Opinion Paris 2024
10H37 - lundi 27 mai 2024

Les hooligans à la Française. Dans les yeux de Paris 2024, la chronique #25 de Frédéric Brindelle

 

Une équipe de foot aligne 11 joueurs sur le terrain. La traditionnelle parole experte évoque pourtant la présence d’un douzième homme, en tribune. Celui-ci serait même capable d’influencer positivement le résultat. D’où son statut !

Les journalistes se multiplient en essaim à l’issue des grands matches. Ils chassent l’interview providentielle. Les joueurs respectent le protocole, distillent quelques phrases stéréotypées aux médias détenteurs de droits. Pour tous les autres, aucune déclaration, pas d’analyse… comment concerner les potentiels lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs ? Interrogeons le fameux douzième homme, débordant de testostérone, généreux en paroles à forts décibels, paré des lucratifs (pour les clubs) et incontournables écharpes, maillots, bonnets et drapeaux. Le journaliste construit alors son compte-rendu de l’évènement avec les analyses de ces clients accessibles, honorés à l’idée d’être perçus comme spécialistes.

Ce personnage clef, glorifié par les joueurs, les dirigeants, la presse, c’est le supporter.
A force de flatteries, cette personne se persuade de son influence sur la réussite de son club. Il corrige les présidents, condamne les entraîneurs, oriente les joueurs mais ne joue pas, ça le frustre. Alors il prolonge le match, défie le supporter de l’équipe adverse. Les deux clans entrent enfin sur le terrain, un autre que celui foulé par Mbappé et Griezmann. Cela peut être un péage d’autoroute, comme en ce triste jour de finale de la coupe de France 2024, pile deux mois avant l’ouverture des Jeux Olympiques.

L’autoroute A1 ferme, les forces de l’ordre interviennent en masse, des bus brûlent, les blessés se comptent par dizaines, la violence cingle notre société. Ces hordes de supporters dégradent l’image de notre pays, de notre sport, de notre football. Ces gens exposés médiatiquement, malgré leur illégitime expertise, saisissent le pouvoir qui leur est offert, et s’expriment par la seule voix qu’ils maîtrisent, la violence.

Le football Français s’étiole à coup de fumigènes, les clubs s’appauvrissent à forcent de frais de reconstruction et d’amendes. Comme le football anglais dans les années 1980, le français s’achemine vers le chaos. Les ultras supporters frappent inlassablement. Le citoyen finance les coûts de leurs débordements. La situation devient intolérable.

En ce jour de finale de Coupe de France, mille membres des forces de l’ordre rémunérés par le contribuable, encadraient la balade de ces incorrigibles guerriers immatures ! Nos dépenses superflues plombent inlassablement les comptes de l’État paraît-il ? Rageant !

Au lendemain des affrontement, le club de Lyon critique les forces de l’ordre qui n’auraient pas respecté le parcours initialement déterminé pour acheminer les cars de ses supporters jusqu’à Lille, lieu de la finale.  Conséquence de ce changement de programme, les Lyonnais croisent à un péage les Parisiens, adversaires du soir. Les uns et les autres descendent de leur véhicule collectif, s’affrontent violemment. Comment peut-on livrer un tel communiqué de presse ? Qui sont les fautifs dans l’histoire ?  Nos forces de l’ordre ? Pensez-vous qu’elles n’ont rien d’autre à faire un samedi soir que d’empêcher des arriérés de prolonger dans le vrai monde, sur le dos d’un match de foot, les scènes de guérilla qui les enivrent quotidiennement dans leurs jeux vidéos et leurs séries ?

Les clubs ne parviennent pas à trancher sur la question de leur supporters ultras (bien sûr, nous ne parlons pas ici de ces spectateurs passionnés, majoritaires, qui viennent en famille encourager leur équipe, dont les excès des ultras pourrissent la passion, d’ailleurs).

Début des années 1990. Bernard Tapie enchaîne les triomphes.
Après avoir porté le cinquième succès de Bernard Hinault dans le Tour de France, l’homme d’affaires glamour préside un club légendaire devenu moribond, l’Olympique de Marseille. Comme pour chacune de ses missions, Tapie conceptualise le projet. Il conduira Marseille sur le toit de l’Europe, il positionne le club comme le porte-drapeau de la révolte provinciale contre l’arrogante capitale parisienne. Canal+ investit dans le PSG, Tapie le Marseillais emboîte le pas et sollicite ses amis de TF1 pour abreuver les téléspectateurs de provocations de supporters dans les reportages consacrés au football. Les Marseillais défilent devant les caméras et éructent des : « Parisiens enculés ! ». La mayonnaise prend, les Parisiens répliquent dès qu’un journaliste amusé les sollicite. Tapie, inspiré par le concept de la dualité française (en cyclisme Poulidor et Anquetil ont divisé notre pays, la légende s’était ainsi écrite), lance un mécanisme qui nourrit encore aujourd’hui l’économie de notre football : OM – PSG. Où la médiatisation de la haine !

