Au 1er janvier prochain, les allocataires du RSA devront justifier de quinze heures d’activité, formation ou recherche d’emploi par semaines pour continuer à bénéficier du dispositif. L’expérimentation en cours démontre l’importance de l’accompagnement. Mais les moyens seront-ils au rendez-vous ?
Plus de 2 millions de personnes perçoivent le Revenu de solidarité active (RSA)[1]. Alors que la Drees estime à 34 % les Français qui pourraient y avoir recours mais ne l’ont pas fait, généralement par ignorance de leur droit, le coût du dispositif pour la dépense publique dépasse les 15 milliards d’euros annuels, suite à une hausse de plus de 3 % en un an[2]. Face à une telle évolution, la loi pour le plein emploi de décembre 2023 prévoit une obligation « d’activité » de 15 heures par semaine pour les bénéficiaires du RSA. Elle fait le constat que ceux-ci ne sont pas assez incités à sortir de cette situation. Selon une étude du service statistique du ministère (Drees), 20 % d’entre eux y restent plus de dix ans et la moitié y retourne quelques mois après en être sortis. Ce qui devait être un filet de sécurité face aux accidents de la vie, est devenu un état, certes précaire, dans lequel trop nombreux sont ceux qui ne parviennent pas à sortir.
Depuis 2023, cette incitation à l’activité fait l’objet d’une expérimentation dans dix-huit départements. Ils ont été rejoints en mars dernier par vingt-neuf autres. La moitié des départements français est donc engagée dans cette initiative. La loi a aussi prévu sa généralisation au 1er janvier prochain. Il est donc paradoxal de prévoir dans la même loi une expérimentation et, sans attendre les résultats de son évaluation, projeter le principe de sa généralisation dans un terme aussi proche. Les études du ministère du Travail ont montré que le temps de retour à un emploi ordinaire d’une personne titulaire d’un emploi aidé se compte plus en années qu’en mois. De quelles informations pertinentes le gouvernement disposera-t-il dès décembre prochain, notamment sur la réussite ou non du parcours vers l’emploi des personnes entrées depuis si peu de temps dans l’expérimentation ?
La même précipitation avait eu lieu en 2009 lors de la création du RSA. Dans la foulée de la crise économique et financière inédite débutée l’année précédente et qui aura entraîné en France la destruction de plus de 350 000 emplois en quelques mois, le Haut-commissariat, dirigé par Martin Hirsch, mis sous pression politique avait précipité et forcé les résultats des évaluations menées par la Drees.
Un mot clef : « contrepartie »
Le sujet des contreparties demandées aux bénéficiaires des aides sociales n’est pas nouveau. Déjà lors de la création du RMI, en 1988, le gouvernement Rocard avait obtenu le vote de l’opposition de droite par le compromis consistant à inscrire le « i » d’« insertion » dans son acronyme.
Le sujet est toujours d’actualité et la méthode reste inchangée. Première étape : définir les obligations ; puis mettre en œuvre leur application ; enfin prévoir, le cas échéant, des sanctions adaptées.
Depuis la décentralisation de 2003, les Conseils départementaux financent et administrent le RSA. La CAF est l’opérateur qui en assure le paiement. Il existe déjà un Contrat d’engagement réciproque (CER) entre le bénéficiaire et le département. Il est, avec plus ou moins de retard, signé par les deux parties. Il prévoit une palette d’actions d’insertion dont la recherche d’emploi n’est pas la plus fréquente : ces actions concernent en premier lieu la santé (36 %)[3], puis des dispositions familiales telles que la garde d’enfants (25 %), l’inscription dans un parcours d’emploi venant en troisième position avec 22 %.
La situation sociale, familiale, sanitaire ou psychologique des demandeurs est telle que deux tiers d’entre eux déclarent des obstacles sérieux à la recherche d’emploi[4].
