Opinion
09H23 - vendredi 28 juin 2024

Investitures des candidats républicains : la prudence s’impose. La Tribune de François-Henri Briard, avocat

 

Le jugement rendu par le juge des référés du Tribunal judiciaire de Paris le 14 juin 2024 ordonnant en urgence la suspension des effets des deux décisions d’exclusion définitive du président Eric Ciotti par le bureau politique des Républicains les 12 et 14 juin 2024, et la nouvelle décision de  ce juge du 27 juin 2024 rejetant la demande de désignation d’un mandataire ad hoc présentée par 703 membres du Conseil national des Républicains ont-ils  épuisé le débat juridique qui déchire depuis quelques jours le camp des responsables et élus de ce parti politique ?

Rien n’est moins sûr.

D’une part, il appartient désormais aux juges du fond de se prononcer sur la nullité de cette exclusion ; rien n’est joué à ce jour et le débat promet d’être soutenu, les avocats d’Eric Ciotti, Philippe Torre et Philippe Prigent, ne manquant ni d’énergie, ni de talent.

D’autre part, et surtout, la question de la validité immédiate des investitures accordées aux candidats par la commission nationale des investitures des Républicains se pose désormais avec acuité.

Le président du parti, qui a jusqu’à présent gagné tous les combats juridiques menés contre lui, ne manque pas sur ce dernier point d’arguments sérieux, en particulier au regard de l’article 39 des statuts des Républicains, qui confère au conseil national du parti une compétence exclusive pour désigner les membres de cette commission. Or, il semble bien que ce conseil national n’ait pas été réuni et que seul le bureau politique, qui ne peut que proposer des candidats, se soit prononcé, au nom d’une urgence déclarée par lui et non prévue par lesdits statuts.

Quels sont alors les risque encourus par les candidats qui entendent aujourd’hui, dans un tel contexte improbable, se prévaloir d’une investiture des Républicains ?

Tout d’abord, cette initiative risque de fragiliser leur situation au regard de la sincérité du scrutin à venir, et d’exposer ainsi leur élection à une annulation. Sous la Vème République, les partis politiques concourent à l’expression du suffrage ; et l’investiture qu’ils attribuent est un élément essentiel de la vie démocratique. Une jurisprudence établie juge ainsi que seule une investiture, et non un simple soutien, permet d’attribuer une nuance politique à un candidat. Certes, il n’appartient pas au juge de l’élection de vérifier la régularité de l’investiture au regard des statuts et des règles de fonctionnement des partis politiques ; mais celui-ci doit malgré tout vérifier si des manœuvres ont été susceptibles de tromper les électeurs sur la réalité de l’investiture des candidats. Pour apprécier l’incidence des faits dénoncés sur la sincérité du scrutin, le Conseil constitutionnel tient compte, pour chaque espèce, de circonstances telles que le comportement du candidat mis en cause, la manière dont avaient été relayées dans la presse les informations relatives à l’investiture et aux soutiens politiques des candidats durant la campagne ainsi que la connaissance qu’avaient les électeurs de la situation électorale. Dans le contexte actuel, l’usage d’investitures irrégulières dans les professions de foi, les affiches et les bulletins ne serait-il pas assimilable à une manœuvre ? La question se posera dans le cadre de contentieux à venir et peut-être même dès le scrutin, un retrait des bulletins de vote pouvant être demandé sur ce même fondement.

Ensuite, l’usage de ces investitures à tout le moins controversées pourrait exposer les candidats à des risques de nature pénale qui ne sont pas négligeables : propagation de fausses nouvelles, manœuvres assimilables à une escroquerie en vue de l’obtention de suffrages, obtention irrégulière d’un financement public appelé à devoir être remboursé, contrefaçon dans l’usage de la marque par l’usage irrégulier du logo Les Républicains, etc… Les écueils sont nombreux et à cet égard encore la prudence s’impose.

Enfin, dans la situation actuelle de forte incertitude juridique qui affecte la régularité de l’exclusion du président du parti et la validité des investitures accordées par une commission nationale composée sans l’aval du conseil national, en violation du pacte associatif qui constitue la loi de fonctionnement de tout parti politique, il apparaît de l’intérêt même des élus de restreindre l’usage du label Les Républicains.

Cette prudence d’intérêt général concourra à la sérénité du scrutin et à l’expression sincère du suffrage.

 

François-Henri Briard, Avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation