Un serpent de mer. La simplification administrative était au cœur de la seconde campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2012. C’est finalement son successeur qui aura le privilège de marquer les esprits en annonçant un « choc de simplification » à destination des entreprises. Un chantier spectaculaire dont Emmanuel Macron sera d’ailleurs le grand témoin, à l’Élysée aux côtés de François Hollande au début de son quinquennat, puis un peu plus tard en tant que ministre de l’Économie.
Pourquoi l’actuel chef de l’État a-t-il, dès lors, attendu sept ans avant de dégainer lui-même son propre projet de loi « Simplification », présenté en Conseil des ministres mercredi dernier par Bruno Le Maire ? Pour une raison aussi simple qu’inavouable : avec un endettement public qui atteint des records, l’heure n’est plus aux grandes annonces fiscales. Et même la promesse de baisse des impôts de production, qui tient tant à cœur aux organisations patronales, se heurte aujourd’hui à un objectif de redressement de la trajectoire des finances publiques qui oblige le gouvernement à faire feu de tout bois.
Alors, promettre aux employeurs d’abolir la complexité, en réduisant le temps qu’ils vont devoir consacrer aux formalités administratives, c’est déjà un bon moyen de faire patienter les entreprises, elles-mêmes si exposées à un environnement géopolitique et macro-économique particulièrement dégradé en ce printemps 2024.
En une cinquantaine de mesures, dont un peu plus de la moitié (26) d’ordre législatif, le gouvernement se fend donc d’un nouveau plan censé contribuer à passer, côté entreprise, d’une logique de défiance à un esprit de confiance dans la relation avec les administrations. La main sur le cœur, Bruno Le Maire jure qu’avec un bulletin de paye simplifié, l’allègement des déclarations d’arrêt maladie ou encore un meilleur accès des petites et moyennes entreprises aux marchés publics, la donne va changer. Avec moins de documents CERFA à remplir et transmettre aux autorités administratives, la reconnaissance du droit à l’erreur dans les déclarations des entreprises ou encore la mise en place d’un « test PME » (article 27), imposant une évaluation par l’administration des conséquences prévisibles des projets de loi concernant les entreprises de petite taille, les sociétés vont enfin pouvoir travailler et innover en paix !
Ainsi soit-il. Mais sans vouloir endosser le mauvais rôle et jouer les Cassandre, cette nouvelle couche de simplification ne suffira pas. Car le chantier absolu susceptible d’éradiquer le mal français le plus grave, n’est pas abordé dans le texte de loi : celui de la prolifération des normes.
Un mythe, l’avalanche législative et réglementaire hexagonale ? Plutôt un cauchemar éveillé. Le stock de textes écraserait n’importe quel adulte qui tomberait dessous : 400 000 normes, actuellement rassemblées dans plus de 11 500 lois, auxquelles s’ajoutent pas moins de 130 000 décrets. Dit autrement, ce sont presque deux mètres cinquante de hauteur de codes en tout genre (codes du travail, du commerce…) qui nécessiteraient 2 357 heures de lecture pour en venir à bout. De quoi faire une indigestion et en mourir.
Car si le « stock » est considérable, rien n’est sérieusement fait pour inverser la tendance s’agissant du flux. Lors de la XVIe législature en cours, ce sont déjà 128 textes de loi qui ont été promulgués depuis le 22 avril 2022, soit une moyenne de six nouvelles lois par mois. Fermez le ban !
Non seulement les lois s’accumulent, mais elles sont plus bavardes que jamais. Il a ainsi été calculé qu’en vingt ans (2002-2022), le nombre de mots (Légifrance) par texte serait passé de 2386 à presque le triple aujourd’hui, avec 6064 mots (maux ?).
Et les Sénateurs, qui tiennent les comptes, font même remarquer, dans leur dernier bilan d’application des lois au 31 décembre de l’année dernière, que sur la seule session 2021-2022, le taux d’application des 64 lois promulguées n’a été que de 65%, soit bien moins encore qu’en 2017-2018 par exemple (78% à cette époque).
S’il y a donc un chantier pharaonique et prioritaire à ouvrir lors des futurs États généraux de l’entreprise libérée et responsable que j’appelle de mes vœux avec Michel Taube, c’est celui de l’inflation normative. Alléger véritablement la charge administrative des entrepreneurs, c’est les soumettre à moins d’obligations, leur offrir plus de stabilité juridique pour leur permettre, en définitive, de concentrer leur énergie sur leur activité et leur développement. On fonce !?
François PERRET
Economiste, professeur affilié à ESCP-Business School, vice-président du think-tank Etienne Marcel, et auteur de « Non. Votre salaire n’est pas l’ennemi de l’emploi ! Vaincre l’austérité salariale, c’est possible » (éd. Dunod)