À l’approche des Jeux olympiques de Paris 2024, « Athlètes of war » est un documentaire captivant et émouvant sur l’invasion russe de l’Ukraine vue sous un angle atypique, celui des athlètes olympiques ukrainiens et de leur préparation sportive.
« Ces athlètes sont talentueux et dévoués. Certains sont même des prodiges dans leur sport » (Le Progrès, novembre 2022). Mais leur vie quotidienne et leur entrainement sont perturbés de manière insensée en raison du conflit en cours. Un certain nombre se sont mobilisés contre l’invasion russe de leur pays, allant jusqu’à prendre les armes, au péril de leur vie. A la fin décembre 2023, plus de 400 étaient déjà décédés.
« Cela n’a rien à voir avec une guerre normale », confie Serhii Stakhovsky, qui a troqué son maillot de tennis pour un treillis militaire. « Ils essaient de nous tuer tous et de tuer notre nation ».
« Athletes of War » est une histoire puissante sur la résilience de l’esprit humain, l’importance du travail d’équipe, l’identité nationale et le pouvoir unificateur des sports mondiaux. C’est un film qui doit inspirer et toucher le public, montrant que même dans les moments les plus sombres, il y a toujours de l’espoir pour un avenir meilleur.
Mykola Ponych, producteur de ce documentaire, répond aux questions de Liuba Zhurbenko, journaliste ukrainienne basée à Kyiv, pour Opinion Internationale.
Mykola Ponych, vous êtes un producteur et un scénariste ukrainien réputé dans la réalisation de documentaires et de courts-métrages. Pourriez-vous nous expliquer la genèse d“Athletes of War” et votre rencontre avec son réalisateur américain, Gabriel Veras ?
C’est Gabriel Veras qui est à l’origine de l’idée du film. Il m’a contacté par hasard !
Au début, ce devait être un court métrage sur le champion olympique de karaté ukrainien, Stanislav Horuna.
Mais je voulais en montrer plus. Filmer davantage d’athlètes ukrainiens pour témoigner de leur quotidien depuis le début de l’invasion par la Russie. Nous avons filmé, filmé, filmé et c’est ainsi qu’est né “Athletes of War”.
Quelle est l’ambition de ce documentaire ?
Elle est triple.
Tout d’abord, montrer les conséquences du conflit sur l’entrainement de nos athlètes. La plupart des bâtiments sportifs ont été détruits. Quand vous n’avez plus de lieu pour vous entrainer correctement et sereinement, plus d’électricité, peu de nourriture et sous la menace de tirs de missiles, c’est une source énorme de stress à la veille d’une compétition mondiale comme celle des JO.
Iryna Koliadenko, lutteuse et médaillée olympique, le confirme. « Nos conditions sont différentes de celles des athlètes russes. Nous avons des missiles au-dessus de nos têtes. Nous risquons de ne pas nous réveiller… pour eux tout est paisible ».
Nous voulions aussi mettre à l’honneur tous les athlètes ukrainiens. Ceux qui sont morts ou ont perdu des proches à cause de la guerre. Ceux qui combattent en première ligne. Ceux qui ont été amputés, et qui, malgré tout, continuent à s’entraîner.
Mais ce documentaire a aussi pour vocation d’alerter sur la participation des athlètes russes et biélorusses aux Jeux Olympiques de Paris. Au travers de leur sport, ils sont de puissants outils de propagande du Kremlin. La plupart sont membres des forces armées russes, possèdent des titres ou participent à des campagnes de propagande… L’occident doit en avoir conscience et empêcher leur participation.
(NDLR : En décembre, 226 athlètes ukrainiens ont signé une lettre ouverte exhortant Emmanuel Macron à interdire les participants russes et biélorusses. « Certains ont déjà été approuvés en tant que concurrents « neutres » (c’est-à-dire en tant que participants sans affiliation nationale déclarée) bien qu’ils soutiennent l’invasion de l’Ukraine ».)
Je suppose que ce film n’a pas été simple à réaliser, que ce soit techniquement ou humainement.
Effectivement. Lors des tournages en zone de guerre, nous étions quatre : deux opérateurs, un mécanicien qui était aussi preneur de son et moi. Beaucoup se disaient prêts à aller dans ce véritable enfer, mais ce n’était que des paroles en l’air. Ils me répondaient souvent lorsque je les sollicitais « Merci, Mykola, mais pas cette fois ». Dans les régions plus calmes, nous pouvions être plus de 30 personnes.
