Romain Duriez est Directeur général de la Chambre de Commerce et d’Industrie France-Suisse, premier réseau d’affaire franco-suisse.
Il répond aux questions de Laurent Tranier, pour Opinion Internationale, sur les missions de la Chambre et les perspectives de la relation économique entre les deux pays.
Romain Duriez, vous êtes Directeur général de la Chambre de Commerce et d’Industrie France-Suisse (CCIFS). Il s’agit d’une institution vénérable qui célèbre cette année son 130e anniversaire : c’est d’ailleurs la Chambre de commerce bilatérale la plus ancienne de Suisse. Quelles sont les missions de la CCI France-Suisse et quel rôle joue-t-elle aujourd’hui ?
La CCIFS est une association à but non lucratif, d’utilité publique, autofinancée à 100%. Effectivement, nous célébrons cette année nos 130 ans, ce qui fait de nous les héritiers d’une longue histoire.
Nous comptons aujourd’hui plus de 1 000 entreprises membres et nos actions sont opérées par une équipe de 26 collaboratrices et collaborateurs à Genève, Bâle et Zurich. Notre rôle est de fédérer, informer, défendre les entreprises qui sont membres de notre structure, et mettre en réseau les entreprises françaises et suisses, dans les deux sens.
Nous organisons des événements, nous apportons de l’information à travers nos publications, nous avons mis en place des comités qui réfléchissent aux enjeux des grandes thématiques de l’entreprise et des différents secteurs d’activité, et nous sommes les promoteurs d’une vie de réseau importante. Toutes ces missions représentent environ 40% de notre activité.
60% de notre activité sont consacrés à l’accompagnement économique des entreprises françaises en Suisse et des entreprises suisses en France. Nous réalisons 1300 à 1400 prestations chaque année, qu’il s’agisse d’études de pré-implantation, de l’accompagnement d’implantation, nous hébergeons également 80 entreprises dans nos locaux, nous offrons des services de gestion déléguée et nous accompagnons les entreprises sur le temps long dans de nombreux domaines de leur activité : en réalité nous sommes un véritable couteau suisse pour les entreprises qui souhaitent s’implanter et se développer sur chacun des deux marchés !
Quels conseils donneriez-vous aux entreprises françaises qui souhaitent se lancer sur le marché suisse ?
Je dirais, concernant la France et la Suisse, que nous sommes à la fois très proches et très loin… N’oublions pas que la Suisse est francophone pour un quart de sa population et que les trois quarts restants parlent principalement allemand, et dans une moindre mesure italien et romanche. Une entreprise française souhaitant s’installer en Suisse doit prendre en compte ces spécificités.
Premièrement, elle doit bien étudier le marché sur lequel elle souhaite s’implanter et définir quelle valeur supplémentaire en terme d’innovation, en terme de qualité, quelle différenciation elle va apporter. Le marché suisse est un marché mature, qui bénéficie déjà d’une offre pléthorique et sur lequel ce n’est pas le prix qui fera la différence.
Ensuite, l’entreprise doit se faire bien conseiller et accompagner afin d’être mise en relation avec les bons interlocuteurs, qui vont lui permettre d’accéder au marché sur lequel elle souhaite se positionner. La Suisse présente un marché de relativement petite taille, très corporatiste dans le sens où il n’y a pas énormément d’interlocuteurs possibles dans chaque domaine : l’enjeu est de trouver le bon interlocuteur. La Chambre de Commerce et d’Industrie France-Suisse peut parfaitement orienter l’entreprise, soit en l’accompagnant directement, soit en la mettant en relation avec des prestataires pertinents.
Enfin, les entrepreneurs doivent avoir une vision de long terme. Il ne faut pas attendre un retour au bout de six mois ou d’un an, mais investir dans la durée, créer des relations de confiance, et bien des choses seront alors possibles.
Quelle est la situation de la relation commerciale entre la France et la Suisse ?
La relation commerciale entre la France et la Suisse est très particulière et très forte. On compte 1800 entreprises françaises, ou leurs filiales, implantées en Suisse, qui représentent 80 000 emplois pour un total d’investissement d’une valeur approximative de 48 milliards d’euros. Pour une valeur à peu près équivalente, on compte 2400 entreprises suisses, ou filiales d’entreprises suisses, installées en France, ce qui représente pour notre pays le 5e investisseur étranger et 170 000 emplois, principalement industriels.
Les échanges croisés de biens et services se montent approximativement à 100 milliards d’Euros par an. Beaucoup d’échanges sont intra-branches, je pense notamment aux secteurs de la pharmacie ou de l’horlogerie, et la balance commerciale est généralement légèrement excédentaire pour la France.
Il y a également 200 000 Suisses qui vivent en France et à peu près autant de Français qui vivent en Suisse, mais une particularité dans notre relation tient aux 210 000 frontaliers français qui travaillent en Suisse et qui s’y rendent chaque jour pour renforcer l’économie locale.
Tous ces éléments sont le signe de liens très forts entre la France et la Suisse. L’image de la France est plutôt bonne, associée à une forte capacité d’innovation, de création, à une très bonne formation. La France est aussi appréciée pour sa capacité à accueillir des investissements industriels en raison de la disponibilité du foncier et de la main d’œuvre, ainsi que d’une énergie à moindre coût que ce que l’on peut rencontrer un Suisse.
Du côté des choses moins positives, le cadre fiscal et social n’est pas toujours très bien vu, même si dans ces domaines les choses s’améliorent. Il faut dire qu’en Suisse, dans l’entreprise, le dialogue est permanent et le cadre est globalement très libéral.
Quelles sont les perspectives et les secteurs où le potentiel de développement des entreprises françaises en Suisse est le plus important ?
Tous les domaines d’activité peuvent présenter un intérêt, dans la mesure où l’entreprise française apportera une offre innovante, qualitative et différente, notamment dans l’industrie mécanique, l’électronique et la machine-outil.
Mais c’est peut-être dans les nouvelles technologies que l’offre locale est aujourd’hui la moins abondante, ainsi que dans le domaine des ressources humaines. Les besoins des entreprises en Suisse sont très forts en termes de digitalisation et de durabilité, dans le but de réduction de l’empreinte carbone.
Vous avez reçu le 29 mai Pacte PME qui présente son alliance pour la décarbonation, réunissant des grands comptes et des PME. Des deux côtés de la frontière, est-ce que vous sentez une mobilisation en faveur de la transition énergétique ? Et un potentiel collaboratif entre les entreprises pour réduire ensemble leurs émissions de gaz à effet de serre ?
Je crois que l’approche proposée par Pacte PME est très bonne : elle consiste à s’appuyer sur des contraintes auxquelles doivent répondre les grandes entreprises mais aussi les grands donneurs d’ordre publics, qui conduisent leurs sous-traitants PME et ETI à prendre également le chemin de la durabilité.
Si ces entreprises ne répondent pas aux attentes en matière de durabilité, elles ne pourront pas satisfaire les critères des grands donneurs d’ordre dans ce domaine. Il en va donc pour elles d’un enjeu existentiel : la durabilité est une condition de leur compétitivité et donc la transition est pour elles un objectif économique rationnel.
Nous sommes là, avec Pacte PME, pour accompagner les PME et les ETI auxquelles les grands groupes imposent des baisses d’empreinte carbone. C’est un de nos grands enjeux stratégiques pour les années à venir.
Merci Romain Duriez