Edito
12H00 - samedi 27 avril 2024

L’Europe, ce malade imaginaire. L’édito de Michel Taube et Laurent Tranier

 

L’Europe bashing est de saison. Il est de bon ton, dans cette campagne pour les élections au Parlement européen qui n’en finit pas de commencer, de considérer comme acquis que décidément, du côté des institutions européennes, rien ne va : l’Europe serait inefficace face à l’immigration, sur l’agriculture, dans la défense de l’environnement, incapable de protéger ses intérêts industriels et commerciaux, insignifiante et dépendante des États-Unis sur le plan militaire et politique, en retard sur le plan scientifique et technologique, peu démocratique, technocratique, opaque et tatillonne, trop longue à se décider et en réalité largement incapable de le faire sur un grand nombre de sujets, et pour finir, éloignée des réalités et des préoccupations quotidiennes de ses citoyens. L’aperçu est large mais on pourrait continuer encore longtemps la liste des insuffisances supposées de l’Europe.

Pourtant, le territoire de l’Union européenne est en paix depuis 80 ans, ce qui n’était jamais arrivé de mémoire de Gaulois. Le niveau de vie dans la région reste parmi les plus élevés du monde. Les inégalités sociales et les déséquilibres structurels entre pays se réduisent. L’économie, sans être fringante, se maintient, et ne s’effondre pas même en Allemagne malgré les choix catastrophiques faits par ce pays en matière énergétique par exemple. Aucun grand parti politique, même populiste, ne remet ouvertement en cause l’idée européenne, personne ne proposant le Frexit, ni le Hongrxit, ni le Belgxit, etc. Plus personne ne met en cause l’Euro (les Français ont bien compris que c’est grâce à lui qu’ils peuvent continuer à emprunter démesurément pour financer leur train de vie social : trop commode). Les extrêmes-droites n’ont plus finalement à se mettre sous la dent que des sujets où l’Europe souffre davantage de « trop peu », que de « trop-plein », comme l’immigration. Une des figures de l’Europe, et presque l’une de ses promotrices, est désormais l’Italienne Georgia Meloni, issue d’un parti postfasciste et elle-même naguère europhobe.

L’Europe a gagné la bataille des idées

C’est le sens du propos d’Emmanuel Macron qui se réjouissait le 25 avril à la Sorbonne que l’Europe, la notion d’Europe unie et partiellement supranationale, a gagné le combat gramscien des idées, celui qui est préalable et nécessaire aux victoires politiques.

Et des victoires politiques, il y en a eu, et pas des moindre. Cela a beau être un cliché, il n’en reste pas moins vrai que les progrès de la construction européenne se sont toujours produits à l’occasion de crises. C’est ainsi. Et il se trouve qu’au cours du dernier mandat parlementaire, l’Europe et le monde ont traversé un nombre de crises sans précédent : du Covid-19 à la guerre en Ukraine, en passant par la période inflationniste, la crise de l’énergie, la crise migratoire ou le mécontentement des agriculteurs. Chaque fois, l’Europe a dû faire face, bon gré, mal gré. Et ses dirigeants ont dû trouver des solutions de compromis pour avancer : du plan de relance européen post-pandémie à l’achat en commun de vaccins ou de gaz, de l’adoption d’une régulation numérique à la réhabilitation du nucléaire.

Et les besoins sont encore là : non seulement la souveraineté européenne mais la puissance de l’Europe doivent s’affirmer, sur le plan politique et militaire, comme sur le plan économique et industriel, et pas seulement dans les industries vertes ou l’armement. La crise migratoire et la crise climatique ne sont pas près de disparaître et appellent de nouvelles réponses communes. Oui, les menaces sont politiques – l’audience semble-t-il croissante des extrémismes de droite et de gauche est une menace pour notre modèle de démocratie libérale – et géopolitiques – la Russie est un puissant et durable facteur de déstabilisation. L’Europe a devant elle une belle perspective de crises en tous genres qui appelleront les réponses qu’elle saura, comme toujours, inventer.

La force et la fragilité d’une démocratie authentique

En réalité, ce dont nous avons besoin, c’est de plus d’Europe et de mieux d’Europe. Et même ce point, personne ne le conteste vraiment. Quitte à réclamer à hauts cris une « autre Europe », slogan facile mais sans contenu crédible.

Alors pourquoi ce sentiment que tout irait mal ? Et bien parce que l’Europe est une démocratie. Parce que les oppositions politiques, la société civile et les intérêts catégoriels s’y expriment librement, parce que, bien sûr, ces acteurs et les observateurs font vivre des débats, constamment, et que l’intérêt bien compris des uns et des autres, pour capter l’attention, est de parler de ce qui ne va pas ou de ce qui divise. Et c’est une bonne chose, fût-ce au prix de donner l’impression que tout va mal et que personne n’est content. C’est le prix de la démocratie et de la liberté d’expression, dont nous ne nous priverions pour rien au monde. C’est une faiblesse de la démocratie, mais c’est aussi une de ses forces : le pouvoir, toujours observé, contesté et concurrencé, doit toujours y être en éveil, attentif, et s’efforcer d’être – ou de paraître – meilleur. Et même, le débat, l’effervescence, le désaccord, ce que certains appellent la crise, est un signe de bonne santé démocratique.

L’Europe est une démocratie imparfaite, comme toutes les démocraties : donc il y aura toujours à redire. Comme du reste au niveau national, dans chacun de ses pays membres. C’est vrai qu’on n’entend pas beaucoup les oppositions et la société civile en Corée du Nord ou en Chine. C’est que tout le monde doit y être content et la démocratie parfaite.

Vive la France, et vive l’Europe démocratique !

Michel Taube

Laurent Tranier, Rédacteur en chef Opinion Internationale, chef de rubrique Amériques latines, fondateur des Editions Toute Latitude

Directeur de la publication