Cette chronique d’une France en pleine déréliction revient sur une journée comme il y en a tant. C’était le 5 mai 2024.
Trois manchettes de la presse dominicale, dans le Journal du dimanche, La Tribune Dimanche et Le Parisien dimanche ont illustré la situation du pays. Dans le JDD, Gérald Darmanin a annoncé une mission confiée au préfet Courtade dans le but d’établir un rapport sur la menace que font peser les Frères musulmans sur le système démocratique français. Une première, alors que depuis plus d’une décennie les alertes se sont multipliées sans que le gouvernement ne se saisisse de la situation.
Le fait que l’exécutif prenne cette mesure et ordonne une enquête publique sur les techniques d’infiltration fréristes au cœur de notre démocratie en dit long sur l’imminence et la gravité du danger. Outre l’islamisation « par le bas du spectre », un classique chez les organisations islamistes, le plus inquiétant est le niveau d’infiltration dans les sphères d’influences et lobbies « au sommet » avec l’objectif de changer les normes et d’influer sur les législations en faveur des règles de l’islam radical. Nous assistons à une perte partielle de souveraineté puisque des pays soutiennent aujourd’hui ces assauts.
Les Frères musulmans avancent (de moins en moins) masqués et contribuent à remodeler le discours public en s’inspirant de la méthode du penseur communiste italien Gramsci : il faut d’abord gagner la bataille des idées avant celle des urnes. Ils disposent pour cela d’un allié de poids : la gauche française en perte totale de repères. Il a suffi de voir à quelle vitesse le terme « islamophobie », en provenance directe du glossaire frériste, a été intégré dans le vocabulaire courant pour saisir l’efficacité de la démarche. Ce terme exerce un effet de levier sur l’autre notion phare de l’idéologie islamiste : la victimisation. Enchâssée dans un récit décolonial et indigéniste, cette notion représente le moteur qui propulse les idées des Frères musulmans en France. Et elle n’est pas uniquement l’apanage des thuriféraires de l’islam radical puisqu’une partie des « intellectuels » français l’a adoptée comme en témoigne le livre La France tu l’aimes mais tu la quittes. Écrit par trois chercheurs dont les profils laissent peu de doutes quant à leur bord politique, il reprend tous les poncifs culpabilisateurs et victimaires, ce narratif totalement daté de jeunes issus de l’immigration qui seraient discriminés et devraient s’expatrier malgré leur amour du pays. Un conte fantasmé très loin de la réalité impossible à contredire puisque les statistiques ethniques sont interdites en France sauf lorsqu’elles sont utilisées à charge contre le pays. Un récit aberrant que n’importe quel entrepreneur de l’informatique, de l’architecture, du conseil, de la restauration, du marketing et de tas d’autres métiers démonterait en quelques secondes. Mais ce décalage est-il étonnant quand on connaît le niveau de déconnexion des chercheurs français avec le terrain ?
Aujourd’hui, les experts qui s’apprêtent à entourer le préfet Courtade pour rédiger ce rapport public le disent sans ambages : il n’est plus question de parler de signaux faibles pour interpréter ce qui se passe. D’autres le disent sans prendre de gants : « les barbus sont dans la place , il est déjà trop tard ».
Trop tard semble pointer également Le Parisien Dimanche en publiant une enquête exceptionnelle et glaçante sur l’explosion d’un antisémitisme décomplexé en France depuis les massacres du 7 octobre en Israël. Le paradoxe est sidérant : c’est un pogrom qui a déclenché une vague de haine anti-juive et anti-israélienne sous couvert de soutien à la cause palestinienne.
Punis par la loi, les propos antisémites se cachent (de moins en moins) derrière les anathèmes contre le sionisme, qui échappent à la justice. « Sale sioniste » est donc devenu une insulte légale et tout le monde comprend de quoi il s’agit, puisque les Juifs sont les seuls membres d’une communauté dans le monde à devoir répondre des faits d’un État. Le « pas d’amalgame » ne les concerne donc pas, tout comme il ne les concernait déjà pas lorsqu’ils ont été chassés des pays arabo-musulmans après 1948 dans un mouvement d’épuration ethnique massif resté impuni à ce jour. Pour les antisémites-antisionistes, il est donc facile de stigmatiser et de revitaliser les codes de la montée du nazisme : humiliations, violences et interdictions aux juifs de rejoindre leurs cours sur les campus américains. En France, une enquête a démontré qu’un jeune sur trois considère qu’il est normal de s’en prendre aux Juifs à cause de leur soutien à Israël (contre 21% pour la population en général). On trouve cet avis principalement parmi les sondés de confession musulmane avec une rhétorique très perverse qui consiste à nazifier les Juifs et Israël, quitte à utiliser une sémantique fausse, impropre et illégitime (génocide, apartheid) afin de faire sauter le verrou moral qui, depuis la Shoah, rendait l’antisémitisme politiquement incorrect.
La majorité de la société française, au fait de la position délicate des Juifs de France, ne cautionne pas cette situation et soutient Israël dans sa guerre contre le Hamas perçue comme une guerre contre l’idéologie islamiste totalitaire dont tout le monde sait en réalité qu’elle n’a rien à voir avec le combat national palestinien. Mais il s’agit d’une majorité silencieuse.
Il demeure une question : où est passé le Président censé être celui qui incarne la continuité de l’État ?
Il est probablement tétanisé car si le naufrage annoncé de la liste de la majorité présidentielle se confirme lors des élections européennes de juin, alors son quinquennat en état de mort clinique depuis sa réélection sera terminé, perclus par les déficit publics, rongé par les problèmes sociétaux. Tout témoigne de l’état de panique qui saisit l’exécutif derrière les postures médiatiques bravaches face à ce qui se profile sondages après sondages : l’accession au pouvoir de Marine Le Pen au terme de la décennie Macron.
Au sein des différentes composantes de la société, on se prépare à « intérioriser la probabilité », selon la formule en cours dans l’État profond ces derniers temps. Chez les diplomates, on se répète la promesse de Marine Le Pen de rétablir le corps diplomatique dans ses prérogatives, après avoir été démantelé par la réforme macroniste de la haute fonction publique. Le monde économique auditionne les pontes du RN et pose la question : Marine le Pen est-elle « melonisable », autrement dit est-elle prête à édulcorer son programme social et rendre des arbitrages pro-business, comme Giorgia Meloni, la présidente du Conseil italien ? La haute fonction publique se prépare à se montrer légitimiste en cas de désignation de Marine Le Pen par le suffrage universel. Quant aux retraités, un des derniers bastions électoral fidèle du président Macron, ils considèrent, selon les sondages, que le parti RN est désormais celui de la stabilité et de l’ordre dont ils constatent l’effondrement. Un président de banque affirmait récemment dans une réunion privée que les milieux de la finance soutenaient Marine Le Pen car le sujet désormais prioritaire était la sûreté publique sans laquelle aucune prospérité n’est de toutes façons possible.
Le pouvoir a décidé de lancer un rapport sur la menace des Frères musulmans, et il lance des assises sur la progression de l’antisémitisme. Autant de démarches qu’il faut saluer sans autre commentaire que celui dicté par la réalité : trop peu, trop tard.
Le Président français découvre ainsi à nos dépens qu’on ne dénature par un pays à la culture plurimillénaire sans déclencher des réactions en chaine. Qu’à jouer les apprentis sorciers, on s’expose aux même risques que ceux que craignaient Oppenheimer et ses collègues lors des premiers essais nucléaires. On sait où et quand ça commence, mais jamais comment cela finit.