Paru le 24 septembre 2023
L’Arabie saoudite serait donc sur le point de normaliser ses relations diplomatiques avec Israël. Dans une interview accordée le 20 septembre à la chaîne américaine conservatrice FOX NEWS, Mohammed Ben Salman annonce : “ Chaque jour, nous nous rapprochons [d’un accord]. Il semble que, pour la première fois, il soit réel et sérieux. […] Si l’administration Biden réussit, je pense que ce sera l’accord le plus important depuis la guerre froide. »
Cette annonce tonitruante souligne combien la dynamique créée par les Accords d’Abraham signés en 2020 par le Bahreïn, les Emirats Arabes Unis et l’Etat d’Israël, sous parrainage américain (Donald Trump était l’hôte de la Maison blanche) s’inscrivent dans la durée. Le Maroc s’est également fortement rapproché d’Israël. Le Tchad, le Soudan (avant la nouvelle guerre civile) a fait de même.
Dans ce mouvement de fond, la question se pose du rôle que peut jouer la France. Réputée pour sa politique arabe, tout en sachant ménager l’Etat d’Israël (Benjamin Netanyahou avait réservé la primeur de ses déplacements internationaux hors du Proche-Orient à Paris depuis son retour au pouvoir en février 2023), la France est aux abonnés absents. Idem pour l’Europe.
Il est loin le temps des Accords d’Oslo, des conférences de Bruxelles et Madrid pour rapprocher les points de vue.
Où est passée la politique arabe de la France ? Sa capacité à parler avec tout le monde ?
Malheureusement, la France semble avoir des relations privilégiées, préférées même, avec certains pays dont la doctrine et le soft power tanguent vers un rejet de cette dynamique des Accords d’Abraham : l’Iran (dont la France a manqué l’opportunité historique de prendre le leadership de la condamnation du régime des mollahs avec la révolution “Femme Vie Liberté”) et le Qatar, très (trop ?) présent en France, dans le sport, les médias et les affaires.
Dans un grand entretien accordé à Opinion Internationale, Philippe, Feitussi, avocat international, explique la généalogie de ces relations presque incestueuses entre Paris et Doha. L’avocat explique les effets catastrophiques qu’a eus en France, en termes de soft power et de possible corruption, un arbitrage international vicié, rendu par la Cour Internationale de Justice de La Haye en 2001 entre le Bahreïn et le Qatar, possiblement sous pression de la France et d’un juge français.
On connaît la suite : proximité de Nicolas Sarkozy avec le Qatar, achat du PSG, investissements massifs dans les médias et séduction des jeunes élites des banlieues françaises.
Si le Qatar est certainement le champion du monde du soft power, est-ce le sentiment de toute-puissance que confèrent les excès du soft-power (la coupe du monde de football aurait coûté la bagatelle de 250 milliards de dollars) qui ont conduit notamment à l’arrestation, à la séquestration et à la torture du chef d’entreprise français Tayeb Benabderrahmane ? Celui-ci se bat pour la vérité et réclame le soutien de la France dans son bras de fer judiciaire avec le Qatar.
Dès lors la France peut-elle jouer un rôle dans l’approfondissement des Acords d’Abraham ? La France qui a les plus grandes communautés musulmane et juive d’Europe, qui eut à une époque une grande politique arabe, pourrait peser sur l’avenir des relations entre Israël et le monde arabo-musulman.
Il faut le souhaiter mais deux conditions doivent être remplies…
Paris doit cesser de considérer que la paix avec les Palestiniens est un préalable à tout accord dans la région. C’est le contraire qui permettrait d’isoler le Hamas, la direction corrompue de l’Autorité palestinienne et de trouver des interlocuteurs pacifiques et crédibles parmi les Palestiniens.
Ensuite Paris doit rééquilibrer ses relations avec les pays du Golfe et choisir clairement le camp de la paix, du droit (en soutenant notamment le Français Tayeb Benabderrahmane) et de la pacification des relations entre l’Orient et l’Occident.
Abraham II à Paris
Et si la France (pourquoi pas avec le Maroc à qui Emmanuel Macron tarde à rendre visite), sous parrainage du Bahreïn et des Emirats Arabes Unis, lançait une grande initiative « Abraham II » ? Et si de Paris le Maroc, la Mauritanie, le Tchad, le Soudan, Oman et de nouveaux pays renouaient ou renforçaient leurs relations diplomatiques avec Israël ?
Même des pays stratégiques comme le Qatar seraient face à un dilemme historique. C’est une chose de savoir organiser le plus populaire des événements planétaires avec la Coupe du monde l’an dernier. C’en est une autre de de prendre le TGV de l’histoire.
Qu’on le veuille ou non, la réconciliation entre l’Orient et l’Occident, la pacification de nos banlieues notamment, passe notamment par le Moyen-Orient.
La France ne fait-elle pas partie des États passerelles, ceux qui savent discuter avec tout le monde et dont le rayonnement tient moins à leur puissance de feu qu’à cet étrange mélange d’une haute idée qu’ils ont d’eux-mêmes et de l’estime que leur prêtent les autres nations… A condition de respecter les grands équilibres géostratégiques.
La France, capitale de la diplomatie mondiale ? Rome a accueilli le premier Sommet mondial annuel sur le leadership des Accords d’Abraham en décembre 2022.
A quand le tour de Paris ?
Michel Taube