Mercredi 17 avril, J-100 : la famille Olympique prend la température de Paris 2024. Nos grands champions défilent face à la presse. Parmi eux, le triple champion olympique de cyclisme sur piste, le phénoménal Florian Rousseau. Au cœur de la machine France, il pilote les destinés du cyclisme dans le rôle de directeur du programme olympique de sa Fédération, après avoir tenu celui de directeur de la haute performance en athlétisme.
Il se confie à Frédéric Brindelle, pour Opinion Internationale :
Florian Rousseau, il y a en ce moment un engouement, quelque chose qui est peut-être même inexplicable : vous qui avez vécu tant de Jeux olympiques avant ceux de cet été, ce rendez-vous en France, est-il différent ?
Forcément, c’est différent. Déjà, les Jeux olympiques sont une compétition à part. Lorsqu’on est à J-100 des Jeux olympiques, même à l’étranger, c’est marquant. On entre dans le dernier tunnel. Après, en tant qu’athlète, on le vit tous différemment, certains sont encore en balance pour les sélections, d’autres sont déjà sélectionnés. Mais ici, à Paris, on voit déjà bien la mobilisation, on en parle partout et tous les jours. Et puis, la quantité de personnes mobilisées ! Hier, on a eu une journée médias avec le BMX. On n’a jamais vu autant de journalistes, et même de la presse qui n’est pas spécialisée en sport. C’est pour ça aussi que ces jeux à Paris sont différents.
Florian, je voudrais m’intéresser à vous parce que, en cette année de Jeux olympiques, on évoque souvent nos grands champions et vous en faites partie, en tant que multiple médaillé aux Jeux. Est-ce que vous ressentez que vous avez à jamais marqué les Jeux de votre empreinte, avec Laurent Gané et Arnaud Tournant ? Peut-être vous en percevez aujourd’hui encore plus la force, parce que tout le monde vous en parle ?
Le titre de champion olympique, j’ai eu la chance de l’obtenir trois fois. Ça vous suit toute la vie : quand j’ai été champion du monde à dix-neuf ans, Pierre Trentin, qui lui-même a été médaillé d’or en 1968, m’a dit « tu vas voir, si un jour, tu es champion olympique, tu seras présenté tout le temps, toute ta vie, en tant que champion olympique, ça te suivra même si tu ne le veux pas ». Mais c’est plutôt plaisant !
Ça renvoie toujours à raconter des anecdotes comme je le fais en ce moment. On est toujours renvoyé à notre passé de champion. Ce n’est pas difficile, ce sont plutôt des moments agréables, et puis on prend beaucoup de recul après dans le quotidien. Même si je travaille pour la performance dans le cyclisme, je ne raconte pas ce que j’ai fait, surtout que maintenant ça date un petit peu, c’était une autre époque. Mais il y a toujours des piliers de la performance sur lesquels on peut s’appuyer. J’ai un peu d’humilité, mais oui, je suis fier de ce que j’ai fait. Parfois j’ai tout de même un peu de mal à me rendre compte. Les enfants et les adolescents, encore plus que les adultes, ont plein d’étoiles dans les yeux quand on parle de sport et de médailles, parce que ça fait rêver, ça donne envie. Ça m’arrive aussi quand je suis derrière ma télévision et que je suis une compétition. Alors oui, quand ces enfants et adolescents qui ne me connaissent pas, car ils sont trop jeunes, on leur dit que j’ai été trois fois champion olympique et que, d’un coup, on voit la pupille qui brille dans leurs yeux, c’est drôle, c’est agréable.
Florian, en ce moment, vous êtes chez vous, à la Fédération française de cyclisme. Souvent, il y a une espèce de dichotomie entre les sportifs et la famille du sport, à savoir l’aspect institutionnel, les fédérations. Souvent, quand un sportif de haut niveau arrive, il a envie de remuer plein de choses. Est-ce que vous avez senti cette différence ? Est-ce qu’on agit différemment quand on est sportif et quand on est dans les institutions du sport ? C’est souvent soulevé comme un problème en France.
Je pense que, quand on est sportif, on n’a peut-être pas toute l’expérience et la connaissance de l’environnement ou de l’écosystème politique, institutionnel, de beaucoup de paramètres. On arrive avec notre fougue de sportif, de combattant, avec des idées et surtout beaucoup de détermination. Les sportifs, les champions sont comme ça. Parfois, ça peut bousculer ou gêner le monde institutionnel, cela a toujours été le cas.
Aujourd’hui, peut-être que l’époque est un peu différente, parce qu’il y a beaucoup de médias, il y a beaucoup de supports, notamment les réseaux sociaux. La parole d’un sportif peut être exposée plus facilement au grand public et relayée. Aujourd’hui quand je regarde des athlètes, je vois des sportifs qui s’expriment bien, qui sont à l’aise devant les médias. Bien sûr, il y a cette fougue, ou des convictions, très fortes, mais étayées et bien expliquées. Je trouve qu’on a des supers sportifs. Et heureusement qu’il y en a pour faire bouger les lignes parce que ce sont eux qui vivent le moment présent. Moi qui suis maintenant dans l’encadrement, j’ai un regard extérieur, avec une expérience, mais il faut aussi écouter ceux qui vivent l’instant, pour évoluer et bouger.
Alors, notre cyclisme, il présente une grande variété avec le BMX, le VTT, votre spécialité la piste, mais aussi la route. L’objectif, c’est combien de médailles ? Parce que tout est possible, jusqu’à Julian Alaphilippe ou Christophe Laporte champions olympique. Nos pistards, par exemple ?
Tout est possible, vous l’avez dit. Notre ambition, ça a toujours été de mettre les athlètes dans les meilleures conditions, de les accompagner, de les soutenir. Bien sûr, sur les aspects de la performance aussi, qui découle des conditions de préparation ou de compétition quand ils sont en sélection. Nous voulons que chaque athlète qui vienne avec nous puisse délivrer le meilleur de son potentiel le jour J : les médailles seront la résultante de tout cela. Nous, on est là pour accompagner, aider dans ce projet, dans ce rêve, dans cette conquête olympique, qui dépend d’eux : la médaille, c’est la leur.
Sur la piste, ce n’est pas facile, parce qu’ils n’arrivent pas avec la même position que vous aviez, vous, à l’époque.
Je ne suis pas devin, je ne peux pas faire de prédictions. Si on fait une projection, en regardant les indicateurs on s’aperçoit que l’on a été médaillé dans les cinq disciplines, au cours des deux dernières années, aux Championnats du monde. Après, quand on entre dans le détail de chaque discipline, la route reste une épreuve où il peut y avoir des faits de course, des favoris qui se marquent, et cela laisse des opportunités à d’autres. En-tout-cas, on sera là pour jouer les premiers rôles et surtout, jouer notre chance à fond dans toutes les disciplines. Voilà, aucun complexe ! Et puis bien sûr, il y a des athlètes de renom, que ce soit dans le VTT avec Pauline Ferrand-Prévot ou Mathilde Gros sur piste. Mais il ne faut pas oublier tous nos autres champions et nos championnes qui ont brillé ces deux dernières années aux Championnats du monde. Les Jeux restent une compétition à part : même adversaires, même format de compétition, à peu près. Mais pour gagner aux Jeux, le sportif doit être spécialement préparé mentalement. Le combat livré ce jour-là est intense.
Merci Florian Rousseau.