Les sélections nationales enflamment les « cafés du commerce ». Les choix du sélectionneur de l’équipe de France, avant une grande compétition, déclenchent les commentaires les plus virulents. 68 millions de français tranchent sur la bonne formule et se revendiquent tous comme l’homme ou la femme de la situation, le temps d’une envolée lyrique.
Nous avons évoqué, dans l’épisode précédent, comment l’équipe nationale s’articule autour de joueurs vedettes. A leurs côtés, des titulaires s’imposent dans un contexte tactique mis en place pour faire briller la star. Charge à ces coéquipiers d’adapter leurs qualités, pour contribuer au succès et briller à leur tour. Une fois leur position confortée au service de la cohésion humaine et sportive, chaque titulaire se retrouve face à son remplaçant. Ce duo s’apparente à un couple avec son harmonie et ses conflits. Il affronte l’inévitable concurrence. Le sélectionneur se sert de cette dualité pour créer une émulation positive, dans le sens où elle pousse les joueurs à progresser. Il combat toute situation négative notamment si le titulaire subit une défiance psychologique. Là encore, le sélectionneur tranche dans l’intérêt de sa micro-société. Le comportement d’un remplaçant revêt un enjeu central. Il peut, par excès de frustration, détruire la cohésion, déclencher des conflits, provoquer la création de clans à l’intérieur de l’équipe. Voilà pourquoi, souvent, le deuxième meilleur joueur du pays à un poste n’intègre pas la sélection. Notre fameux observateur du « café du commerce » s’en émeut jusqu’à évoquer l’injustice, à tort.
Le puzzle de la sélection comporte beaucoup d’autres pièces.
Celle de la complémentarité physique s’appréhende aisément depuis l’extérieur du groupe. Un grand pour la maîtrise des airs, un petit au centre de gravité créatif, un gaucher, un rapide, un souple, un musclé, un endurant…
Plus difficile à appréhender, la pièce de la culture et de l’éducation reste taboue. Jamais évoquée en public, parce qu’éminemment politique, elle provoque des débats chez nos concitoyens. La couleur de peau, la naturalisation, l’origine, interpellent ceux qui pensent que la Suède n’aligne que des blonds et l’Italie que des bruns. Le monde du sport permet aux humains de toutes races d’échanger, de s’affronter, de se toucher, de s’embrasser. La question de l’équipe nationale rebat les cartes, non pas pour les joueurs mais pour leur nation. Des pays comme la France, le Brésil, les États-Unis possèdent une population métissée et alignent une sélection nationale cosmopolite. Les succès de ces pays prouvent que la diversité peut renforcer le niveau.
Il n’est pas question de compter le nombre d’Africains d’origine chez les bleus. N’en déplaise à certain. En revanche, il convient de constater que le joueur présente un profil physique et psychologique différent suivant qu’il soit issu d’une famille d’agriculteurs basques, de la bourgeoisie intellectuelle bordelaise, d’ingénieurs alsaciens ou d’ouvriers auvergnats. De même, le joueur ne présente pas les mêmes qualités s’il a grandi dans une famille serbo-croate, gabonaise, marocaine, portugaise, vietnamienne… Le physique, l’éducation, les valeurs, le vécu diffèrent et ces données dessinent des champions aux multiples facettes. Le sélectionneur français ne choisit pas le joueur en fonction de son origine ou de son milieu social. En revanche, il sait leurs singularités et les utilise astucieusement. La micro-société dont il est question se construit comme la société française : très diversifiée. Nos équipes nationales parviennent à triompher si elles s’en inspirent.
Pour appuyer le concept de diversité, nous ajouterons la donnée psychologique.
Quatre grands profils structurent le travail du préparateur mental. Les cartésiens, les dominants, les interactifs et les constants. A première vue, pour gagner le match, l’entraîneur choisira le dominant, un joueur forcément majeur. Erreur ! Celui qui brille et ne craint rien ne discernera peut-être pas correctement le danger quand l’adversaire lui tend un piège. Il peut faire perdre l’équipe par orgueil.
Survient alors le constant, capable de conserver son sang-froid, et d’appliquer la stratégie malgré la tempête : il ouvre un contre-feu. Pourtant, celui-là ne parvient pas à sublimer le collectif, il se cache à l’heure de l’irrationnel.
Ce qui pousse le coach à s’appuyer sur un autre, l’interactif, qui s’épanouit par le collectif et qui grâce à son enthousiasme solidifie le groupe, il porte la flamme ! Souvent déconcentré par l’autre, il s’écroule avec l’équipe si son œuvre patauge. Dans ce trio, chacun tire dans sa direction au rythme de ses émotions.
Il faut le quatrième de la bande, le cartésien. Pour lui, l’affect passe au second plan, il applique la tâche, il récite le plan, une assurance tous risques sans, certes, beaucoup d’originalité ni d’émotions.
Vous comprenez évidemment l’enjeu pour le sélectionneur : il doit associer, à dose équivalente ces quatre profils, tous susceptibles, d’ailleurs, d’endosser le rôle de star, capitaine, altruiste, expérimenté, remplaçant, finisseur, créateur… à leur manière. La subtilité résulte de leur répartition et de leur utilisation.
Voilà, si le cœur vous en dit, essayez-vous au métier de sélectionneur. N’oubliez pas que vos joueurs peuvent provenir, du même club ou d’équipes rivales, de championnats plus ou moins exigeants. Ils vivent au rythme de leur génération or, trois ou quatre peuvent se côtoyer dans une même sélection. Vous estimerez l’état mental, en fonction des évènements qui bousculent la vie du champion, vous consulterez les examens de santé, vous anticiperez la charge émotionnelle liée à la particularité d’un match. Un travail passionnant et exigeant ! Seuls les plus intelligents réussissent, quand le destin veut bien leur offrir un vivier de talents d’exception. Vous voici prêts, au moins, pour briller « au café du commerce ».
Frédéric Brindelle
Journaliste, chef de rubrique « Opinion Paris 2024 »