Qu’il paraît déjà loin le temps où Emmanuel Macron fixait le cap vers le plein-emploi pour 2027. Les succès de son premier quinquennat autorisaient alors le chef de l’État à ambitionner de ramener le taux de chômage à seulement 5% de la population active (mesuré par l’Insee au sens du Bureau international du travail), soit deux points de pourcentage de moins que ce que notre pays avait atteint il y a deux ans. Un résultat déjà honorable après les niveaux records atteints il y a quelques années quand l’un de ses illustres prédécesseurs, François Mitterrand, avouait, au contraire, son impuissance en laissant entendre que « tout avait été essayé » mais en vain pour faire battre en retraite ce mal apparemment incurable rongeant le marché du travail.
Et puis, après l’éphémère reprise post-Covid 19, l’invasion de l’Ukraine, la crise énergétique et l’inflation qui s’en sont suivis, ont ruiné cet espoir d’un chômage enfin jugulé : au 4ème trimestre 2023, il est remonté à 7,5%, avec un consensus des économistes tablant plutôt aujourd’hui sur une progression autour de +0,7% cette année et même +1,5% l’an prochain. De quoi suggérer à François Hollande, empêché il y a sept ans de se présenter à sa propre succession présidentielle, qu’avec les 9,4% d’alors il n’aurait finalement pas laissé le pays en si mauvais état…
Preuve que si les acteurs politiques changent, les problèmes de l’économie française demeurent. Les dégradations conjoncturelles n’expliquent pas à elles seules les replis successifs de l’emploi. Une fois la croissance revenue, nous allons devoir ramer dur pour rejoindre la rive du plein-emploi. Car structurellement, cet objectif suppose d’accélérer les mobilités professionnelles, qui restent aujourd’hui un frein aux reconversions professionnelles et à la résolution du chômage « frictionnel ».
Mais comment faire pour y parvenir ?
D’abord en oubliant la formule du premier président socialiste de la Ve République, car autant le dire sans ambages : NON, tout n’a pas encore été essayé contre le chômage !
Ensuite, en repensant l’approche. Car on oublie parfois un peu vite qu’il serait erroné de faire l’impasse sur une étape décisive : le basculement de notre économie vers les filières et les métiers d’avenir. L’économie française souffre d’un paradoxe étonnant : la rapidité de ses transformations bute pour l’instant, non sur le manque de vision des dirigeants, mais sur les tensions de recrutement rencontrées par les employeurs sur le marché du travail alors même que beaucoup d’actifs occupent, par ailleurs, un emploi frappé d’obsolescence.
Face à ce fléau, notre devoir c’est bien de créer 1 million d’emplois dans les secteurs d’avenir, comme Élisabeth Borne en avait fixé l’objectif depuis l’hôtel Matignon.
Et il n’y a pas trente-six manières de s’y prendre pour réussir : l’appareil de formation, initiale et continue, doit être mis au service de cette ambition, en accélérant aussi les reconversions professionnelles vers les secteurs appelés à connaître des transformations radicales sous l’effet des deux révolutions numérique et écologique.
Qu’on prenne bien la mesure du problème, qui est aussi la solution : 800 000 postes seraient vacants rien que dans le numérique. Quant aux emplois « verts », ils occupent déjà la bagatelle de 4 millions d’actifs, avec des volumes qui pourraient exploser si l’on se fie aux rapports de l’Observatoire national des emplois et métiers de l’économie verte (ONEMEV).
Alors, notre économie va devoir consentir un double effort. Côté public, en poursuivant le fléchage des moyens vers les bras armés de l’État dont la mission est d’accompagner ces transformations : France compétences (autorité nationale unique de régulation et de financement de la formation professionnelle et l’apprentissage depuis 2019) ainsi que France Travail, chargée depuis le 1er janvier dernier de dépoussiérer les méthodes de l’ex-Pôle Emploi et de mieux fédérer les acteurs de l’emploi dans les territoires.
Mais l’État, à l’épreuve de sa propre modernisation et d’une crise des finances publiques profonde, ne pourra pas tout. Ce sont aussi aux acteurs académiques, publics et privés, de s’organiser pour accélérer la cadence et répondre au besoin national impérieux de mobilités et de reconversions professionnelles nécessitées par la réindustrialisation et la double transformation écologique et digitale.
