Président du Groupe d’études « Prisons et conditions carcérales » de l’Assemblée nationale et membre de la Commission des lois constitutionnelles, Philippe SCHRECK est Député du Var, avocat et ancien bâtonnier. Il réagit à l’assassinat sauvage de deux agents pénitentiaires, trois autres ayant été grièvement blessés, dans l’Eure lors de l’évasion d’un détenu, Mohamed Amra, actuellement en fuite.
Ce matin, un agent pénitentiaire a embrassé sa compagne enceinte de cinq mois, en lui caressant le ventre, sentant battre le cœur de son bébé, et il lui a simplement dit : « à ce soir ! ».
Ce matin, un autre gardien de prison a aussi dit « à ce soir » en évoquant l’anniversaire de ses enfants qu’il devait fêter ce week-end.
Voilà deux tranches de vie, communes et heureuses à la fois.
Ces deux agents sont morts. Ils ont été abattus froidement. Ils ne rentreront pas. Il n’y aura pas d’anniversaire. Il n’y aura que du sang, des orphelins, de la dévastation et des cercueils.
Président du groupe d’études « prisons et conditions carcérales » à l’Assemblée nationale, je prends ma modeste plume pour hurler ma colère et ma peine, pour crier ma solidarité envers tous les fonctionnaires de l’administration pénitentiaire. Sidéré, révolté, triste, je ne veux pas évoquer ici les conséquences ou mesures politiques. Je ne pense qu’à ces familles.
Ces surveillants, exemplaires et sous-payés, connaissent les risques de leurs fonctions à l’instar de nos policiers et de nos gendarmes. Il m’est insupportable de savoir qu’en réalité ils n’avaient aucune chance, car sous armés et confrontés à des scènes de guerre vraisemblablement organisées depuis une cellule de nos prisons, au sein d’une société dans laquelle la vie n’a plus de prix.
Depuis des mois, je m’élève, avec les syndicats, pour alerter sur la dangerosité des extractions de prisonniers. À de nombreuses reprises, j’ai affirmé que la sécurité active et passive de nos prisons était insuffisante et que les moyens mis en œuvre étaient sans commune mesure avec les enjeux réels pour lutter contre ces zones de non-droit, ces centres de commandement des caïds.
Je n’ai pas le courage d’évoquer tout ce qui ne va pas dans notre Justice et dans nos prisons, car la peine comme la colère m’étouffent.
Les criminels sont bien entendus des monstres innommables. J’émets le vœu qu’ils soient arrêtés ou neutralisés et qu’ils ne ressortent plus jamais d’une cellule de prison au sein de laquelle ils n’auront que le droit de compter les semaines qui passent.
À l’origine de cet assassinat se trouvent une fois de plus – une fois de trop ! – les trafics de drogues qui, cumulés, font de la France un narco-pays.
Je dirige aussi ma colère vers tous ceux qui – prétendument de façon inconsciente – s’offrent quelques grammes de cannabis ou de cocaïne pour alimenter leurs petites soirées bourgeoises avec la bénédiction de certains hommes et femmes politiques. Ils ont tous sur les mains quelques gouttes du sang de nos surveillants pénitentiaires morts le 14 mai 2024.
Ce soir, une jeune femme dévastée par le chagrin restera seule avec un bébé de cinq mois en son ventre. Pleurant de toute son âme, elle se raccrochera peut-être à la vie qui arrive toujours plus forte que celle qui nous quitte. Son bébé, plus tard, saura que son papa était un héros, mais il ne le verra jamais. Ce soir, une famille remplacera l’organisation d’un anniversaire par celle de funérailles. Ils seront fiers de leur père. Ils se rappelleront que lui aussi était un héros. Il n’y aura pas de match de foot en famille ce samedi. Ils ne le verront plus. Je ne connais aucun d’entre eux, mais je pleure avec eux.