A l’occasion de sa visite officielle en France, Madame Paulette Missambo, présidente du Sénat de transition de la République du Gabon, a accordé un entretien exclusif à Opinion Internationale.
Madame la présidente du Sénat, vous avez rencontré Gérard Larcher, le président du Sénat français. Dans cette période importante qu’est le gouvernement de transition du Gabon, quelle est la nature des relations entre le Sénat que vous présidez et le Sénat français ?
Je tiens à remercier le président du Sénat Français, Monsieur Gérard Larcher, pour son invitation qui souligne le souhait des deux parties d’entretenir de relations cordiales, actives et prometteuses entre nos deux pays.Nous avons convenu ce matin, qu’à l’occasion de la 49ème Session plénière de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF) qui se tiendra à Montréal au Canada, du 5 au 10 juillet 2024, le Sénat Français témoignera de la place importante du Gabon dans cette organisation, dont, rappelons-le, il est un des co-fondateurs. Je tiens également à souligner qu’au Gabon, le français est la seule langue officielle et la seule langue commune à tous les Gabonais.
Nous avons ensuite échangé sur le besoin de coopération entre nos deux institutions, notamment en matière de développement territorial et économique. Nous souhaitons bénéficier des expériences réussies en France en matière de décentralisation pour les mettre en pratique au Gabon. Avec le président Larcher et ses équipes, nous allons organiser cette mutualisation de bonnes pratiques.
Existe-t-il une coopération décentralisée importante entre le Gabon et la France, entre les collectivités locales gabonaises et françaises ?
Celle-ci a été freinée ces dernières années. Mais j’espère qu’après cet entretien fructueux avec le Président du Sénat français, nous pourrons redynamiser ce type de coopération, pour le bien-être de nos localités.
Le président de la transition et chef de l’Etat du Gabon, le général Brice Clotaire Oligui Nguema, est venu en France il y a quelques semaines. Vous êtes, Madame la présidente, également en visite en France. La France est-elle un pays important dans la transition que vit actuellement le Gabon ?
Nous avons une histoire commune avec le passé colonial de la France au Gabon et des liens économiques et culturels tissés avec le temps. Nos diasporas respectives sont nombreuses dans nos deux pays. La France est toujours le premier partenaire économique du Gabon.
J’ai accepté l’invitation du président Larcher pour consolider cette relation mais aussi pour créer les conditions pour que certains accords et partenariats soient revisités et que se mette en place une coopération agissante dans un esprit mutuellement bénéfique pour le Gabon et la France. Ces échanges sont dans la continuité de ceux qu’ont eu le président de la transition avec le président français lors de sa visite le 31 mai dernier.
Le Gabon veut prendre son avenir en main. Cette transition est une période décisive et une opportunité historique, ai-je envie de dire, de créer les conditions d’une coopération équilibrée entre la France et le Gabon.
En tant qu’observateur extérieur, je n’ai rencontré aucun Gabonais qui ne se félicite de cette transition. Vous êtes, Madame la présidente, un des symboles de cette transition car vous avez été, depuis plus de 20 ans, une personnalité clé de la vie politique gabonaise. Vous avez été ministre du président Omar Bongo et parmi les premiers, sinon la première, à refuser, la confiscation du pouvoir par Ali Bongo, qui a succédé à son père. Après avoir été mise à l’écart du pouvoir pendant 15 ans, vous êtes aujourd’hui présidente du Sénat de transition. Que représente votre présence à la tête du Sénat pour les Gabonais ?
Nous devons nous réjouir de ce coup de libération. Effectivement, c’est un coup d’État mais qui s’est fait sans effusion de sang. J’étais alors la première femme élue présidente d’un parti politique au Gabon, un parti d’opposition. Nous avions créé une coalition appelée « Alternance 2023 ».
Aussitôt désigné, le Chef du Comité pour la Transition pour la Restauration des institutions (CTRI) a libéré les prisonniers d’opinion. C’était un signal fort. Il a ensuite annoncé vouloir mettre en place des conditions propices pour que chaque Gabonais puisse retrouver une vie civile normale, une vie politique apaisée. Ce gouvernement de transition a déclaré vouloir favoriser le vivre-ensemble, la liberté d’expression, l’organisation d’élections libres et transparentes… Dans ces conditions, j’ai estimé, qu’il fallait accepter ses propositions et l’accompagner.
Le plus important est de rebâtir le Gabon sur des bases solides avec la mise en place d’une bonne gouvernance politique et économique. Un Gabon où chaque Gabonais puisse trouver sa place.
