Communicants talentueux, cette période préolympique nourrit vos fonds de commerce.
La France célèbre l’organisation de la monumentale manifestation sportive. Nos institutionnels embrassent goulûment la mission, et financent généreusement les opérations visibles. Il faut inciter les Français à pratiquer et bouger, quitte à organiser un événement tous les jours. Les boîtes de communications frétillent. Sollicitées pour valoriser la politique volontariste de nos élus, elles déclinent à longueurs de « brainstormings » les valeurs positives, celles liées à l’environnement, la mixité, le handicap, la santé, l’inclusion…
Au bout du compte, difficile pour nous, citoyens modèles, de suivre le rythme endiablé de la flamme, des compétitions, des inaugurations, des collectes, des spectacles, des défilés…
Pour capter l’attention de tous, l’évènement doit s’inscrire dans la durée.
La palme revient donc à : « MAI À VÉLO ». Oui, autorisez-vous la réaction ! Vous n’étiez pas au courant, rassurez-vous, moi non plus ! Pourtant l’opération couvre bien la totalité du mois, difficile de passer à côté ! (Même quand, comme moi, le cyclisme occupe une place centrale dans sa vie, comme journaliste spécialisé, ancien compétiteur et toujours pratiquant sportif).
Il aura fallu un communiqué de presse envoyé par le ministère des Sports pour m’alerter. Tenez-vous bien, il s’agit de la 4ème édition de cette opération. Votre attention capte ponctuellement ces centaines de journées mondiales de « tout et n’importe quoi », vous devez désormais vous renseigner sur les multiples « mois de quelque chose ».
L’opération « mai à vélo » mérite d’exister.
Des évènements et challenges se déroulent partout en France dans l’optique de faire découvrir ou redécouvrir les nombreux avantages du vélo. Les initiatives des associations, des entreprises, des collectivités et des institutions publiques servent cette promotion de l’activité physique et sportive autour du message « bouger 30 minutes chaque jour ». L’enjeu est considérable parce que nous assistons à une fracture entre les cyclistes et le reste des usagers de la route.
Depuis l’envol du vélo dans nos villes, nous, les « cyclistes sportifs », déplorons une recrudescence d’invectives et d’agressions des automobilistes. Identifiables par nos cuissards moulants, notre guidon aérodynamique et nos fixations par cales aux pédales, nous qui de près ou de loin ressemblons aux coureurs du Tour de France, ne parvenons plus à nous entraîner sereinement sur les routes départementales. Pourquoi une telle tension ? Plus la société encourage notre pratique, plus nous la redoutons.
Cycliste convaincu, je passe toutefois plus de temps au volant de ma voiture, contraint par des allers et retours professionnelles à des horaires décalés. Je suis excédé par ces embouteillages provoqués par une succession de feux rouges, stops, cédez-le-passage, croisements, rons-points, rétrécissements, ralentisseurs, travaux… je cauchemarde comme tout ceux de ma génération, qui auront passé les heures normalement consacrées aux devoirs de leurs enfants bloqués dans leur voiture sur des périphériques kafkaïens.
Mardi dernier, 19h00, à l’Ouest de Paris. Sur ce grand boulevard difficilement praticable, longé par des pistes cyclables opportunes, une quinquagénaire vêtue et coiffée à la manière des intellectuels urbains bourgeois bohèmes, déboule sur sa bicyclette utilitaire. Décomplexée, elle circule sur la voie des voitures, grillant la farandole de feux rouges, ignorant la piste cyclable. Elle nous ralentit. Je peste. Puis ce constat m’envahit. Les automobilistes exècrent ces incivilités répétées des nouveaux cyclistes urbains qui, non contents de leur avoir confisqué un tiers de leur espace, les déstabilisent par leur propre mise en danger.
Après des heures de galère, arrivés à proximité de leur domicile, ces conducteurs craquent à la vue d’un cycliste, même si celui-ci s’entraîne sportivement, en respectant la réglementation routière. Le coureur cycliste chevauche cette machine maléfique, devenue la hantise de l’automobiliste. Il paye pour les abus des autres, la cohabitation s’envenime sur nos routes départementales.
Les conseils départementaux s’évertuent à financer des « plans vélo ».
Ils dessinent des pistes sur des trottoirs que les enfants squattent pour jouer au foot. Dans les villes, ces pistes croisent inlassablement les voies automobiles et les passages piétons. Nos élus se résignent à imposer l’ingérable, incapables d’ajuster une voirie urbaine qui ne prévoit aucun axe roulant sur plus de 100 mètres. Les métropoles d’Amérique du Nord offrent une cohabitation plus fluide grâce à de grands boulevards qui aèrent la circulation, favorisant les déplacements de tous, automobilistes, cyclistes et piétons.
La problématique persiste d’une autre façon en période de vacances. De longues pistes cyclables bordent les sites touristiques pour inviter les vacanciers à découvrir et apprécier, sans polluer. Malheureusement ils affrontent fréquemment une situation stressante. Ils ralentissent, avertissent, freinent brutalement, mettent pied à terre. Les piétons ou les voitures campent sur ces pistes pourtant bien identifiées par les panneaux de signalisation et les visuels sur le bitume. En France, l’irrespect de l’espace réservé à l’autre se généralise.
Alors ce mois de mai à vélo sert-il à quelque chose ?
Oui pour la sensibilisation des cyclistes occasionnels. Malheureusement la politique de mobilité des villes mériterait une réflexion cartésienne, au service de l’idéologie et non pas le contraire, comme les « bobos » tant décriés l’ont idéalisée.
Plus la France fait du vélo, plus les cyclistes sportifs se demandent s’ils continueront à s’adonner à leur passion. Les successeurs des Alaphilippe, Bardet, Laporte se raréfieront. La Fédération Française de cyclisme déplore une baisse des licenciés. Systématiquement, l’argument des parents cogne à la tête malgré le casque : « le cyclisme, c’est trop dangereux, je ne veux pas que mon fils se tue sur la route ».
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Frédéric Brindelle
Journaliste, chef de rubrique « Opinion Paris 2024 »