Brice Oligui Nguema, chef de l’État et Président de la transition au Gabon depuis septembre 2023, est en visite officielle, précisément de travail et d’amitié, en France du 28 mai au 3 juin. Il rencontrera Emmanuel Macron, les forces économiques françaises et la communauté gabonaise. Une reconnaissance internationale pour ce militaire qui porte sur les épaules les espoirs d’une transition pacifique et populaire.
L’édito de Michel Taube
Le coup de la libération
A la suite des élections présidentielles du 26 août 2023, les forces de sécurité du Gabon ont décidé de ne pas entrer dans une énième parodie d’élection. Alors que le scrutin présidentiel précédent, en 2016, aussi contesté que contestable, avait été confirmé moyennant la répression sanglante des manifestations (plusieurs dizaines de victimes), les 55 ans de règne d’une dynastie Bongo à bout de souffle se sont refermés sur le refus d’un nouveau massacre.
Après s’être emparé du pouvoir dans un rare consensus national et sans effusion de sang, en écartant Ali Bongo et sa famille proche qui avaient confisqué pouvoirs et richesses, le nouvel homme fort du pays conduit une transition méthodique et inclusive qui doit conduire à une élection présidentielle en août 2025 et à la mise en place d’une gouvernance enfin au service de tous les Gabonais.
Le 4 septembre, Brice Oligui Nguema prêtait serment en tant que Président de la transition du Gabon, avec l’objectif de « remettre le pouvoir aux civils en organisant de nouvelles élections libres, transparentes et crédibles dans la paix sociale ». Contestée ni par l’opposition, ni par le peuple exaspéré par la corruption du régime précédent, ni par les institutions internationales, cette « transition » d’un genre nouveau débutait sous de bons auspices, confirmés par la nomination quelques jours plus tard de Raymond Ndong Sima, un opposant respecté – et un civil -, au poste de Premier ministre.
Un coup d’Etat vécu par les Gabonais comme le coup de la libération.
Deux ans pour accomplir la transition
Brice Olingui Nguema s’appuie sur la « Charte de la transition ». Le travail à accomplir est considérable : pays parmi les plus riches du continent par habitant mais très inégalitaire, le Gabon a trop longtemps pâti d’un système public dysfonctionnel qui ne payait plus les retraites, ni l’assurance maladie, qui laissait le système éducatif et nombre d’infrastructures dans un état de déliquescence. Le Dialogue national inclusif prévu par la Charte de la transition, s’est achevé fin avril, dans le cadre d’un calendrier soutenu prévu pour durer deux ans : l’archevêque de Libreville Jean-Patrick Iba-Ba, sous la présidence duquel les travaux se sont déroulés, a remis au Président un rapport contenant un millier de propositions sensées inspirer la rédaction de la nouvelle Constitution du pays à laquelle va désormais s’atteler l’Assemblée nationale, devenue Assemblée nationale constituante.
La consécration internationale passe par Paris
Le Président de la transition, dont l’approche institutionnelle est considérée comme exemplaire en France et dans le monde, est accueilli en grand ami à Paris.
D’autant qu’aucun signe de manipulation russe n’est visible au Gabon, autre différence radicale avec les coups d’États récents au Burkina Faso, au Mali ou au Niger. Pas de drapeaux français brûlés ni de paramilitaires de l’Africa Corps, le nouveau Wagner, à l’horizon. Il faut dire que le Gabon reste un partenaire économique de premier plan pour la France, plus de cent entreprises tricolores y étant actives. Le Gabon fait partie de ces pays, de plus en plus rares, comme la Côte d’Ivoire ou le Congo-Brazzaville, qui restent axés sur une approche libérale de l’économie et dont la population n’a pas cédé à un sentiment anti-Français.
Le Forum économique France-Gabon du 29 mai, la visite de travail et d’amitié à l’Élysée le 31 avec le président Macron, s’annoncent ainsi comme une étape refondatrice entre les deux pays, sur une base de relations confiantes et bienveillantes.
Les enjeux économiques de cette visite sont considérables : le Gabon préside actuellement l’OPEP et a décidé, depuis l’arrivée au pouvoir de Brice Oligui Nguema, de reprendre la maîtrise de son destin énergétique et pétrolier. Le Gabon est également un des poumons de la planète avec le Bassin du Congo qui constitue une réserve de biodiversité unique au monde. Emmanuel Macron s’était rendu à Libreville l’année dernière pour le One Forest Summit, avant de se rendre à Brazzaville pour une visite qu’Opinion Internationale avait couverte.
Comme le disait M. Mays MOUISSI, Ministre de l’Économie et des Participations du Gabon en ouverture du Forum d’affaires France – Gabon à Paris ce matin même, « nous ne sommes pas un gouvernement de revanchards. 85% des membres du gouvernement sont des civils, notamment des dirigeants de l’ancien régime. Car nous avons décidé de regarder devant nous. Le chef de l’État a décidé de faire de la transition une fenêtre d’opportunités. Or une partie de la réponse aux problèmes des Gabonais, – chômage, infrastructure, éducation -, est dans cette salle, ici à Paris et parmi les Gabonais de France. »
C’est que la France est de loin le premier partenaire économique hors Afrique du Gabon. 25% des importations viennent de France au Gabon. 12 500 salariés, soit 15% de l’économie formelle, ont des entreprises françaises comme employeurs. L’AFD investit 400 millions d’euros sur dix projets structurants.
Le Gabon traverse un moment charnière sans précédent dans son histoire avec l’ambition d’enfin déployer tout le potentiel que sa richesse naturelle et humaine lui promet pour figurer parmi les grands pays émergents en Afrique.
Pour la France, cette visite d’État est aussi l’occasion de réinventer une relation d’un genre nouveau avec l’Afrique, loin des compromissions de la « Françafrique » d’hier, sur la base de relations de confiance et de respect réciproque.
Brice Oligui Nguema sera-t-il ce militaire, un de Gaulle africain, sachant à la fois conquérir le pouvoir pour rendre sa liberté à son peuple et le distribuer à toutes les forces vives de son pays ?
C’est tout le défi de cette transition pour cet État stratégique du Bassin du Congo situé à la croisée des deux hémisphères, en plein coeur et au centre de l’Afrique.
Michel Taube