La question du choix de l’artiste qui représentera la France lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris 2024 suscite des débats enflammés. En suivant ces échanges, je me suis penchée sur la liste des critères objectifs qui pourraient guider ce choix.
Les JO sont un événement planétaire qui va attirer les regards du monde entier. La représentation de la France à travers ses artistes est donc une question essentielle, nul ne peut le nier. Mais qu’est-ce que « représenter la France », en tant qu’artiste ?
« Être populaire et reconnu » me semble incontournable. L’artiste doit être apprécié du grand public, en France comme à l’étranger, et être capable de rassembler et de fédérer autour de sa musique, c’est une évidence. Cependant, la notion de « grand public » suppose une idée de consensus, d’unanimité, or quel artiste peut se prévaloir d’être apprécié de tous ?
La reconnaissance par ses pairs et par l’industrie musicale est également importante. Des récompenses prestigieuses, des collaborations avec d’autres artistes renommés ou un succès commercial conséquent sont autant de raisons qui peuvent appuyer sa candidature. Mais encore une fois, qui sont « ses pairs » ? Qui sont les juges dans cette compétition ? Et quelle est leur légitimité à juger ? L’art doit-il seulement être jugé, lui qui appartient par essence à l’instant ?
Revient aussi le critère d’« être à l’image de la France », d’être capable de représenter ses valeurs, son identité, sa diversité culturelle. Mais, là encore, quelle image et quelle France ?
Je le constate chaque jour en suivant la polémique autour de la participation potentielle d’Aya Nakamura : « l’image de la France » selon qu’on est issu d’un milieu favorisé ou non, selon son éducation, selon ses croyances religieuses et/ou sociales, n’est pas du tout la même. Comment un seul artiste pourrait-il, à lui seul, représenter toute la diversité ? Il va représenter une partie de la diversité, la sienne et celle de son public. De plus, les artistes les plus consensuels en France ne sont pas forcément ceux qui résonnent le plus à l’étranger, or les Jeux Olympiques sont une vitrine : on aime y voir ce qui se fait de mieux et de plus moderne, quitte à choquer avec le choix d’une Aya Nakamura qui, précisons-le de manière factuelle, reste l’artiste francophone la plus streamée à l’international.
Oui, un David Guetta ou des Daft Punk seraient moins sujets à caution mais, d’une part, ils chantent en anglais – ce qui devrait relancer le débat sur la défense de la langue française, non ? – et d’autre part, à l’export, l’électro a été détrônée par le rap et les musiques urbaines. Objectivement, c’est bel et bien un artiste issu de la scène urbaine qui devrait être choisi. Pourtant, on voit bien à quel point un tel choix déchire les Français.
Parlons maintenant de sa « capacité à porter un message universel », « porteur d’espoir, de paix et d’unité », en écho au symbole que sont les Jeux Olympiques, célébration du sport et de l’esprit d’équipe. Idéalement, un tel message serait magnifique, je n’en disconviens pas. Néanmoins, regardons le titre utilisé lors des mondiaux de football, I will survive : quel est le message de cette chanson ? C’est celui d’une femme qui s’arrache à une histoire d’amour toxique. Certes, crier « je survivrai » a quelque chose d’universel, chacun y mettant le sens qu’il veut, mais le reste de la chanson, en quoi fait-il écho à une grand-messe sportive ? En quoi célèbre-t-il l’esprit d’équipe, lui qui parle au contraire de rupture ? Pourtant des foules entières se mettent à danser sur ce tube, sans même y réfléchir.
Je pense également à Marcia baila, des Rita Mitsouko, tube de l’été 1984, qui parle du cancer, et d’un cancer ayant causé la mort : comme message d’espoir, il y a mieux ! Malgré cela, depuis sa sortie, des millions de personnes ont dansé et fait la fête sur ce titre !
Oui, le message peut-être un critère de choix, mais parfois, le sens d’une chanson est dépassé par ce qu’elle provoque physiquement chez les gens qui l’écoutent, sans autre but que de nous divertir. C’est comme la danse contemporaine : certains détestent, certains adorent, c’est bizarre, on ne comprend pas. Or c’est son seul but : provoquer des réactions, des sensations, au-delà du sens.
N’oublions pas que les Jeux Olympiques sont une grande fête. Peut-être alors faudrait-il faire primer le talent et le charisme de l’artiste, capable de captiver le public et de l’embarquer dans son univers musical, presque « malgré lui » s’il le faut, sans chercher à comprendre pourquoi ?
À travers l’art, n’est-on pas à la recherche d’un peu de magie ? De quelque chose qui transcende l’instant et le grave dans nos mémoires ? Dans une société en perte de repères spirituels, où le sacré s’éloigne de plus en plus de l’espace public, l’art en général, et la musique en particulier, indépendamment de son texte et de son « sérieux » ou non – rappelons que le monde entier a quand même dansé sur Gangnam Style ! – n’ont-ils pas ce pouvoir de nous rappeler à ce qu’il y a de profondément et universellement humain, enthousiaste et solidaire en nous ?
Choisir un artiste pour représenter la France aux Jeux Olympiques est une décision complexe. Les critères objectifs listés ci-dessus ne peuvent à eux seuls permettre ce choix. La popularité, la reconnaissance, l’image de la France, la portée du message, le talent de l’artiste sont évidemment à prendre en compte, mais toute la question est de savoir quel coefficient appliquer à chaque critère.
Certains vont affirmer que la popularité et le talent passent en premier. D’autres appuieront plutôt sur ses références culturelles. L’image de la France, je l’ai dit, est loin d’être un ensemble homogène : elle ressemble plus à une photo de classe qu’à un portrait officiel. Comment, dans ce cas, trouver la perle rare qui va représenter à la fois ceux qui sourient, ceux qui font la tête, ceux qui ferment les yeux et ceux qui regardent ailleurs ?
Pour ma part, je crois que l’artiste idéal serait celui qui, à l’instant T, serait capable de faire oublier tous ces critères et de simplement pousser tout le monde à la fête.