Il ne passe jamais le ballon à un partenaire mieux placé pour marquer, elle finit le point au filet en visant son adversaire, il ne prévient pas les coureurs qui le suivent d’un danger sur la route, rugby, tennis, cyclisme, etc.
Les connards sévissent également dans le sport.
Ce thème du sportif connard m’a été inspiré par une remarquable émission « Bel et bien », diffusée sur France 2 le 30 mars dernier, à l’occasion de la sortie du livre d’Éric la Blanche, Le Connard : Enjeux et Perspectives (Éditions Michel Lafon).
Une définition précise du sujet s’impose. Selon l’auteur, « le connard s’octroie des avantages, pense que tout lui est dû, il est imperméable aux plaintes de ses victimes ». Il se distingue du psychopathe car il agit toujours dans un cadre légal, il ne transgresse pas la loi mais bien les principes de la vie en société.
Ne parlons-nous pas là de cet incontestable titulaire, auteur d’une prestation décevante qui crie ostensiblement à l’injustice quand, à 5 minutes de la fin du match, il doit laisser la place à son pauvre remplaçant qui cire le banc depuis le début de la saison ?
Justement, dans le football et tous les autres sports collectifs, l’équipe s’apparente à une micro-société, gérée par un entraîneur dont le talent s’évalue aussi par sa capacité à créer une harmonie entre ses joueurs.
Le connard peut rapidement plomber la cohésion du groupe.
Dans tous les secteurs d’activité, ce comportement résulte principalement d’une utilisation démesurée du pouvoir. Le sport offre tellement d’accès au pouvoir que les connards y pullulent. Dans une équipe, c’est le joueur vedette, le plus talentueux qui se l’octroie. Le coach alors s’interroge et appréhende : « ce gars me fait gagner mais il pourrit la vie de ses coéquipiers, quelle attitude adopter ? »
Les spécialistes sollicités dans cette émission de France 2 énumèrent les solutions pour déstabiliser notre énergumène :
- « Il faut organiser une réponse collective ». Voilà une stratégie intéressante. Le coach peut en profiter pour faire l’union sacrée autour de lui s’il arrive à compatir avec les victimes du connard, c’est à dire tous ses coéquipiers. Le joueur toxique devenu une cible commune déclenchera par voie de conséquence les fondations de l’esprit de groupe. Il devient utile !
- Naturellement, « le connard n’est pas cool, il se met la pression, subit d’autant plus le stress, qu’il se sent esseulé ». L’entraîneur habile, qui a ressoudé son groupe en isolant son leader peut en plus, inciter celui-ci à retrouver une attitude positive. Un joli coup double !
- Autre parade, « le langage est un outil formidable pour affaiblir le connard ». L’entraîneur efficace saura argumenter brillamment face à son athlète et déconstruire ainsi ses préjugés. Plus les degrés d’intelligence et de connaissance du coach seront élevés, plus le champion évitera les pièges de la renommée.
- « Fuir reste la solution la plus simple pour contrecarrer le connard ». Dans le cadre du sport, nous pouvons relier cette stratégie aux remises en question. Souvent, après le départ de son entourage, le champion exprime son soulagement et retrouve une efficacité perdue. La seule séparation ne suffit pas à l’expliquer. La solitude qu’elle crée peut l’angoisser et le pousser à modifier son comportement.
Petite psychanalyse de la « connardise »
Allons plus loin dans le portrait. Le connard définit des rôles : lui est gentil, l’autre méchant. Il s’arrange pour proposer un choix de solutions délibérément subjectives à propos d’une situation, il justifie son point de vue en évoquant la loi d’une pseudo-majorité. En réponse, son adversaire doit donc obligatoirement rationaliser l’échange.
Dans le cadre d’un sport individuel, affronter un connard s’apparente à une galère mais peut devenir une opportunité. Tout dépend de l’aptitude de son adversaire à déjouer le mécanisme. Son comportement désagréable doit pouvoir décupler la motivation. Le vertueux reçoit traditionnellement un soutien inconditionnel du public, ce qui le transcende. Un compétiteur ne brille jamais autant que lorsqu’il utilise les excès de son rival. Il suffit de connaître les ressorts pour y parvenir.
Les spécialistes des neurosciences certifient que la « connardise » n’est pas innée. C’est à l’adolescence que la direction se prend : soit vers l’altruisme, l’empathie, la philanthropie, soit vers la mythomanie, le conflit, l’égocentrisme. Plus on grandit, plus le regard de l’autre influence notre comportement. La bonne ou la mauvaise action peuvent trouver leur public. Chacun opte pour l’un des deux rôles, conditionné par son éducation et/ou sa propre construction dans la sphère familiale.
Les connardes
Éric la Branche, notre auteur, ajoute qu’il y a toujours eu une majorité d’hommes connards, en raison de leurs places dominantes dans la société.
Grâce à l’évolution des mentalités, les femmes, y compris en sport, accèdent beaucoup plus à ce pouvoir ou à la notoriété. Par voie de conséquence, le développement des connardes s’opère.
Les sélectionneurs, Corinne Diacre et Hervé Renard (football), Olivier Krumhbolz (handball), Jean-Aimé Toupane (basket), malgré leur expérience du haut niveau, ne sont pas tous parvenus à adapter leur management à cette évolution en équipe de France féminine. Le challenge déconcerte tous ceux qui n’ont pas intégré le changement des mentalités. D’autant que les rapports en société mutent avec les réseaux sociaux et tous les moyens de communication.
Nos sportifs conservent donc tous plus ou moins de chances d’échapper à la mauvaise direction dans laquelle les connardes et les connards peuvent les emmener, charge à leur environnement de les préserver. Mais il faut accepter également, au final, que le statut de connard puisse aider à passer un cap pour arriver à cette fameuse devise « Pour gagner, il faut tuer son adversaire ».
Un psychologue explique la différence entre le con et le connard : « Le premier est bête, le second est méchant ». En sport le champion ne peut se permettre la bêtise. En revanche la méchanceté l’aide à maîtriser la charge émotionnelle.
C’est une des dures lois du sport.
Frédéric Brindelle
Journaliste, chef de rubrique « Opinion Paris 2024 »