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11H46 - lundi 29 avril 2024

Brice Lalonde : « Les pouvoirs publics doivent clairement soutenir l’électrification des usages de l’énergie dans les transports et dans le bâtiment »

 

Brice Lalonde – Photo © YS Corporate

Panneaux solaires, nucléaire, pompes à chaleur… la France avance à marche forcée vers ses objectifs de décarbonation. Après l’annonce de la création de deux « giga-factories » de fabrication de panneaux photovoltaïques, le gouvernement a lancé un plan d’action pour parvenir à produire en France 1 million de pompes à chaleur en 2027.

Brice Lalonde, ancien ministre de l’Environnement est président du cercle de réflexion Équilibre des Énergies. Celui-ci se consacre à la lutte contre le changement climatique en réunissant des entreprises et autres acteurs de la vie économique issus des secteurs du bâtiment et des travaux publics, de l’automobile, de l’aérien, du génie thermique et de l’énergie. Il répond aux questions de Laurent Tranier pour Opinion Internationale.

 

La pompe à chaleur, comme mode de chauffage, est un enjeu central de la transition écologique. Tout d’abord, pouvez-vous nous rappeler quel est le principe de son fonctionnement, son avantage environnemental et son intérêt pour les ménages, entreprises ou industries ?

BL – Une pompe à chaleur va puiser des calories dans l’environnement, c’est-à-dire dans l’air ambiant, l’eau ou le sol, et les transférer à l’intérieur d’un bâtiment pour chauffer l’air ou l’eau d’un système de chauffage. Les pompes à chaleur peuvent être couplées à des réseaux de chaleur urbains ou à la géothermie, voire à des chaudières dont elles économisent le combustible. Certaines pompes à chaleur air-air sont réversibles et peuvent évacuer les calories vers l’extérieur pour rafraichir un bâtiment.

 

Leur avantage réside dans leur rendement puisqu’elles fournissent 3 à 4 fois plus d’énergie sous forme de chaleur que l’énergie, généralement électrique, nécessaire pour les faire fonctionner. Ainsi non seulement elles économisent de l’énergie, donc réduisent les factures, mais aussi, dans les pays comme la France où l’électricité est décarbonée, elles n’émettent pas de gaz à effet de serre. Elles constituent donc le moyen privilégié de la décarbonation des bâtiments.

 

Malgré les atouts qu’elle représente, la conjoncture s’est retournée en 2023 et les installations ont baissé. Pour quelles raisons ? Quelles sont les menaces la concernant et comment les pallier ?

BL – Le marché des pompes à chaleur est porté par celui de la construction neuve et des aides à la rénovation. Il a souffert de la crise actuelle de la construction, mais aussi de la limitation des aides au profit des rénovations dites d’ampleur qui imposent au moins deux gestes d’isolation. L’expérience a montré que l’argent manque pour installer, en sus des travaux d’isolation, une pompe à chaleur.

La politique énergétique de la France reste hésitante quand il s’agit des bâtiments, ne sachant comment équilibrer l’isolation et le changement de la source d’énergie. Les deux sont nécessaires, mais en évitant la surenchère. Les résultats du 1er trimestre 2024 de MaPrimRénov’ sont mauvais. Du coup la rénovation par geste bénéficie à nouveau des aides de l’État, mais seulement jusqu’au 31 décembre 2024, ce qui ne sera sans doute pas suffisant. J’espère qu’elle sera prolongée. L’achat et l’installation d’une pompe à chaleur air/eau coûtent aux environs de 14 000 Euros. L’aide octroyée dépend fortement des revenus du ménage : de 3 000 à 5 000 euros. Les montants passent de 6 000 à 11 000 euros pour une pompe à chaleur puisant ses calories dans le sol. Le reste à charge reste donc assez élevé et les ménages aux ressources supérieures ne sont pas éligibles. Mais les calories puisées dans l’environnement sont ensuite gratuites et l’on peut compter sur une durée de vie de la pompe allant de 15 à 20 ans. La filière des pompes à chaleur ne cesse d’innover et il est vraisemblable que les coûts vont baisser. A budget donné, c’est la pompe à chaleur qui est de loin la plus efficace au regard des objectifs de la politique énergie-climat.

