Les cols blancs du sport se ruent sur le festin. Managers, directeurs sportifs, communicants, dirigeants, sponsors, rejoignent les structures développant la pratique du « sport » électronique. Les pouvoirs publics s’emparent logiquement du phénomène. Récemment, Amélie Oudéa-Castéra, ministre des Sports, et Marina Ferrari, Secrétaire d’État chargée du Numérique, ont salué la dynamique économique de l’e-sport français à l’occasion de la remise du premier rapport de l’Observatoire économique de l’e-sport.
En 2022, ce marché a atteint dans notre pays une valeur d’environ 141 millions d’euros, avec un chiffre d’affaires global en augmentation de 55% par an en moyenne depuis 2019.
Tout le monde tâtonne. Faut-il traiter le e-sport comme les autres disciplines sportives ? Le programmer à la télévision ? L’intégrer aux Jeux Olympiques ? C’est à se demander si le business du sport n’en oublie pas la définition de ce pour quoi il existe : « Activité physique visant à améliorer sa condition physique. Ensemble des exercices physiques se présentant sous forme de jeux individuels ou collectifs, donnant généralement lieu à compétition, pratiqués en observant certaines règles précises » (définition du sport dans le Larousse)…
La galaxie L’Équipe, référence du traitement sportif en France consacre des contenus à l’e-sport dans ses médias. L’objectif évident tient à la volonté d’intéresser un public jeune de moins en moins consommateur de télévision et de presse écrite. Cela donne des traitements surprenants. Traduisez si vous le pouvez cet extrait tiré du site de L’Équipe : « Les play-offs du segment de printemps du LEC démarraient ce week-end à Berlin. Après les deux premiers tours, G2 semble trois crans supérieur aux autres et affrontera un BDS retrouvé. SK Gaming et GIANTX sont hors course ».
Ces nouveaux noms d’équipes, bien loin des appellations façon « terroirs » comme « l’Union sportive », « le Football club » « l’Athletic club », s’apparentent à des start-ups, aspirant à générer des profits considérables.
La France observe l’essor d’un écosystème dynamique et prometteur. Le nombre d’emplois générés par l’e-sport augmente. L’engagement du Gouvernement répond à l’ambition de faire de la France le leader européen du e-sport.
Les chaînes de télévision imaginent qu’en programmant des compétitions, les jeunes quitteront leur ordinateur pour retrouver leurs jeux préférés sur l’écran de leurs parents.
BeIN SPORTS diffuse une émission hebdomadaire animée par deux personnalités connues de la communauté Internet. Canal+ tente un rendez-vous dédié tous les dimanches soir assez tard, comme il y a 40 ans pour la NBA. La recette peut-elle vraiment fonctionner ?
ES1, restera la première chaîne de télévision 100% e-sport éditée par le groupe Webedia avec 1,3 million de téléspectateurs par mois, disponible chez l’ensemble des opérateurs désormais sous le nom de MGGTV.
En conséquence, le gouvernement invite les acteurs du e-sport à prendre davantage en compte les enjeux sociétaux que sont l’ancrage dans les territoires, les partenariats avec les clubs sportifs, la féminisation de la pratique et la protection des pratiquants afin de lutter contre les risques, d’addiction aux écrans, d’isolement, de sédentarité, ou de cyber-harcèlement.
Amélie Oudéa-Castéra déclare : « Nous avons désormais toutes les cartes en main pour « savoir», « prévoir », et donc, collectivement, « pouvoir ». Avec un cap, (…) faire de la France une grande nation e-sportive, dynamique, forte et responsable. »
Il nous reste à aborder le sujet qui fâche. Les Jeux olympiques refusent pour l’instant d’intégrer le sport électronique à leur programme. Aussi, les Séries olympiques d’e-sports (OES) ont été créées, une véritable compétition mondiale de sports virtuels et simulés créée par le CIO en collaboration avec les fédérations internationales et les éditeurs de jeux vidéo.
Les joueurs professionnels et amateurs du monde entier y sont invités. La première édition s’est déroulée à Singapour.
La France affiche une double fierté pas obligatoirement compatible : la pratique du sport comme grande cause nationale pour cette année 2024 et son rôle de dynamiseur de la pratique du e-sport. Toute la stratégie ministérielle consistera à créer une totale interactivité entre les deux activités pour en quelques sortes, habiller l’une sans déshabiller l’autre.
Frédéric Brindelle
Journaliste, chef de rubrique « Opinion Paris 2024 »