Lundi dernier, le spectre de l’indignation a pris la forme d’un clip vidéo où une vingtaine de rappeurs français, de Fianso à Akhenaton, s’érigent contre l’extrême droite. Instigué par Ramdane Touhami et DJ Kore, ce projet se voulait un manifeste brûlant contre le Rassemblement National (RN). Cependant, ce qui se dévoile à l’écran n’est rien de plus qu’une litanie bruyante et confuse, un dérapage incontrôlé qui trahit la gravité du sujet abordé.
Dès les premières secondes, Fianso donne le ton : « Sur toute la longueur de la A7 faut qu’on rembobine la K7 / La menace vient droit des cités, ma gueule on vote contre les porcs / Jordan t’es mort. » Une entrée en matière qui, sous couvert de provocation, révèle une pauvreté intellectuelle déconcertante. Les mots sont crachés comme des pierres, sans autre ambition que de blesser et choquer. Le problème n’est pas tant dans la vulgarité des propos que dans leur vacuité désespérante.
Certains pourraient arguer que « No Pasarán » est un acte courageux, une prise de position nécessaire dans une époque de désenchantement politique. Mais cette prétendue bravoure s’effondre sous le poids de sa propre médiocrité. Le morceau, loin d’être une diatribe cohérente et articulée contre l’extrême droite, n’est qu’un maelström de clichés et de théories du complot. Un délire obsidional, où chaque rime est une flèche empoisonnée visant à attiser la haine plutôt qu’à éclairer les esprits.
En l’espace de près de dix minutes, ce tunnel auditif s’engloutit dans une obscurité où règnent l’antisionisme virulent, l’obsession pour la Palestine, et un identitarisme hypertrophié. Il ne s’agit plus de combattre le RN, mais de se vautrer dans une orgie verbale où la nuance est bannie. La vulgarité misogyne, omniprésente, ajoute une couche supplémentaire de disgrâce à ce triste spectacle. Loin de fédérer, « No Pasarán » fracture, exclut, et insulte.
Les critiques n’ont pas tardé à pleuvoir, et à juste titre. Il faut supporter ces minutes interminables de cris gutturaux et d’invectives mal articulées, où chaque mot semble être une épreuve infligée à l’auditeur. La chanson est un concentré de ressentiment, un étalage de ressentiment où chaque couplet se noie dans un flot saumâtre d’injures pyromanes. Ce qui aurait pu être un hymne de résistance se transforme en un manifeste de la médiocrité.
Il est regrettable de constater que ces rappeurs, qui possèdent une tribune unique pour exprimer la colère et les frustrations de toute une génération, choisissent de sombrer dans la facilité. Plutôt que d’offrir une analyse pénétrante des dangers de l’extrême droite, ils optent pour la voie de la moindre résistance : la haine brute, sans filtre, sans réflexion.
« No Pasarán » est une défaite, non seulement pour ses auteurs, mais pour toute une culture qui mérite mieux que ce torrent de vulgarité. Le rap, en tant que genre musical, a le potentiel de devenir une force de changement, un outil de prise de conscience collective. Mais avec ce morceau, il se réduit à un simple porte-voix de la colère sans fondement, une symphonie de l’insignifiance.
Si « No Pasarán » avait pour ambition de secouer les consciences, il a surtout réussi à montrer l’abîme dans lequel peuvent sombrer ceux qui choisissent la facilité de l’invective à la richesse de la pensée critique. Les rappeurs français devront apprendre à manier leur art avec plus de finesse et de profondeur s’ils veulent véritablement influer sur le cours des événements.
Sofiane Dahmani