Néo-Calédonien de naissance, âgé de la quarantaine, fonctionnaire de l’État, plutôt favorable à l’indépendance de l’archipel mais opposé à toute violence, ce Français de Nouvelle-Calédonie, très inspiré dans son parcours par Michel Rocard et Jean-Marie Tjibaou, a souhaité rester anonyme devant la furie de certains jusqu’au-boutistes des deux camps. Alors que le Président de la République se rend sur l’île, suite de son entretien avec Michel Taube, pour Opinion Internationale…
Emmanuel Macron qui décide de se rendre à Nouméa, est-ce une bonne idée ?
Comme François Mitterrand en janvier 1985 suite aux trois nuits d’émeutes qu’avaient connues Nouméa, suite à l’assassinat de Yves Tual, un jeune caldoche boulouparisien, Emmanuel Macron a donc choisi de se rendre sur place mais pour quoi dire et pour quoi faire ?
Parlons vrai: la Nouvelle-Calédonie est à plat; son économie à genou; les sinistres et destructions avoisineront bientôt le milliard d’euros; l’axe Indo-Pacifique est fragilisé; les populations de Nouméa et des communes alentour sont durablement et profondément divisées; une génération entière de Calédoniens de toutes origines bercée par l’injonction de la réussite de la communauté de destin est meurtrie dans ses idéaux; les négociations politiques sont au point mort; la crise frumentaire guette et les ravitaillements vitaux résistent grâce à de frêles ponts aériens ou maritimes. Le Président de la République a donc le choix: rester sourd et aveugle ou prêter l’oreille. Une oreille attentive. Une écoute profonde, active et apaisée.
Alors que l’exécutif, les conseillers présidentiels, les ministres et secrétaires d’État directement concernés par le dossier ont tous été, sans exception, incapables d’entendre et donc de comprendre les très nombreuses notes, appels, messages, signaux envoyés depuis plusieurs mois les alertant sur le caractère inflammable de la situation. On a de quoi être inquiet si cet aveuglement persiste, surtout qu’ils n’ont pas hésité à recréer les conditions d’un drame colonial et d’un bégaiement de l’histoire mettant au tapis 40 années de paix civile et d’immenses efforts pour la construction du destin commun.
Cette inquiétude reste réelle quand on connaît désormais les ministres membres de la délégation présidentielle qui s’envole ce soir, à savoir MM. Darmanin et Lecornu, l’intérieur de la défense et la défense de l’intérieur, experts en dialogue de sourds, ceux-la même qui ont été aux origines de la précipitation, de l’entêtement, de l’arrogance, de la suffisance et de la rupture définitive des équilibres décennaux ! On aurait pu espérer un meilleur casting… Le déni et la surdité ont alors de beaux jours devant eux tandis que les habitants du Grand Nouméa ont devant eux les pires jours de leur vie.
Il aurait fallu, dans les circonstances actuelles, une véritable rupture sémantique, idéologique et politique.
Que faudrait-il faire selon vous ?
Les négociations politiques sur l’avenir institutionnel de l’archipel ne doivent être conditionnées à aucun calendrier législatif, agenda politique ou chronomètre électoral. Toutes et tous autour de la table doivent donner du temps au temps sans couperet, ni chausse-trappe programmée.
Les négociations politiques sur l’avenir institutionnel doivent inclure toutes les thématiques que recouvrent les compétences acquises par la Nouvelle-Calédonie depuis 1988 et plus concrètement depuis l’Accord de Nouméa et leur répartition, leur exercice, leur pertinence au sein des différentes collectivités publiques eu égard aux espaces géographiques et aux populations concernés dans un accord global admis par tous, constitutionnellement garanti.
Les négociations politiques sur l’avenir devront tenir compte de la réactualisation dans l’actuel contexte, de l’irréversibilité du processus engagé par l’accord de Nouméa, de la poursuite de la décolonisation et de la confirmation du caractère constitutionnel du droit à l’autodétermination.
Les négociations politiques ne pourront débuter que par le retour à l’ordre, au calme et à la libre circulation des personnes et des biens, simultanément au retrait de la réforme constitutionnelle sur la levée de la restriction du droit de vote aux élections provinciales.
Les négociations seront honorées de compter autour de la table des membres de la société civile, des églises historiques, du monde économique et des représentants incontestés de la parole coutumière et ainsi de ne plus laisser le parler politique confisquer la parole citoyenne.
Définitivement, la paix à un prix que le coût de la guerre ne pourra jamais rembourser.