Séduit par l’efficacité du mécanisme, chaque club professionnel développe son concept. Lyon et Saint-Étienne rivalisent dans l’escalade de la violence, Lens et Lille s’en rapprochent, Rennes et Nantes s’y essaient… plus la tension s’envenime autour d’une dualité, plus le match consolide son écosystème.

Des radios construisent leur audience sur le jeu macabre. La libre antenne permet à Jojo, Mous et Dédé de livrer leur dose de haine. L’audience au rendez-vous, les ventes de maillots multipliées, la parole du supporter excessif s’installe. Rien n’empêche de croiser le fer avec d’autres rivaux. OM-OL, devient la foire aux excès, le match entre les Lyonnais et les Marseillais porte un nom, « l’Olympico ».  Le week-end dernier, Lyonnais et Parisiens prenaient le relais.

Depuis des années, les réalisateurs filment les messages que l’amicale des supporters brandit sous forme de « tifos ». Lors d’un Paris-Lens, les gens du nord se voient qualifiés d’incestueux, en prime time à la télévision. Les messages abondent en tribune. Le licenciement de l’entraîneur se rédige en grand sur les pancartes d’un virage enflammé, les insultes contre l’actionnaire du club défilent à chaque défaite. Dans la tribune présidentiel, l’homme d’affaire qui a investi des millions dans l’histoire reste incrédule.

Les manifestations de haine prennent des formes multiples, comme la casse des voitures de joueurs après une série de contre-performances. Les réseaux sociaux décuplent la passion punitive. Les chefs de supporters se considèrent plus représentatifs du club que le capitaine de l’équipe. Impossible de perdre, le violent supporter ne le comprendrait pas. Cette saison, Lorient descend en Ligue 2. Chaque année, deux clubs de ligue 1 doivent descendre, c’est le principe. Les Bretons, peu armés pour le haut niveau y passent cette fois-ci, logique !

Et bien les supporters lorientais décident de tout casser au stade, le jour de la relégation :  « Le sport n’est pas fait pour perdre ». C’est le point de vue de ceux qui n’ont jamais évolué à un bon niveau et qui n’en estiment pas une seule seconde l’exigence et les sacrifices.

Cessons de conforter le supporter dans l’idée qu’il participe à la performance sportive.
Prenons acte du fait qu’il sacrifie le peu de ce qui lui reste sur son compte, une fois les factures payées, pour s’offrir le maillot de son idole (135 euros l’unité). Cette idole qui gagne en une journée l’équivalent de ce qu’il touche en 5 ans de salaires. Qui faut-il blâmer ?

Le joueur, enfermé dans sa bulle capitaliste, fuyant le gueux qui le nourrit ? Le club qui existe par la violence passionnelle qu’il génère ? Le média qui collecte des rentrées publicitaires en flattant l’égo du dingo ? Tout simplement le violent, devenu incontrôlable depuis son confinement covidé, excédé par l’hallucinogène réseau social ? 

L’exercice du bilan s’impose pour la Fédération Française de Football et la Ligue de Football Professionnel. Nos clubs, moribonds sur la scène européenne, cherchent un modèle économique et un environnement sportif sereins et productifs. Déchargeons-les de ces sauvages supporters. Le ministère doit initier une politique répressive, intransigeante : des interdictions de stade, des arrestations simultanées une fois les fautifs identifiés par des caméras ou des forces de l’ordre.

Rien n’affecte plus les Zidane, Mbappé, Platini et consorts que d’entendre des parents déclarer « je ne vais plus au stade, c’est trop dangereux pour mes enfants ». 

Supporter ultra, le match te plaît, tu payes, tu applaudis et tu le cries si le spectacle te procure des émotions. L’équipe te déçoit, tu économises le prix de la place, du maillot, de l’écharpe, de la saucisse-frites et de la bière consommés à la buvette, tu restes chez toi, avec ta famille. Tu verras, c’est beau une famille.

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Frédéric Brindelle
Journaliste, chef de rubrique « Opinion Paris 2024 »