A l’approche des élections européennes, nous assistons à des tentatives de remise en cause de la politique climatique de l’Union européenne. Elles instillent un doute qu’il faut combattre. Les pouvoirs publics doivent clairement soutenir l’électrification des usages de l’énergie dans les transports et dans le bâtiment. Parce que l’électricité peut être produite sans émissions de CO2, sa part doit passer de 25% à plus de 50% de la consommation finale d’énergie en 2050. Mais cette part peine à décoller. La France est encore régie par les lois qui prescrivent de fermer une dizaine de réacteurs nucléaires. La réglementation des bâtiments et le diagnostic de performance énergétique pénalisent l’électricité d’un coefficient 2,3 qui aboutit à plus que doubler artificiellement la consommation conventionnelle des bâtiments chauffés à l’électricité. Ces dispositions favorisent l’usage du gaz naturel fossile. L’incertitude politique et réglementaire est préjudiciable au développement des pompes à chaleur. Les industriels qui s’interrogent sur les prix futurs des énergies en France et en Europe ont besoin d’un cadre offrant certitude et stabilité pour investir.

J’ajoute qu’il faudra augmenter le nombre des chauffagistes et les aider à maîtriser les techniques d’installation et de maintenance des pompes à chaleur.

 

Le fabricant français de panneaux solaires Systovi vient de faire faillite peu après que le gouvernement ait annoncé des objectifs ambitieux d’installation de panneaux en France, avec une forte proportion de Made in France. Le symbole est assez désastreux… les raisons sont diverses mais on sait l’agressivité commerciale actuelle de la Chine dans tous les domaines, notamment la transition écologique, la réponse protectionniste des Etats-Unis… Que peut-on faire pour éviter qu’un tel fiasco ne se reproduise, notamment dans le domaine des pompes à chaleur ? La France, l’Europe, doivent-elles et peuvent-elles protéger leur industrie ?

BL – C’est vrai et c’est un crève-cœur. Je crois que nous devons, en effet, protéger notre industrie tout en tentant de dialoguer avec les Chinois. Ils peuvent comprendre que l’Europe et la France n’ont pas envie de troquer une dépendance au pétrole contre une dépendance aux industries chinoises. Il faut donc mettre en œuvre rapidement ce colbertisme vert que réclament les acteurs du solaire et que nos ministres ont amorcé dans le Pacte solaire, notamment la sélection des panneaux photovoltaïques en fonction de l’empreinte carbone de leur fabrication ou de la loi européenne pour l’industrie net-zéro qui oblige à diversifier l’origine des matériels solaires. Le gouvernement veut créer un label semblable au nutriscore, l’industriscore, qui indiquerait la part du made in France dans les produits présents sur le marché.

Tout de même le solaire français annonce quelques bonnes nouvelles avec deux projets de « giga-factories » à Fos-sur-Mer et Hambach en Moselle, tandis que la SNCF s’engage à acheter français pour équiper ses lignes de chemins de fer d’installations photovoltaïques rectilignes le long des voies.

 

Les pompes à chaleur partent d’une bien meilleure situation puisque 60% des pompes installées sont fabriquées en France par des industriels français ou des filiales d’entreprises étrangères présentes sur notre territoire. Les crédits d’impôts, les aides et la commande publique sont les bons outils. Reste à stimuler la demande. Ça tombe bien, les Français se laissent tenter de plus en plus par l’autoconsommation et les toits solaires. Un toit solaire peut actionner une pompe à chaleur air/air pour rafraichir l’habitation en été ou contribuer à recharger le véhicule électrique !

 

Vous appelez à la mise en place de mesures pour stimuler la demande en France. Les annonces du Ministre sont-elles réalistes ? Quel serait l’effet de la mise en place de Certificats d’Économie d’Energie (CEE) ? Des réductions pour les particuliers ?

BL – Les CEE sont censés proposer une aide, cumulable avec MaPrimRénov, à l’installation d’une pompe à chaleur air-eau. Nous proposons dans le calcul des certificats d’économie d’énergie octroyés d’accorder une bonification, un « coup de pouce » de 25 % au moins, lorsque l’opération permet de passer des énergies fossiles à une énergie décarbonée. La loi le permet, il suffit de l’appliquer.

Par ailleurs, le bénéfice des aides aux pompes à chaleur n’est pas ouvert à l’installation des pompes à chaleur air-air qui permettent pourtant de réduire la facture des logements chauffés à l’électricité. Madame Borne, alors Première ministre, avait évoqué une possible élimination progressive des chaudières à gaz qui n’a pas été retenue. En revanche la législation européenne des bâtiments prévoit que les bâtiments ne pourront plus être chauffés au gaz à partir de 2040 tandis que les bâtiments neufs devront être équipés de panneaux photovoltaïques. Les États membres auront à baliser la route vers l’application de ces décisions qui ont donné lieu à de vifs débats. L’extension du marché européen du carbone au chauffage pourra contribuer à stimuler la demande des pompes à chaleur.

 

Merci Brice Lalonde.

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