La caméra saisit la scène dans les tribunes du palais des sports Emirati.
Athéna, se retourne curieusement en direction du tatami. Elle attendrit les téléspectateurs du monde entier. La petite fille regarde sa maman qui porte de beaux habits bleus. A 3 ans, on préfère probablement le kimono bleu au kimono blanc, moins scintillant.
6 fois championne du monde, double championne Olympique de judo, « maman » Clarisse Agbegnenou trône sur l’histoire du judo féminin. L’été prochain aux Jeux de Paris, la France célébrera cette icône, dont elle apprécie les sourires multi-télévisés, sur les podiums ou dans les spots publicitaires.
Clarisse évacue magistralement toutes situations présupposées incompatibles entre le rôle de jeune maman et celui d’athlète. Oui, elle allaite sa fille entre deux entraînements ; oui, elle l’emmène avec elle à Abu Dhabi pour les championnats du monde ; oui la petite assiste aux combats de sa mère lovée dans les bras de quelques proches. Agbegnenou incarne toutes les valeurs modernes de nos sociétés occidentales. Une femme, issue de l’immigration, combattante infaillible, résiliente jusque dans ses gênes (elle est née grande prématurée), qui revient d’un congé de maternité, retourne au judo, gagne au plus haut niveau un an après l’accouchement… Une femme guide pour l’avenir !
Comme elle, d’autres judokates ont récemment repris leur carrière et lui emboitent le pas. Leurs enfants en bas âges les accompagnent en voyage mais restent à l’hôtel ou dans les tribunes.
Clarisse débarque quant à elle, bébé dans les bras, en salle d’échauffement : « Je crois qu’on n’avait pas le droit d’aller dans la salle d’échauffement avant l’âge de trois ans, ça peut être bien parce que ça peut ouvrir la porte pour d’autres. Si je dois allaiter, Athéna pourra venir, elle pourra être là. »
Les femmes avant-gardistes découvrent une porte-parole audacieuse. La championne française utilise son aura médiatique pour casser les codes et va même jusqu’à solliciter, en début d’année, le CIO pour une autre faveur : héberger sa fille avec elle, au village olympique durant Paris 2024. Une demande inconcevable au regard de l’histoire du sport et de la sacralisation de ce lieu, où la cohabitation sonore et physique, relève du défi permanent. Face au refus, Clarisse démarche Emmanuel Macron, totalement impuissant sur le sujet.
« Tout ce que je fais, c’est pour elle » certifie la maman. Le mouvement sportif tâtonne pour affirmer sa position face aux requêtes de la judokate. Le sélectionneur de l’équipe de France féminine de football la soutient et concède la possibilité d’accueillir les enfants avec leur maman en stage de préparation. Incompréhensible pour certains qui s’interrogent : « jusqu’à quel âge doit-on les accueillir ? Et les papas pourraient-ils revendiquer le même privilège ? On ne va plus s’en sortir ».
L’histoire s’écrit, Agbegnenou enfourche son stylo bleu, et serre la ceinture noire des institutions sportives. Le monde bouge par les prises qu’elle enclenche.
Au programme de la chaîne L’Équipe en ce week-end de mai, les judokates françaises côtoient leurs homologues handballeuses. Tamara Horacek, l’une des meneuses de jeu, scelle la victoire de la France. Elle déclenche sans doute des pensées attendrissantes chez ses « prédécesseuses » agglutinées devant leur écran de télévision. Bébé, Tamara faisait sa sieste dans les tribunes du palais des sports de Metz pendant que sa maman croate s’entraînait avec les internationales françaises. Tamara passait de bras en bras, de l’une à l’autre de nos championnes du monde 2003, entre deux séances de tirs. C’est elle, 20 ans après, qui marque des buts en bleu (la France, son pays d’adoption).
Au début de ce siècle, les handballeuses levèrent les tabous et imposèrent l’idée de la maman championne. Tous les ans, elles se retrouvaient en décembre, à quelques jours de noël, pour jouer un championnat du monde ou d’Europe en alternance. A l’époque, la maman de Tamara rejoignait sa sélection tout comme ses partenaires de clubs françaises, qui offraient leurs premières médailles aux sports collectifs féminins de notre pays. Nous les encouragions puis nous nous interrogions sur la raison de leur absence l’année suivante.
En fait, depuis 20 ans, ces athlètes concilient tout simplement leur vie de championne et leur vie de femme. Véronique Pecqueux Rolland, Sandrine Mariot Delerce, Myriam Borg Korfanty, championnes du monde en 2003, comptaient les jours de leur vie. Ces femmes mariées, qui portaient fièrement leur nom de jeune fille championne accolé à celui de leur mari, qualifié de « mari de … », construisaient le scénario idéal : jouer jusqu’à la fin de saison – tomber enceinte en été – sacrifier un championnat en décembre – revenir l’année d’après pour jouer au plus haut niveau une saison – participer aux Jeux Olympiques 2 ans après, en été.
Ces mamans l’ont fait ! Avec des papas efficaces sur le timing !
Grâce à elles, depuis le début des années 2000, la carrière des joueuses se gère aussi en fonction du paramètre « maternité ». Les équipes anticipent un renouvellent des effectifs à la mi-Olympiade, le temps de l’heureux événement. Les staffs médicaux accompagnent les différentes phases de la carrière sportive des mamans. Quelques impromptus ont pu perturber les structures. Il arrive qu’un spermatozoïde se faufile très vite sur le bas-côté du terrain, repique au centre pour finir sa course dans le but, alors que l’équipe de la future maman s’apprête à jouer sa compétition reine. La joueuse enceinte déclare alors forfait, esquive les regards attendris mais déconcertés de ses coéquipières qui comptaient tant sur elle pour gagner. En vain.
Les progrès scientifiques et l’évolution des mentalités amenuisent ces scénarios aléatoires qui ont pu stigmatiser la nature féminine dans l’approche du sport de haut niveau. De toutes façons, nos championnes cultivent quotidiennement leur aptitude à relever les plus impensables défis. Pas uniquement sur les terrains. Les enfants de sportives de haut niveau n’en seraient que plus respectueux et bien éduqués paraît-il.
Alors, pour votre fête, chères mamans, faites du sport !!!
Frédéric Brindelle
Journaliste, chef de rubrique « Opinion Paris 2024 »