Comment avez-vous choisi les personnages de votre film ?
Tout est parti de l’histoire de notre héros Horuna, mais je voulais aussi montrer les autres : Serhii Stakhovsky (tennisman), qui combat près de Kharkiv ou encore Zhan Beleniuk (lutteur).
On voulait aussi faire la lumière sur l’histoire d’un boxeur de Lviv, qui préparait son mariage mais qui a été tué dans la région de Donetsk. A son décès, sa fiancée est partie sur le front comme médecin militaire. En hommage, elle a pris son nom.
L’histoire principale de « Athletes of war » raconte le quotidien de Roman Kashpur. Ce soldat ukrainien, privé d’une jambe après avoir marché sur une mine antipersonnel en 2019 à l’est de la région de Donetsk, s’entraine pour participer au marathon de Londres. Présent sur la ligne de front pendant six semaines après le début de l’invasion russe, Roman, âgé de 26 ans, finira ce marathon en huit heures, muni d’une prothèse. Son exploit lui permettra de récolter des fonds au profit d’une association venant en aide aux soldats amputés ukrainiens.
Nos héros sont tous réels ; l’histoire de chacun est dramatique.
Nous avons filmé dans les endroits les plus dangereux où les explosions étaient très proches. Deux athlètes qui devaient participer au film sont morts avant le début du tournage.
Telle est la réalité des athlètes ukrainiens. Celles de nos champions olympiques.
« Athletes of War » a été parmi les tous premiers films à être réalisés sur le sujet. Je suis reconnaissant, au nom de tout le peuple ukrainien, de ceux qui sont déjà allés le voir et à tous ceux qui iront lorsque l’occasion leur sera offerte.
Des amis en France me disent que ce film n’est pas à l’affiche des cinémas. Est-il difficile d’organiser la distribution à l’étranger ?
Ce n’est pas simple de distribuer notre documentaire à l’international.
Aujourd’hui, il est principalement diffusé dans le cadre de festivals de cinéma, comme à Cleveland (USA), où il fait partie de la sélection officielle. Des associations en soutien à l’Ukraine organisent aussi des projections en partenariat avec des cinémas, comme l’Association ELU (Échanges Lorraine Ukraine) à Metz [voir l’encadré].
J’espère qu’« Athletes of War » sera bientôt disponible sur les plateformes de streaming pour être vu par le plus grand nombre.
Il existe une version longue du film (90 minutes) et une version plus courte pour la télévision (50 minutes). Je recommande de regarder la version longue. C’est l’ensemble du montage du réalisateur.
Ce film s’adresse avant tout au public européen, mais je pense que vous espérez aussi qu’il soit vu par les organisateurs des Jeux Olympiques de Paris 2024.
J’espère effectivement qu’ils vont le regarder. Nous négocions avec l’aide de notre ministère des sports pour qu’il soit projeté à l’occasion des JO en France.
L’Association ELU (Échanges Lorraine Ukraine) à Metz a choisi de diffuser ce documentaire.
Violeta MOSKALU Présidente d’ELU et Global Ukraine nous en confie les raisons : « Le film « Athlètes de la guerre » offre une plongée poignante dans la vie des athlètes ukrainiens confrontés aux horreurs de la guerre. En choisissant de projeter ce film, l’association ELU souhaite sensibiliser le public français et international à la réalité vécue par ces sportifs, dont les rêves et les carrières sont brutalement interrompus par le conflit. Cette sensibilisation est cruciale pour comprendre les sacrifices et les résiliences nécessaires pour continuer à représenter leur pays, même en temps de crise. En période de préparation pour les Jeux Olympiques de Paris, cette projection prend une signification particulière. Elle rappelle au monde que derrière chaque athlète se cachent des histoires de courage et de détermination, souvent exacerbées par des circonstances extraordinaires. La reconnaissance de ces efforts peut renforcer le soutien international envers les sportifs ukrainiens et souligner l’importance de la paix pour permettre à tous les athlètes de concourir dans des conditions équitables et sûres ».
Liuba Zhurbenko,
journaliste ukrainienne basée à Kyiv