Avocat au barreau de Paris et co-Président des “Rendez-vous d’Afrique(s)”, Pierre Masquart rend hommage à l’ancien ministre des affaires étrangères avec lequel il avait déjà créé, dans les années 1990, une association pour promouvoir les échanges avec le continent africain.
Roland Dumas aimait le répéter à qui voulait bien l’entendre : “En Afrique, il est indispensable de prendre soin des palabres ». Le choix du mot n’est pas innocent. Il fait directement référence à l’une des plus grandes traditions africaines : celle de l’arbre à palabres, endroit où la communauté vient s’exprimer et discuter sur les différents sujets qui animent la vie quotidienne du village. C’était ça, la vision de Roland Dumas : savoir discuter pour apprendre et comprendre. Et dans le cas de l’Afrique, apprendre d’elle plutôt que de prétendre lui enseigner quelque chose.
C’était encore cette pensée qui l’animait la dernière fois que je l’ai vu. Nous avions parlé du lancement des “Rendez-vous d’Afrique(s)” et de Kimia Avocats, une initiative dont je m’occupe, avec mon confrère Charles-Stéphane Marchiani, et qui cherche à promouvoir de nouvelles relations avec le continent et ceux qui le construisent – de la sphère politique à la société civile. Malgré l’âge et les maux qui l’accablaient, il souhaitait y participer. Pour lui, la rupture entre l’Afrique et la France est ce qu’il peut arriver de pire… mais c’est pourtant ce vers quoi les stratégies des derniers gouvernements français successifs semblent nous précipiter. Cette volonté d’entretenir un lien vivace entre ces deux continents était chevillée au corps de Roland Dumas. Elle fut d’ailleurs ce qui cimenta notre amitié lors de notre première rencontre en 1998, sur l’Île-Saint-Louis où nous avions tous les deux nos habitudes. À l’époque, nous avions déjà créé les “Échanges Méditerranéens”, une association qui préfigurait ces “Rendez-vous d’Afrique(s)”. Il n’était alors plus ministre, mais il continuait d’entretenir sa profonde connaissance du continent africain ; une connaissance subtile et organique qui ne gommait pas les complexités du mille-feuille de cultures et de coutumes le composant.
Cette “science de l’Afrique”, presque, cette capacité à la comprendre et à l’apprécier manque cruellement aux bagages de la plupart des hommes politiques français et européens. Dumas, lui, la possédait. Ce qui en faisait un individu profondément aimé et respecté des Africains. Et ce, bien au-delà de ses fonctions ministérielles. J’ai eu le privilège de l’accompagner à plusieurs reprises pour rencontrer le colonel Kadhafi. Notamment en 2007, dans le désert libyen, sous une tente, en pleine nuit, nous avions devisé une heure et demie, sur le panafricanisme, avec celui qui se rêvait comme le dernier roi d’Afrique. De ce rendez-vous, Roland Dumas se souvient dans son livre “Coups et blessures”. Il y relève qu’à la conférence à laquelle nous avons participé le lendemain de nombreuses autorités du tiers-monde étaient là, mais pas “les occidentaux qui oublient que le tiers-monde est un vaste monde”. Lui, Roland Dumas, ne l’avait jamais oublié.
Sa mort, à 101 ans, le 3 juillet dernier est l’occasion de lui rendre hommage, bien sûr. Elle est aussi l’opportunité de rappeler l’importance de son héritage africain. A l’heure d’un désengagement de la France en Afrique, il paraît crucial de continuer à tisser des liens sincères et durables fondés sur un dialogue mutuel et constant. De maintenir cette belle et vieille tradition des palabres pour exorciser la méfiance, l’incompréhension et les ruptures. De se souvenir des enseignements de “Dumas l’africain”.
Pierre Masquart
Avocat au Barreau de Paris, Kimia Avocats
Co-président des Rendez-Vous d’Afrique(s)