Sa foulée hésitante tranche avec ses traditionnelles envolées sur les tapis de gymnastique rythmique. Mariia VYSOTCHANSKA a troqué la massue, le ruban ou le cerceau pour la torche enflammée. Elle salue l’exemplaire public posté le long du port de Marseille, venu applaudir les relayeurs.
Au lendemain de l’arrivée de la flamme olympique en France et à l’occasion de la journée de l’Europe, trois ministres français accueillaient en présence d’une de leurs homologues ukrainienne, 28 athlètes européens, invités à participer au relais de la flamme.
Parmi ces champions émerveillés par la symbolique mission, la gymnaste ukrainienne de 21 ans s’offre une parenthèse oxygénante dans cette harassante période de préparation. Outre l’exigence de la tâche propre à tout prétendant à une médaille olympique, Mariia VYSOTCHANSKA doit interrompre quotidiennement ses séances d’entraînement, en plein cœur de la capitale, Kyiv, dès qu’une alerte aux bombardements retentit.
Elle s’accroche à l’espoir que son père, parti combattre l’invasion russe sur le front de l’Est, l’applaudira sur le podium à Paris. Une ambition justifiée après sa 7ème place obtenue trois ans plus tôt aux Jeux de Tokyo. Son interminable périple jusqu’à Marseille aura rappelé qu’aucun avion ne décolle de l’Ukraine depuis 2 années et que tous les athlètes locaux parcourent, au péril de leur vie, des heures de route pour décoller de Varsovie ou de Bratislava jusqu’aux sites des compétitions internationales.
Le CIO s’est prononcé sur la participation des athlètes russes, pays agresseur. Malheureusement, l’institution dirigeante des Jeux Olympiques semble bien impuissante pour favoriser la participation ukrainienne, pays agressé.
Une centaine d’opérations solidaires ont toutefois permis à une soixantaine d’individualités de se qualifier pour les Jeux Olympiques. Privés de leurs infrastructures, soit détruites, soit réquisitionnées, ils s’entraînent dans une improvisation permanente.
L’Ukraine persiste à exempter de guerre ses sportifs de haut niveau. Un pays menacé de disparition survit aussi à travers l’évocation de ses couleurs dans les palmarès mondiaux. Malheureusement, le manque d’hommes a contraint le gouvernement ukrainien à mobiliser des combattants toujours plus jeunes. 400 sportifs talentueux ont péri au combat sur les 3 000 envoyés au front.
Les équipes nationales ukrainiennes peinent à mobiliser un effectif suffisant. Dans le handball, le volley, le water-polo, des sports à l’écosystème modeste, les clubs se sont éteints, totalement dépecés. Pas assez d’argent, pas assez de joueurs pour organiser un championnat !
En revanche, les ressources financières du football maintiennent indirectement l’activité. Seule la sélection masculine participera à un tournoi de sport collectif cet été à Paris. Des clubs dans tous les pays européens emploient des ukrainiens. La diaspora se regroupe au gré des compétitions pour brandir du jaune et du bleu avec la sélection.
Le groupe de gymnastique rythmique de Mariia VYSOTCHANSKA, 3ème des derniers championnats du monde, se nourrit d’espoirs et s’accroche aux exploits de tous ses compatriotes réalisés depuis un an.
A Paris, l’équipe de para athlétisme obtenait 22 médailles, en juillet dernier, le 5ème meilleur total de toutes les délégations.
La tenniswoman Elina Svitolina atteignait les quart de finales de Rolland Garros, soutenue par son mari Gael Monfils.
Les championnats du monde de plongeon, les championnats d’Europe de Judo, la coupe du Monde d’Escrime, le Top 16 Européen de tennis de table offraient au peuple de Volodymir Zelenski, une lueur de fierté, une farandole de trophées, des raisons de résister pour sauver une si brillante nation.
L’inoubliable patineuse Oksana Baiul, Serguei Bubka le légendaire perchiste, les iconiques boxeurs frères Klitshko, l’ancien ballon d’or Andriy Shevchenko, la quadruple championne olympique de natation Iana Oleksandrivna Klotchkova, la reine de l’heptathlon Nataliya Dobrynska, l’ancien champion du monde du contre-la-montre cycliste, Serhiy Honchar… Tous ont écrit la légende du sport ukrainien.
Aujourd’hui ils pleurent leur nation meurtrie.
En cas de podium à Paris 2024, leurs successeurs, athlètes jaunes et bleus, rejoindraient leur prestigieuse lignée de champions. Ils remporteraient alors beaucoup plus qu’une médaille. Pendant que leurs proches résisteraient héroïquement dans les tranchées, ils hurleraient au monde entier : « sauvez-nous de la barbarie » ! Ils maintiendraient la tête haute à tout un peuple.
Frédéric Brindelle
Journaliste, chef de rubrique « Opinion Paris 2024 »