Opinion Eco & Entrepreneurs
10H40 - jeudi 30 mai 2024

Une carotte fiscale à râper au menu du prochain budget : le Crédit d’Impôt Recherche. La chronique éco de François Perret

 

Une niche avec un chien qui aboie à s’en rompre les cordes vocales et toujours prêt à mordre. C’est un peu l’histoire du crédit d’impôt recherche (CIR), qui fêtait déjà ses quarante ans de service l’an dernier. Un anniversaire contrarié par les positions observées par les formations politiques de tous bords (NUPES, Renaissance, RN…) à son égard durant le débat parlementaire sur la loi de finances 2024.

Car le CIR a beau être bien installé dans le paysage des dépenses fiscales depuis sa création dans les premières années du premier septennat de François Mitterrand, les louanges ont fait place depuis plus d’une décennie aux critiques acerbes à son endroit.

Si l’on ne compte évidemment aucun détracteur qui mettrait en question son existence même ou les raisons qui ont présidé à sa création – encourager les activités de recherche appliquée ou fondamentale, et celles de développement expérimental – c’est le coût du dispositif qui finit par interroger au regard de son efficacité. Au point que députés et sénateurs ont multiplié les amendements visant à réformer le CIR à l’automne 2023.

C’est vrai que le prix budgétaire à payer pour le CIR (autour de 7,6 milliards d’euros cette année) fait grincer des dents. Car si cette niche fiscale permet bien aux entreprises tricolores d’économiser jusqu’à 30% de leurs dépenses en R&D engagées sur le continent européen, de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer son calibrage.


Il est vrai que l’inventaire critique touchant la première dépense fiscale de l’hexagone est particulièrement fourni.

Premier argument pour le faire tomber de son piédestal désormais d’argile : le CIR n’a pas empêché l’économie française de dégringoler dans les classements internationaux, avec une relégation au quinzième rang pour une part de son PIB consacrée aux dépenses intérieures de recherche et développement (R&D-DIRD) qui plafonne à 2,22% en 2021. Et cette part n’en finit pas de reculer depuis dix ans, laissant la France à des années-lumière de la performance des pays leaders de la planète (Israël et la Corée du Sud, qui dépassent ou approchent les 5%) et même encore bien loin du peloton de tête incluant également les États-Unis, la Belgique, le Japon, l’Allemagne ou encore la Chine.

Autant de pays qui se sont d’ailleurs doté depuis longtemps d’un dispositif d’aide fiscale qu’on enviait à la France il y a encore vingt ans. Sauf que le nôtre est incomparablement plus onéreux. Alors que nos entreprises consacrent à la recherche un effort inférieur à celui des autres pays de l’OCDE (1,44% en 2019 contre 1,76% en moyenne), ce sont elles qui aspirent le plus d’aide publique, en incluant financements directs et aides fiscales. En tout, les aides publiques dans l’hexagone couvrent presque un tiers (28% précisément) des dépenses de R&D, contre moins de la moitié de ce pourcentage dans le reste de l’OCDE (12%) et de l’Union européenne (10%). Incontestablement, la France se démarque de ses concurrents internationaux par le poids de ses aides fiscales, qui représentent un effort colossal de 0,29% du PIB contre 0,11% dans l’OCDE en moyenne.

Est-ce qu’au moins l’efficacité des aides, crédit d’impôt-recherche en tête, justifie ce fardeau bien plus élevé pour le budget de l’État ? Ce ne sont pas les enseignements qu’on peut tirer des multiples évaluations conduites au cours des quinze dernières années : au lieu de stimuler les dépenses de R&D, les incitatifs fiscaux ont une fâcheuse tendance à les mettre en sommeil. Qu’on mesure bien ceci : pour 1 euro d’aide, le montant de R&D généré dans notre pays n’est que de 0,34 euro en moyenne. En Belgique et au Portugal, par exemple, il est de 3 !

Mais la tentation de jeter le bébé avec l’eau du bain serait dangereuse. Car le CIR produit un réel effet sur la recherche dans les petites et moyennes entreprises. En gros, plus l’entreprise est petite et meilleur est l’usage qu’elle fait de l’aide fiscale : pour 1 euro reçu, les entreprises de moins de cinquante salariés investissent 1,4 euro en R&D ; pour celles de 50 à 249 salariés (les plus grosses PME), ce montant redescend à 1 euro, ce qui est encore très acceptable, mais il n’est que de 0,4 euro dans les plus grandes entreprises.

Or, cherchez l’erreur… ce sont les multinationales qui accaparent une grande partie du CIR. Entre 2014 et 2016, on a même observé que 50 entreprises ayant les créances de cette aide fiscale les plus élevées ont touché à elles seules la moitié de celles-ci. En 2022, Renault a pu ajouter à ses comptes 136 millions d’euros de CIR, Engie 48,9 millions, Dassault Aviation 32,5 millions…

Alors que faire pour inverser la tendance et améliorer nettement le coût/bénéfice du crédit d’impôt-recherche ? Probablement repartir à l’assaut des déviances généreuses du CIR à l’occasion du PLF (projet de loi de finances) 2025. Si le gouvernement devait omettre de remettre le sujet sur la table dans son texte initial, le Parlement disposerait de près de trois mois, à compter d’octobre, pour corriger le tir par voie d’amendement.


Les grandes lignes d’une réforme ambitieuse pour le CIR sont déjà largement tracées.

La première disposition à prendre devrait l’être par le gouvernement lui-même depuis qu’il a été rappelé vertement à l’ordre par Jean-René Cazeneuve (Renaissance) lorsque le député a mis en lumière au cours des derniers mois la propension d’une partie des entreprises à effectuer certaines dépenses éligibles au CIR en dehors de l’UE. Dont acte puisque la loi de Finances pour 2024 prévoit qu’un rapport soit remis au Parlement par l’exécutif sur les moyens à mobiliser pour mettre un terme à ces pratiques.