La portée de ce CER n’est d’ailleurs pas comprise : 42 % des bénéficiaires déclarent n’avoir pas entendu parler de droits et de devoirs. Les textes déjà en vigueur sont difficilement appliqués.
L’Observatoire de l’action sociale décentralisé (ODAS) a conduit en 2020 une enquête (auprès d’une trentaine de directeurs de l’insertion des Conseils départementaux) sur les difficultés à faire appliquer ces textes. Ceux-là ont cité une mauvaise information des devoirs des bénéficiaires accrue par la dématérialisation des procédures, l’ambiguïté des contrats d’engagements réciproques, l’absence de culture d’emploi des travailleurs sociaux en charge d’accompagner les bénéficiaires et parfois même leur réticence à sanctionner.
Avec un montant de fraudes estimé à 1 milliard d’euros par an, il apparaît que celles qui sont détectées ont été dans deux cas sur trois générées par des omissions ou erreurs de déclaration non intentionnelles. Les procédures de sanctions, très encadrées par le code d’action sociale et des familles (CASF), ont concerné environ 15 % des bénéficiaires. Elles font suite le plus souvent à une absence à une convocation ou à une réunion. Il faut au moins trois relances de courrier avant une sanction de réduction partielle du montant de l’allocation, qui provoque immédiatement le retour de l’allocataire et le rétablissement de la prestation. Avec les recours juridiques possibles, il faut compter plus de six mois de délai entre le fait générateur et l’application de la sanction.
Surmonter l’échec de l’accompagnement
Entre le vote d’une loi renforçant les obligations des allocataires du RSA et sa mise en œuvre réelle, le chemin à parcourir est parsemé d’embuches.
Sur le principe, demander une contrepartie à ceux qui reçoivent une allocation publique est parfaitement justifiable. L’obligation des 15 heures n’est pas nécessairement celle d’un travail : elle peut être d’effectuer des actions de recherche d’emploi, de gardes d’enfants, voire de rendez-vous médicaux, comme c’est déjà le cas dans les CER. Définir une durée hebdomadaire minimale pour ce type d’actions a-t-il un sens ? Ce sont les moyens humains mis en œuvre pour cet accompagnement « rapproché et individualisé » qui seront déterminants pour la réussite du projet.
Or, l’augmentation du nombre de bénéficiaires du RSA a augmenté fortement les dépenses des Conseils départementaux, obligés de financer un dispositif sur lequel ils n’ont pas la main, les conditions d’attribution étant définies par la loi. Cela les a conduits depuis une dizaine d’années à réduire le financement consacré aux actions d’insertion. De fait, le financement de l’accompagnement ne cesse de diminuer : il n’est désormais plus que de 530 millions d’euros par an, soit 5 % du coût total. Un constat que la Cour des comptes n’hésite pas à qualifier d’« échec » de l’approche d’équilibre entre l’aide monétaire reçue par l’allocataire de la solidarité nationale et les efforts, individuels et collectifs, de réinsertion.
Choisir d’expérimenter, sur un dispositif aussi sensible socialement qu’en termes de dépenses publiques, est certes de bon sens. Encore faut-il se donner le temps d’évaluer avec minutie les modalités d’application, les éventuels biais et les effets de long terme de toute modification. La mise en œuvre d’une réforme du RSA ne doit pas tomber dans les travers dictés par l’urgence et la précipitation, d’autant plus lorsqu’elle se donne pour objectif d’améliorer l’accompagnement de l’allocataire dans sa recherche d’emploi. La décision d’ores et déjà actée d’une généralisation de l’expérimentation dès le 1er janvier 2025 est lourde de responsabilité.
François JEGER, Olivier PERALDI
Co-fondateurs de l’Institut Chiffres & Citoyenneté
[1] Rapport Cour des Comptes, mars 2022.
[2] Sécurité sociale, RSA Conjoncture, n°39, octobre 2023.
[3] Drees vague 2021 de l’enquête ORSA, décembre 2023.
[4] Drees, Etudes et résultats, n°1252, janvier 2023.