Le Sénat a-t-il un rôle particulier à jouer dans cette transition ?
A la demande du président de la transition, le Sénat et l’Assemblée nationale sont composés de politiques, de militaires, de membres d’associations de la société civile, de syndicalistes, d’associations, de religieux. Ainsi, sont représentées toutes les strates importantes de la population.
Avec mes collègues, nous concentrons nos forces et nos idées pour que le Gabon puisse enfin se reconstruire sur des bases solides. C’est dans cet état d’esprit que nous examinons tous les textes qui nous sont présentés.
Parmi les signes importants d’une transition qui se veut efficace, est annoncée une réforme du code de commerce au Gabon pour faciliter les échanges et notamment les investissements internationaux. Un projet de loi a été déposé par le gouvernement à l’Assemblée nationale. Le développement économique fait-il partie des priorités de la transition ? Le Sénat en est-il déjà saisi ?
Le Sénat n’est pas encore saisi de ce projet de loi. Cependant, le président de la transition en a parlé à son homologue français lors de sa visite en France à la suite du Forum économique tenu à Paris début juin.
Il est important pour le Gabon de développer des échanges commerciaux avec l’étranger mais il est essentiel de revoir les accords et les partenariats pour que cela profite aussi au Gabon. C’est essentiel pour son développement. Notre doctrine est claire : des échanges win-win doivent sortir de ces discussions et de ces projets.
Vous avez fait vos études en France avec un DEA de lettres à Lille. Quel rôle joue la diaspora gabonaise en France et dans le monde dans la réussite de la transition au Gabon ?
La diaspora a toujours été très active. Elle est essentielle pour réussir cette transition.
Le Président de la transition a fait un point d’honneur à rencontrer la diaspora gabonaise à l’occasion de chacune de ses visites à l’étranger. Il incite chaque Gabonais à rentrer au pays pour s’investir dans la refondation de notre pays. Il a même décidé de mettre à disposition des vols spéciaux pour ceux qui souhaitent rentrer.
La diaspora la plus active et la plus nombreuse est celle de France. Elle est d’ailleurs bien représentée au gouvernement, puisque Monsieur Mays Mouissi est ministre de l’Économie et des Participations gabonais, et Madame Laurence Ndong, ministre de la Communication et des médias et porte-parole du gouvernement.
On parle beaucoup de transition politique au Gabon, de turbulences politiques en Afrique, mais il y a aussi des turbulences en France. La France connaît une période très spéciale avec des élections législatives qui n’étaient pas prévues.
Quel est votre regard en tant que femme politique gabonaise qui connait bien la France ? Est-ce que vous avez un message à adresser aux Français à la veille d’échéances aussi importantes pour notre pays ?
Non, je n’ai pas un message. Ce serait une intrusion dans la vie politique française. Les Français sont libres de leur choix. J’espère simplement que les accords de coopération entre la France et le Gabon ne seront pas remis en cause après les résultats des élections quelle que soit la majorité, s’il y en a une, qui sortira des urnes. Je note qu’au Gabon, lors des élections européennes du 9 juin, la liste de Jordan Bardella est arrivée en tête dans la communauté française.
Nous veillerons à ce que ces accords soient l’expression de partenariats gagnant-gagnant, de respect mutuel, d’une coopération respectueuse des droits de l’homme, des droits humains et des droits des peuples.
Au Gabon, il n’y a pas, comme dans d’autres pays africains francophones, de sentiment anti-français. Comment expliquez-vous cela ?
C’est vrai qu’il n’y a pas à proprement parler de sentiment anti-français au Gabon. Simplement parce que les Gabonais et les Français ont toujours vécu en bonne intelligence, même s’il y a eu un passé colonial.
Cependant, il faut que les autorités françaises écoutent le cri de la rue. Ça a commencé au nord, ça peut descendre au sud. C’est pour cela que je milite pour la révision des accords de coopération. Pour que nous puissions développer des rapports d’Etat souverains, des contrats gagnants-gagnants, de façon à renforcer ces rapports entre les Français et les Gabonais.
Ensuite, un énorme travail d’inclusion est fait à l’école. Lorsque j’étais ministre de l’Éducation, j’ai introduit une réforme scolaire pour permettre aux enseignants gabonais d’enseigner dans les écoles conventionnées (françaises) et dans les Gabonaises. De façon qu’il y ait une véritable mixité.
Car tout commence à l’école.