Opinion Paris 2024
10H00 - mercredi 12 juin 2024

Quelle Europe ? Dans les yeux de Paris 2024, la chronique (#33) de Frédéric Brindelle

 

Les urnes relatent leur lot de crises. A travers les performances des partis nationalistes, celles de l’immigration et de l’identité émergent.

Les Européens craignent une OPA sur leurs valeurs et traditions. Le RN associe systématiquement ces deux crises à une troisième, celle de l’insécurité. Par voie de conséquences, les deux premières citées s’amplifient.

Le sport s’impose en vitrine pour estimer la crédibilité du discours de ces partis nationalistes. Le championnat d’Europe d’athlétisme se déroule actuellement. Ce premier sport olympique et universel, érige quelques lumières susceptibles d’éclairer les débats pré-législatifs.

Ajoutons que, dans quelques jours, le sport le plus populaire au monde, le football, proposera à son tour, une réflexion dans le cadre de son « Euro », organisé en Allemagne.

 

L’Allemagne, saignée par la réminiscence d’une extrême droite qui traumatise la planète entière, (à cause de son histoire, notre voisin et ami reste sous intraveineuse, c’est une incontournable évidence), vient de défrayer la chronique. La célèbre chaîne de télévision, ARD, a publié un sondage sur « le nombre de joueurs blancs en sélection ». Joshua Kimmich, joueur vedette « blanc », a qualifié cette enquête d’ « absolument raciste ».

  » Faut-il plus de joueurs blancs en sélection allemande ?  »  La question a choqué, sa réponse également. Sur les 1 304 Allemands interrogés, 21 % ont répondu « oui ». Mais ce n’est pas tout, 17 % des sondés estiment qu’un joueur d’origine étrangère ne devrait pas porter le brassard de capitaine.

 

Revenons à nos athlètes, sautant, courant, lançant, dans le stade de Rome. La fierté locale, le champion olympique surprise du 100 mètres, Lammont Marcell Jacobs, trimbale sa créolisation, maillot italien sur le torse, bien loin de sa ville texane de naissance, El Paso. Il s’ajoute à une longue liste de médaillés, qui redonnent des couleurs à nos amis transalpins, à l’image de Yemaneberhan Crippa et de son sourire solaire, offert à l’arrivée du semi-marathon.

La suissesse Mujinga Kambundji, l’espagnol Mohamed Attaoui, le portugais Tsanko Arnaudov ou encore l’irlandaise Rhasidat Adeleke, confirment une tendance inexorable, voulue par la seule volonté humaine. Des parents d’origine différente se sont mariés. Leurs enfants métissés sont devenus sportifs, la richesse de leurs différentes origines les a hissés sur les podiums. La France, le Brésil, les Etats-Unis, la Grande Bretagne, le Canada, vivent avec cette évidence depuis des décennies. Les Italiens, Allemands, Espagnols, Danois… nous rejoignent. Partout, auréolés d’une médaille, rayonnent des athlètes, des humains, fiers de fredonner l’hymne national de leur pays. Quelle que soit leur race. Le suédois dont le grand père fut Kenyan, semble réussir dans les disciplines de fonds depuis son inscription au club de Stockholm, dès son plus jeune âge. Il porte les couleurs jaunes et bleues sur son corps frêle, typique des coureurs de l’Afrique des grands plateaux. Pendant ce temps, son compatriote, Armand Duplantis trône sur la perche mondiale. Un look à la suédoise, « bien blanc », formé par les américains, depuis toujours. Dans les deux cas, c’est la Suède qui gagne. Est-ce une victoire de la formation, de la génétique, de l’état civil, de l’amour extracommunautaire ? Peu importe et c’est devenu une évidence. Le sport conceptualise la crise identitaire et migratoire. Notre monde se mêle, s’aime parfois. Si j’épouse une japonaise, moi le titi francilien, j’aurai des enfants aux yeux bridés, français et peut-être champions de triathlon.

 

Notre équipe de football, lors de l’Euro en Allemagne, arborera la semaine prochaine ses belles couleurs. Kanté, Konaté, Upamecano, Tchouaménie, Mbappé, Hernandez, Zaïre-Emery, succèdent brillamment aux Zidane, Benzema, Platini, Kopa. Oui notre équipe bénéficie de l’immigration. De ses binationaux Africains, plus à l’aise ballon au pied que sur un vélo ou un court de tennis. Elle récupère ces petits blancs (Griezmann, Hernandez) délaissés par une formation française obnubilée par l’envergure physique, formés grâce au savoir-faire Espagnol, où ils certains jouent encore.

Peut-être que le nombre de noirs, d’asiatiques, d’arabes, de métisses… vous interpelle ? Peut-être avez-vous vu aussi l’exemplarité de notre équipe nationale, cadrée par un Didier Deschamps exigeant ? Ils chantent la marseillaise, re « francisent » une jeunesse souvent éloignée des valeurs républicaines qui s’inspire de leur parcours et savoure leur patriotisme.

 

Le sport nous dit cela. La couleur de peau et l’origine ne peuvent plus être sources de crises pour nos sociétés occidentales. Contrairement à l’indiscipline, la médiocrité, le sentiment antinational proscrit dans les clubs. Combattons l’insécurité, l’incivilité, le communautarisme, l’entrisme religieux, la radicalisation. Le peuple le demande. Les urnes nous le clament. Mais ne négligeons pas ce que les êtres humains ont fait pour s’emmêler, sous une même bannière. Kanté, Agbegnenou, Karabatic, Garcia, NGapeth, Mossely, Mayer, Robert-Michon… nous sommes tous bleus, blancs et rouges. Et je vous aime.

 

Frédéric Brindelle
Journaliste, chef de rubrique « Opinion Paris 2024 »