Acteurs académiques et entreprises peuvent désormais compter sur un arsenal très complet pour accompagner les transitions professionnelles. Les dispositifs pour financer les évolutions professionnelles se sont grandement étoffés : entre le compte professionnel de formation (CPF) et sa variante le « CPF de transition professionnelle », le plan de développement de compétences (PDC) ou encore la promotion de l’alternance pour les salariés moins qualifiés (de niveau inférieur à Bac+3), les outils sont nombreux et permettent de partir soit de la volonté de l’employeur soit de celle exprimée par le salarié.
Ce nouveau cadre d’exercice de la formation professionnelle est un atout précieux pour construire les réponses académiques, tout particulièrement en matière de formation continue. C’est évident.
Les initiatives se démultiplient, mais elles sont encore insuffisamment connues.
Sur le volet de la formation initiale, beaucoup de réponses spécialisées ont déjà vu le jour pour former les étudiants aux métiers de la transition écologique, par exemple : masters sur la ville durable, l’écoconception, la transition des entreprises ou encore l’urbanisme et l’aménagement.
En formation continue, les expériences pilotes restent encore trop circonscrites même si les projets s’accélèrent. Quelques acteurs français, plus visionnaires que d’autres, commencent déjà à regarder ce qui se passe ailleurs et à s’en inspirer. En l’espèce, trois modèles étrangers reconnus (« Harvard Extension School » aux États-Unis, le dispositif « Skills Bootcamp » au Royaume-Uni, ainsi que « EPFL Extension School » en Suisse) méritent d’être regardés attentivement, car leur caractère innovant provient aussi de la souplesse des formations qu’elles proposent, tenant compte à la fois des contraintes des entreprises libérant leurs salariés pendant les formations et de l’objectif d’offrir une formation de courte durée, avec un fort potentiel d’employabilité pour les apprenants s’y engageant.
Selon les statistiques officielles communiquées sur son site, la « Harvard Business School » adresserait un public annuel de 15 000 apprenants, autour d’une offre réunissant la préparation à 70 diplômes et certificats différents, comportant une grande majorité de cours en ligne.
« Skills Bootcamp » propose, pour sa part, des cours sur une base volontaire et flexible aux salariés durant 16 semaines consécutives. Avec la promesse d’offres d’emplois à l’issue d’une formation vantée par le « National Careers Service ». La liste des apprenants passés par le dispositif est par la suite adressée aux employeurs, qui recherchent des compétences en interne.
Enfin, l’EPFL (Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne) Extension School propose depuis 2017 une série de programmes en ligne, principalement axés sur les nouvelles technologies, permettant d’obtenir un « Certificate of Open Studies » (COS) sans aucun prérequis.
A son tour et sur les traces de ses glorieux homologues, l’ESCP, par la voix de son directeur général, le Pr Léon Laulusa, a annoncé le mois dernier – ce qui est une première en Europe au niveau des Business School – le démarrage à l’automne prochain d’une première promotion de son « ESCP Extension », sous la forme d’un certificat de 150 heures environ. Un dispositif destiné « aux actifs en poste, en mobilité ou en reconversion professionnelle, qui souhaitent donner une accélération à leur transition professionnelle et participer aux grandes transformations du monde économique ». Démarrage à l’automne 2024.
Si l’on veut à la fois résoudre la problématique des tensions de main d’œuvre et de l’attractivité des PME dans de nombreuses filières tout en offrant un avenir prometteur aux collaborateurs évoluant aussi bien côté public que côté privé, notre appareil de formation doit muscler son offre dans les années qui viennent. Le plein-emploi est à ce prix.
François PERRET
Economiste, professeur affilié à ESCP-Business School, vice-président du think-tank Etienne Marcel, et auteur de « Non. Votre salaire n’est pas l’ennemi de l’emploi ! Vaincre l’austérité salariale, c’est possible » (éd. Dunod)
Retrouvez l’entretien vidéo avec François Perret : « Pour vaincre l’austérité salariale, il faut augmenter les compétences pour faire décoller les rémunérations ».