Avec trois blocs parlementaires de force équivalente (NFP 183 sièges Ensemble 162 et RN 143) et un quatrième, plus modeste (LR – droite républicaine), qui entend avec 45 députés jouer un rôle d’arbitre, la situation politique n’a jamais été aussi confuse sous la Cinquième république.
Chacun revendique le droit à gouverner, mais avec des « lignes rouges » qui ne laissent pas présager qu’une coalition pourra facilement réunir une majorité absolue : NFP entend exercer le pouvoir seul ; Ensemble se présente comme une alternative gouvernementale plausible, mais refuse toute « compromission » avec LFI ou le RN en cherchant plutôt un accord sur sa droite, tandis que LR entend s’affirmer comme une force indépendante. Quant au RN, il exprime un sentiment de spoliation alors que bien que majoritaire en voix au second tour avec 32,05% des suffrages exprimés, il se retrouve dans l’impossibilité de briguer Matignon.
NFP seul est à 107 sièges de la majorité absolue (fixée à 289) !
Ensemble, si elle parvenait à convaincre LR de s’unir avec elle, ne pourrait prétendre qu’à un total de 214 sièges. Encore à 75 sièges de la majorité absolue !
Même en ajoutant quelques divers Gauche (13), Droite (14) ou encore Centre (6), aucune de ces deux coalitions ne peut prétendre gouverner seule le pays.
S’ajoute un problème démocratique évident : Si Ensemble parvenait à « débaucher » quelques socialistes ou écologistes pour trouver ses sept dizaines de sièges manquants, un gouvernement serait alors constitué sans LFI, qui compte 76 sièges, ni le RN, arrivé en tête. Potentiellement, c’est plus de 40% des électeurs qui se retrouveraient ainsi privés de représentation au sein d’un gouvernement sans doute « républicain », mais finalement pas si démocrate que cela.
Alors que faire pour éviter le chaos et sortir de ce nœud politique amené par la dissolution décidée par Emmanuel Macron ?
La réponse semble si simple qu’elle effrayera les plus obtus : un gouvernement d’union nationale !
Évidemment, on peut toujours s’asseoir sur la représentation de 4 Français sur 10 dans le futur gouvernement, mais cela ne semble ni démocratique, ni même très malin d’un point de vue strictement politique. Car, à chaque fois qu’on a voulu laisser sur le bord de la route un parti au motif qu’il sortait de « l’arc républicain » (qui semble avoir aujourd’hui tiré toutes ses flèches), on a fait que renforcer le vote dit populiste. Le RN a presque doublé son score en seulement deux ans, et LFI a encore, bien que dans une moindre mesure, renforcé ses positions.
Est-ce vraiment impossible de rechercher l’intérêt du pays en signant un grand compromis politique national ?
De nombreuses coalitions sont au pouvoir un peu partout en Europe. Après six semaines de négociation, les sociaux-démocrates allemands ont pu signer un programme commun avec les écologistes en 2021. Et le Bundestag a élu un Premier ministre, Olaf Scholz, en votant à la majorité.
Et la même histoire s’est répétée un peu partout sur le continent, de la Belgique à l’Italie en passant par l’Espagne.
Alors pourquoi pas chez nous ?
Parce que, dans l’ADN hexagonal, une profonde passion pour le conflit et une défiance naturelle à l’égard du compromis prévaudraient.
Eh bien, je réponds -non sans souci de simplification mais avec un objectif d’efficacité- qu’il va nous falloir changer nos habitudes !
Mais comment faire ?
Si d’ici les prochaines semaines, aucun gouvernement susceptible d’échapper ensuite à une motion de censure n’était constitué, il reste une idée forte à explorer : le modèle de représentation helvétique.
Que font nos chers amis et voisins suisses ?
Depuis 1959, ils ont décidé à l’échelon fédéral que l’intégralité des sièges gouvernementaux (7 actuellement) seraient distribués selon un ratio reflétant les forces au Parlement. Une formule habile et juste fondée sur un paradigme politique selon lequel les décisions ne sont véritablement durables que si elles sont soutenues aussi bien par une minorité que par la majorité. Tout l’esprit du consensus démocratique suisse.
Et ça marche ! Les membres du Conseil fédéral sont élus en tenant compte du poids politique des quatre grands partis (Parti socialiste, Parti démocrate-chrétien, Parti libéral-radical et Union démocratique du centre) au Parlement, selon la formule dite « magique » du 2-2-2-1 : PS 2, PLR 2, UDC 2 et PDC 1.
Et la présidente du Conseil fédéral en 2024, Viola Amherd, ne tarit pas d’éloge à l’égard d’une telle combinaison. Comparant ces règles démocratiques à une spécialité culinaire de son canton d’origine, la fondue (moitié gruyère et moitié vacherin), elle n’hésitait pas au moment de prendre son mandat à expliquer devant le parlement que la formule helvétique « illustre pourquoi il est avantageux de s’écouter les uns les autres : cela fonctionne très bien, affirmait-elle, lorsque le frais et le crémeux sont mélangés. Et on trempe tous nos fourchettes dans le même caquelon ».
Les responsables politiques français, qui aiment aussi les mélanges culinaires, accepteront-ils d’expérimenter puis de savourer cette nouvelle recette démocratique ?
Éloigner la colère de ceux qui se sentent exclus des décisions politiques depuis si longtemps et reconstruire une unité nationale qui nous fait tant défaut pour affronter les défis du futur passe sans doute par de nouvelles approches et une reformulation de notre contrat politique. Ne tardons pas trop !
François PERRET
Economiste, professeur affilié à ESCP-Business School, vice-président du think-tank Etienne Marcel, et auteur de « Non. Votre salaire n’est pas l’ennemi de l’emploi ! Vaincre l’austérité salariale, c’est possible » (éd. Dunod)