Opinion Paris 2024
15H01 - dimanche 12 mai 2024

Un geste pour l’histoire (épisode 2) – Dans les yeux de Paris 2024, la chronique #18 de Frédéric Brindelle

 

La lutte contre le racisme mobilise les athlètes, habitués à communier sur les terrains avec des partenaires ou adversaires originaires du monde entier. Leurs célébrations offrent des images touchantes d’humains aux faciès divers, unis dans la victoire et l’amitié. Pourtant, certains ne parviennent pas à s’inscrire dans cet humanisme prôné par le sport et plus spécifiquement l’olympisme. Ils affichent leur soutien aux idéologies de leurs dirigeants politiques et placent le Mouvement olympique face à ses limites.

Aujourd’hui encore, le conflit Israëlo-Palestinien, à quelques jours de la cérémonie d’ouverture de nos Jeux, soulève des débats aux racines ancestrales. Comment la France gèrera-t’elle sur son sol la rencontre des délégations des pays musulmans avec celle d’Israël ?

Ce conflit ternit l’image de l’olympisme depuis l’après guerre. L’attentat commis au onzième jour de l’édition de 1972, à Munich par des terroristes de l’organisation palestinienne « Septembre noir » restera comme l’une des plus sombre séquence de l’histoire. L’opération répond au traumatisme de la guerre des Six Jours.

4h30 du matin: tandis que les athlètes dorment, huit terroristes palestiniens s’introduisent dans le village olympique, grâce à l’aide d’athlètes canadiens tombés dans le piège. Puis ils pénètrent dans les deux appartements de la délégation israélienne, dont ils ont volé les clefs. La prise d’otages d’athlètes israéliens se termine abominablement, par l’assassinat de onze d’entre eux.

Les Jeux se poursuivront après une cérémonie commémorative durant laquelle le Président du Comité international olympique Avery Brundage, soupçonné d’antisémitisme, salue la force du mouvement olympique, sans mentionner les athlètes assassinés, et déclare que les Jeux doivent continuer.

Le judoka iranien Arash Miresmaeili, favori dans la catégorie des moins de 66 kilos porte le drapeau de son pays lors de la cérémonie d’ouverture à Athènes en 2004. Quelques jours plus tard, il justifie devant la presse son incompréhensible disqualification après s’être présenté à la pesée avec 5,5 kilos de trop : « Je me suis entraîné pendant des mois, je suis en forme, mais je refuse de combattre contre un Israélien, par sympathie pour les souffrances du peuple palestinien, et cette élimination ne me bouleverse pas ». La stupeur envahit le village olympique, l’homme s’est fait grossir en quelques heures pour quitter l’évènement majeur de sa vie d’athlète. Il reçoit dans la foulée les félicitations des autorités de son pays.

Le Mouvement olympique traite désormais ce genre de gestes avec beaucoup plus d’intransigeance. A Tokyo en 2021, la Fédération internationale de judo suspend pour 10 ans l’Algérien Fethi Nourine, ainsi que son entraîneur, qui refusent d’affronter un adversaire israélien . « J‘ai été choqué quand j’ai vu que le tirage au sort m’opposait au judoka de l’entité sioniste que je n’attendais pas. Je n’ai pas hésité à prendre la décision de me retirer. »

Le geste politique s’adresse souvent au pays organisateur dont la désignation résulte d’un vote des membres du Comité International Olympique. Une nouvelle fois, la puissance diplomatique de l’institution modifie la face du monde. Dans certains cas, elle peut légitimer une dictature quand elle la missionne pour accueillir les Jeux, au mépris des revendications de ses victimes.

En 2014, c’est à la Russie que revient l’honneur d’organiser l’édition d’hiver. Une désignation survenue 7 ans plus tôt. Même si le conflit Russo-Ukrainien pointe au tableau des tensions internationales, rien ne laisse craindre ce premier envahissement, en Crimée des troupes de Vladimir Poutine. L’annexion se produit en pleine compétition. Le malaise décrédibilise le mouvement olympique.

Des athlètes ukrainiens quittent la compétition pour protester contre l’usage de la force à Kiev au cours de l’épreuve.

La légende locale de l’athlétisme Sergueï Bubka livre son point de vue : « la meilleure chose pour l’équipe est de rester à Sotchi, pour montrer sa solidarité avec ceux qui souffrent en Ukraine ». 

Le Comité olympique ukrainien réplique en faisant état de sa demande auprès du CIO, quelques jours plus tôt, pour porter un brassard noir. Une initiative rejetée car contraire à la Charte olympique. Le CIO et la délégation ukrainienne s’accordent toutefois pour que des rubans noirs soient accrochés aux drapeaux ukrainiens flottant dans le village olympique. Pouvait-il en être autrement quand un pays viole la Charte des Nations Unies ?

10 années plus tard, le conflit connaît son apogée et la Russie se voit exclue des Jeux de Paris. Ses athlètes pourront concourir uniquement à titre individuel, sous bannière neutre. La Russie et la Biélorussie, son allié, n’apparaîtront dans aucun document officiel. Le CIO, une nouvelle fois, s’invite à la table des négociations internationales.

Frédéric Brindelle
Journaliste, chef de rubrique « Opinion Paris 2024 »