La liste de Deschamps en direct sur TF1, les sélections de basket pour les Jeux Olympiques, le groupe fermé des handballeurs multi-médaillés pour chaque championnat, les 15 titulaires du rugby pour le Tournoi des Six Nations, inspirent les spécialistes comme les béotiens. L’équipe de France s’envisage par le prisme personnel du citoyen, chacun y impose ses évidences et ses émotions. Le statut des Didier Deschamps (foot), Olivier Krumbholz (handball), Vincent Collet (basket), Fabien Galthié (rugby) équivaut à celui d’un ministre, dans l’inconscient populaire.
Mais c’est bien le sélectionneur qui, seul, porte la responsabilité de créer un collectif, dont la symbolique impacte une nation tout entière. A partir de mes échanges réguliers avec certains d’entre eux, voici une synthèse des principes à respecter pour faire une équipe de France.
La qualité de base pour réussir la mission, reste la capacité à évaluer précisément les performances individuelles pour établir une équipe. Il appartient au sélectionneur de regrouper sous un même maillot les meilleurs du pays, à tous les postes de jeu sur le terrain. Pour les grandes compétitions, il convient de définir un titulaire et son remplaçant pour assurer chaque rôle. L’équipe s’appuiera aussi sur des éléments polyvalents, capables de changer de fonction et d’offrir une troisième solution, en cas de blessure d’un des deux spécialistes.
Une première inégalité se présente pour le sportif. Certains évoluent à une place sur le terrain où la concurrence fait rage, d’autres bénéficient d’un niveau d’ensemble plus faible dans leur registre. La sélection s’avère plus ou moins compliquée à obtenir, c’est une question de destin ! Que dire de la nationalité, qui offre une chance d’être champion du monde ou confine au rang de faire-valoir quand son pays ne parvient pas à accéder au haut niveau. Un Estonien sait qu’il ne sera jamais champion d’Europe de football.
L’équipe fonctionne comme une micro-société. Pour que celle-ci puisse vivre harmonieusement, elle se nourrit d’interactivités productives, de complémentarités équilibrantes, d’épanouissements personnalisés au sein du collectif, d’émulations positives. De ce fait, nous devons reconsidérer l’idée de départ. Par exemple, si les meilleurs arrières droit et gauche du pays ne peuvent s’entendre, l’équipe risque le déséquilibre ou le conflit. Le sélectionneur devra sacrifier l’un des deux pour l’intérêt commun. Tous les meilleurs n’intègreront donc pas forcément la sélection. Voilà une donnée qui relativise la conviction de l’observateur mécontent, qui ne perçoit pas de tels éléments de vie interne.
Reprenons la rédaction de la liste et ses évidences : qui s’impose comme leader incontournable ? M’Bappé, Renard, Karabatic, N’Zé Minko, Dupont, Wembanyama, N’Gapeth… sont nos plus brillants exemples des sports collectifs français. Ils subliment l’équipe. Qui peut les accompagner sans les brider ? Là encore, les plus talentueux risquent la mise à l’écart.
1998, Aimé Jacquet déconcerte le peuple de France en évinçant du Onze tricolore Cantona et Ginola… « La coupe du monde en France sans ces deux légendes, comment est-ce possible » ? L’histoire donna raison au sélectionneur qui installa Zinédine Zidane comme seule star de l’équipe, lui apportant toute la sérénité nécessaire, excluant tout risque de conflits et de concurrence malsaine.
Poursuivons avec l’exemple du foot. Le joueur majeur (Kopa, Platini, Zidane, Mbappé) exige à ses côtés les 10 meilleurs aux autres postes, à conditions que ceux-là s’intègrent dans le contexte tactique qui lui convient. Le meilleur avant-centre du moment, censé lui servir de point d’appui, peut échouer en sélection si la mission confiée par le sélectionneur diffère de celle qu’il fournit en club, à la demande de son entraîneur. D’où les questions iconiques de l’histoire du sport français : Giroud ou Benzema avec Griezmann et Mbappé ? Choisissez !
Les coéquipiers compatibles avec le ou les joueurs majeurs devront aussi accepter leur statut privilégié : « Je suis là pour le faire rayonner » ! En échange, la star fera preuve de bienveillance et de reconnaissance pour favoriser leur épanouissement, nécessaire pour gagner. « On gagne ensemble, on perd ensemble ».
Maintenant que nous avons cerné les problématiques principales, nous pourrons nous pencher lors d’une seconde étape, sur les subtilités qu’un sélectionneur doit maîtriser.
Frédéric Brindelle
Journaliste, chef de rubrique « Opinion Paris 2024 »