Les autres modifications ne devront pas se borner au contrôle des règles en vigueur mais toucher en profondeur aux mécanismes du CIR pour améliorer son efficience.

La priorité des priorités me semble être de mieux moduler, à l’avenir, la dépense fiscale en fonction du montant des dépenses de R&D engagées par les entreprises. C’est l’idée déjà mise sur la table il y a quelques mois de la création d’un troisième taux, débouchant sur une prise en charge des dépenses du CIR de 30% jusqu’à 50 millions d’euros, de seulement 15% entre 50 et 100 millions pour rendre le remboursement plus résiduel (5%) au-delà de la barre de 100 millions d’euros. Un amendement en ce sens a été rejeté lors de la préparation du PLF 2024. Son adoption aurait permis un certain recentrage du CIR sur les PME, dont on a vu qu’elles faisaient meilleur usage en moyenne de la niche.

Mais cela ne suffira pas. Le débat parlementaire à l’automne devrait, on l’espère, permettre d’aborder de nouveau plusieurs idées phares : exclure les entreprises du secteur financier du bénéfice du CIR ; créer un nouvel indicateur de performance pour évaluer les « sommes véritablement allouées à la recherche », ou encore circonscrire la niche aux investissements verts par exclusion des dépenses qui aboutiraient à stimuler la R&D touchant aux énergies fossiles…

En 2023, la commission des affaires économiques du Sénat avait déploré l’absence de réforme du CIR dans le document budgétaire final, promulgué le 29 décembre.

Si le président Emmanuel Macron entend passer de la définition de son ambition pour la Recherche, qu’on lit dans son second discours de la Sorbonne, à sa mise en œuvre, nul doute qu’il aura à cœur d’œuvrer pour la rationalisation du CIR lors du PLF 2025.

 

François PERRET

Economiste, professeur affilié à ESCP-Business School, vice-président du think-tank Etienne Marcel, et auteur de « Non. Votre salaire n’est pas l’ennemi de l’emploi ! Vaincre l’austérité salariale, c’est possible » (éd. Dunod)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PLF 2024 : les amendements rejetés

 

 

CIR : > 20 000 entreprises et > 7 milliards de dépenses. La première dépense fiscale en France

1/ un coût important pour le budget de l’État

2/ CIR plus efficace pour les PME que pour les grandes entreprises

D’où l’idée d’un meilleur ciblage au profit des secteurs économiques qui en ont le plus besoin :

 

 

 

Mais pourquoi maintenir cette « carotte fiscale » à ce niveau ?

=élément déterminant de la localisation de la recherche en France, où coût du travail et fiscalité des entreprises sont par ailleurs élevés.

 

Principale aide = le CIR.

Créé en 1983

Plusieurs réformes : 2008, déplafonnement et élargissement des dépenses éligibles, coût passé de 1,8 milliard à 4,5 milliards en un an !

En 2020, 6,8 milliards (dont 95% au titre de la recherche) pour 27 443 entreprises. Ce qui veut dire que les 22,7 milliards de recherche déclarées par les entreprises ont généré une créance de 6,5 milliards pour ces dernières…Ce qui signifie qu’environ 1/3 des dépenses de R&D déclarées par les entreprises sont prises en charge par la puissance publique. Le CIR correspond aux 3/5ème du soutien public à la R&D. Dispositif fiscal le plus généreux de l’OCDE et première niche fiscale en France.

 

L’efficacité des aides est clairement décroissante avec la taille des entreprises : pour 1 euro reçu, les entreprises de moins de 50 salariés investissent 1,4 euros en R&D, les entreprises de 50-249 salariés 1 euro et les grandes entreprises (plus de 250 salariés), seulement 0,4 euros (Étude OCDE ;

L’efficacité de l’aide croit également avec le degré d’intensité de R&D du secteur des entreprises. L’effet d’entraînement est plus fort quand le montant des dépenses de R&D pris en charge est plafonné. Or, depuis 2008, le CIR n’est plus plafonné (30% jusqu’à 100 millions d’euros et 5% au-delà).

Et les grandes entreprises qui représentent 3% des bénéficiaires déclarent 47% des dépenses de recherche et captent 44% de la créance.

Les PME représentent 83% des bénéficiaires, mais seulement 28% du total des dépenses de recherche et 29% de la créance.

Les effets sur les brevets paraissent également limiés, notamment au regard de l’effort en termes de finances publiques, mais sont trois fois plus efficaces pour les PME que pour les grandes entreprises.

L’effet sur l’emploi serait faible et même parfois « non significatif ».

Les incitations ont un effet modeste sur l’attractivité du site France pour la localisation de la R&D des entreprises multinationales. Et le poids des groupes français dans le classement mondial des grands groupes investisseurs en R&D a baissé d’un tiers entre 2005 et 2019.

Par contre, le CIR réduit de 5 à 15 points le taux implicite d’imposition sur les sociétés.

 

Que faire ?

 

1/ plafonner le CIR – le conseil des prélèvements obligatoires avait recommandé un plafond de 20 M€

2/ recentrer le CIR sur les PME. Hollande s’y était engagé en 2012.

3/ conditionner écologiquement le CIR, a minima en excluant les activités « brunes », nuisibles à l’environnement et socialement (tenir compte des écarts de salaire, des dividendes, renforcer la participation des salariés au conseil d’administration…)

4/ remplacer une partie des aides fiscales par des aides directes aux travaux scientifiques, qui permettront notamment la transition climatique et environnementale