L’« Affaire Estanguet », du nom du président du Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques 2024 (COJOP) a jeté une lumière crue sur la problématique de la rémunération des dirigeants d’association. Au lendemain de l’ouverture d’une enquête par le parquet national financier le concernant, le malheureux a été immédiatement accablé de commentaires unanimement à charge dont aucun n’a semblé prendre la mesure des véritables sujets en jeu dont celui de la juste rémunération d’un talent exceptionnel dans le contexte d’une mission exceptionnelle et celui, pour l’avocat spécialiste du droit des organisations que je suis, de la rigueur juridique de l’anathème ainsi proféré.
En effet, entre autres considérations (le COJOP est certes une association en droit mais comment est-il perçu dans l’opinion publique ?), il s’agit là d’un sujet éminemment juridique ! Mais l’actualité est ainsi faite qu’« Il faut hurler avec les loups si l’on veut courir avec eux ». Mais laissons aux loups la charogne du scandale et concentrons-nous sur le droit.
Le montage juridique critiqué est-il, comme le soutient l’Agence française anticorruption dans un de ses rapports, un « montage atypique dans le cadre d’une association de loi 1901 », qui « n’est pas sans poser de difficultés », selon le Canard Enchaîné, ou était-il nécessaire et viable, comme l’argue le COJOP ?
Le COJOP et Tony Estanguet seraient-ils ainsi de simples « malfaiseurs » ou un qualificatif plus sérieux pourrait-il se justifier ?
La question de la rémunération des dirigeants d’association est rattachée à l’esprit même de la loi du 1er juillet 1901 qui caractérise l’association par l’absence de recherche de profit ainsi que par le désintéressement des personnes qui la forment. Si la légitimité de la rémunération de chaque dirigeant d’association en France doit être interrogée, ce devrait être par ce prisme et en prenant en compte l’équilibre instauré par la Loi en matière de rémunération des dirigeants d’association.
Une association n’a pas vocation à être lucrative en dehors de ses besoins de fonctionnement. C’est la différence fondamentale avec une entreprise commerciale dont la finalité lucrative et l’intéressement des dirigeants sont le fondement même aux termes de l’article 1832 du Code civil.
C’est pourquoi, si, en règle générale, les associations loi 1901 bénéficient de larges exonérations fiscales, elles se trouvent soumises aux impôts commerciaux traditionnels (TVA, l’impôt sur les sociétés et la contribution économique territoriale) dès lors qu’elles exercent des activités lucratives, afin de garantir le respect du principe d’égalité devant les charges publiques et d’éviter des distorsions de concurrence (CGI, art. 206-5).
Le caractère désintéressé de la gestion d’une association n’implique pas que son activité soit non commerciale. En revanche, il implique que :
1° L’association est, en principe, gérée et administrée à titre bénévole par des personnes n’ayant elles-mêmes, ou par personne interposée, aucun intérêt direct ou indirect dans les résultats de l’exploitation.
2° L’association ne procède à aucune distribution directe ou indirecte de bénéfices, sous quelque forme que ce soit. Si rien n’interdit à une association de réaliser des excédents, ces derniers devront impérativement demeurer dans l’association, soit pour son développement, soit pour compenser les insuffisances d’autres activités.
3° Les membres de l’association et leurs ayants droit ne peuvent être déclarés attributaires d’une part quelconque de l’actif, sous réserve du droit de reprise des apports.
De la rémunération des dirigeants d’association
Conscient de l’importance des associations et du fait que leur direction est parfois aussi engageante que l’exercice d’une profession, le législateur a, par dérogation au principe de gestion et direction bénévoles, prévu que les dirigeants d’association peuvent percevoir une rémunération au titre de leurs fonctions dont il a plafonné le montant pour ne pas dénaturer l’esprit de la loi de 1901.
Ainsi, les associations sont autorisées à rémunérer leurs dirigeants, sous certaines conditions et, en tout état de cause dans la limite, tous éléments confondus, de 3 fois le plafond annuel de la sécurité sociale (11 592 €/ mois en 2024), sans remise en cause du caractère désintéressé de leur gestion. On notera à cet égard que la notion de « dirigeant » s’entend largement et inclut aussi bien les dirigeants de droit que les dirigeants de fait de l’association mais que les salariés non dirigeants ne sont pas concernés par ce plafonnement.
Ainsi, contrairement à ce que laissent entendre certains médias, il n’est pas interdit pour une association d’exercer une activité lucrative ou pour ses dirigeants d’être rémunérés, même fortement. Cela lui fait seulement perdre les avantages fiscaux dont bénéficient normalement les associations mais ne constitue pas en soi une infraction pénale.
Il est ainsi patent que les griefs formulés à l’encontre de Tony Estanguet et du COJOP sont dénués de recherche et de minutie. On s’étonnera dès lors que ces derniers n’aient pas, apparemment, axé leur argumentaire sur les éléments de droit cruciaux ci-dessus rappelés, ce qui aurait pu tuer la polémique dans l’œuf. A moins que le montage initial n’ait pas été suffisamment bien étudié pour soutenir solidement une défense efficace.
La question du montant des rémunérations au sein des associations n’est pas aussi simple que le suggèrent les médias, ni aussi compliquée que l’insinuent Tony Estanguet et le COJOP. Elle nécessite une analyse approfondie en amont, au cas par cas, et implique de faire un choix entre différents statuts souvent incompatibles.
Si cette affaire ne peut évidemment s’appliquer à toutes les associations en France, elle a cependant le mérite de leur rappeler qu’il est utile de s’interroger sur les modalités pratiques de la rémunération de leurs dirigeants et de vérifier leurs comptes avant l’arrivée des loups !
Me Gaël PEYNEAU
Avocat Associé
Cabinet Rive Gauche Avocats