiques, une de plus que l’année dernière. Mais nous étions seulement à 52 il y a trois ans.

 

Malgré la colère agricole et la réponse, dirons-nous saucissonnée, de l’exécutif, on sent que ce rendez-vous des Français, de tous les Français, avec les paysans a été plus fort que les échauffourées et les pressions exercées sur l’événement ?

Absolument et nous en sommes fiers !

 

Pourquoi le Salon de l’Agriculture est-il toujours aussi fréquenté, aussi ancré ? C’est plus qu’un salon en fait…

Nous l’avions déjà vu avec le COVID mais le Salon est plus fort qu’un Salon, c’est une grande famille qui sait se serrer les coudes quand ça va mal et nous avons réussi une fois de plus à nous en sortir. Est-ce qu’on peut dire encore que c’est un salon ? Oui, comptablement, organiquement, structurellement, mais la notion de salon est un terme aujourd’hui un peu dépassé, technique.

Le Salon, c’est aussi l’occasion de venir à Paris pour le monde paysan, et de se retrouver pour vraiment faire la fête : nous avons parfois l’impression de vivre dans un immense village qui se déplace avec ses familles, ses maisons… 

 

Quel fut le profil du visiteur du Salon de l’Agriculture en 2024 ?

Depuis trois ans, il change tous les ans. Les Franciliens étaient nombreux l’année dernière. Cette année, nous avons vu, non sans une certaine joie, le retour des régions, des provinces, des cantons d’où venaient de nombreux bus : nous n’avions jamais vu par exemple un jeudi avec autant de visiteurs qui venaient de toutes les régions, même des plus éloignées, du Sud, de l’Est, de partout.

En un mot, ce salon n’a pas été un salon parisien. Plus que jamais, c’est un salon national et le plus grand salon de France.

 

Le Salon réunit-il un échantillon de tous les agriculteurs français, mieux, de toutes les « agricultures » ?

Oui, nous devons bien mesurer que le Salon de l’Agriculture réunit tous les acteurs de la chaîne alimentaire, 1100 exposants exactement cette année, des paysans aux transformateurs, des distributeurs aux marchands de matériel, des intermédiaires aux coopératives. Mais aussi tous les métiers, de l’élevage à la pêche, des céréaliers aux viticulteurs.

 

Et il y a des exposants dont le chiffre d’affaires annuel se joue sur le Salon de l’agriculture ?

Absolument, je ne peux pas vous donner de chiffres parce que je ne les connais pas, par essence et par principe, mais nous pensons que 25% des exposants font un tiers de leur chiffre d’affaires annuel au Salon en moyenne.

 

Cette année, c’était le Salon des 60 ans ! Quelle évolution profonde, du Salon comme du monde agricole en 60 ans ! Nous ne sommes plus dans le même monde qu’en 1964… Et ce n’est peut-être pas par hasard si la colère agricole s’est déclenchée cette année.

C’est vrai, nous ne sommes plus dans le même monde. Et en même temps nous voyons bien lorsqu’on arpente les allées du Salon ce subtil mélange de tradition et de modernité. Comme en 1964, le Salon est le lieu des animaux, des éleveurs, de cette France profonde.

Simultanément, les nouvelles technologies, la tech, ont investi le monde agricole et le Salon lui-même. Si nous étions trop forts sur l’un ou sur l’autre versant de la tradition et de la modernité, nous perdrions l’équilibre général et ne serions plus le reflet de l’agriculture française.

 

Comment peut évoluer le Salon de l’agriculture à l’avenir ?

Permettez-moi d’insister sur deux perspectives…

Tout d’abord, l’éducation nationale agricole, car nous nous apercevons que parmi les dizaines de milliers d’adolescents qui viennent au Salon, un grand nombre d’entre eux sont incapables de faire le lien entre le lait et la vache, le blé et la baguette.

Nous devons faire des efforts avec nos exposants parce que c’est souvent la seule fois dans l’année pour un petit Parisien par exemple de découvrir à quoi peut ressembler l’agriculture. Il nous faut un peu repartir à la base et je pense toujours que quand on explique les choses, à la fin, le respect se crée. Et comme les agriculteurs souffrent parfois d’un manque de reconnaissance voire d’un manque de respect, je me dis que si le Salon arrive à relever, pas seul encore une fois, cette mission d’éducation nationale agricole pendant neuf jours seulement, on aura gagné quelque chose sur le chemin ardu de la compréhension retrouvée de la société et du monde agricole.

 

Nous avons croisés de nombreux enfants ébahis et demandeurs d’en connaître plus et nous sommes sûrs que vous suscitez des vocations. Le réarmement agricole dont on a beaucoup parlé ces derniers temps se joue un peu au Salon de l’agriculture…

Sans doute, en tout cas c’est ce que l’on voudrait car il faut des fantassins, il faut de nouveaux agriculteurs : en 2001 nous avions 971 000 agriculteurs, il y en a moins de 360 000 aujourd’hui. Quand une usine ferme, vous avez les syndicats pour se battre, et qui donnent le nombre d’emplois directs et indirects détruits. Quand une ferme s’arrête, et il y en a des milliers chaque année, on ne voit pas l’immense plan social que cela recouvre, parce que c’est souvent un choix et un destin individuels qui se jouent.

L’enjeu est de taille et dépasse donc évidemment le Salon. Il concerne tous les Français et tous les agriculteurs : il y aura 100 000 exploitations à reprendre dans les dix prochaines années. Des vocations peuvent, doivent se créer pendant le Salon, et des jeunes qui nous rendront visite les prochaines années se diront peut-être, certainement : pourquoi pas moi ?

 

Et votre seconde perspective pour les prochaines éditions du Salon ?

Nous sommes le Salon « international » de l’agriculture. Or peut-être parce que c’est un salon grand public et que, contrairement à tous les autres dans le monde, les politiques s’y donnent rendez-vous comme nulle part ailleurs, parfois les pays étrangers pensent qu’on n’y fait pas d’affaires, ce qui n’est pas vrai. Donc, si nous avons chaque année deux ou trois pavillons supplémentaires, nous sommes encore en deçà d’autres salons européens sur la partie internationale. Il nous faut déployer une stratégie de développement international importante.

 

Rendez-vous l’année prochaine pour la 61ème édition ?

Volontiers !

 

Propos recueillis par Michel Taube et Laurent Tranier

 

Directeur de la publication

La protéine du futur ? Demandez les insectes !

Se nourrir à base d’insectes, vraiment ? Si la proposition ne séduit pas complètement sous nos latitudes pour des raisons culturelles, il s’agit déjà d’une réalité pour une large part de l’humanité : en…
Laurent Tranier