Edito
09H51 - mercredi 24 juillet 2024

Vive cette impasse politique, nous aurons moins de lois ! L’édito de Michel Taube

 

Nous le savons tous, depuis le lendemain du second tour des élections législatives, la France est dans une impasse politique : une Assemblée nationale ingouvernable composée de blocs inconciliables, et prêts à éclater à tout moment en leur propre sein, un gouvernement démissionnaire qui assure les affaires courantes et aucune perspective de nommer un premier ministre qui bénéficierait de la confiance de l’Assemblée nationale.

Et pourtant, même si la France a peut-être besoin d’être gouvernée et se trouve dans une impasse sidérale, comme dit l’adage populaire : à quelque chose malheur serait-il bon ? En effet, bonne nouvelle : très peu de lois seront votées dans les prochains mois par un gouvernement minoritaire dans une assemblée ingouvernable. Et probablement jusqu’à la fin du quinquennat Macron.

Or la France souffre depuis des décennies d’une inflation législative, complètement folle. Nul n’est censé ignorer la loi mais qui connaît l’ensemble des lois que nos parlementaires et nos gouvernements ont l’habitude d’adopter de mandatures en mandatures.

On se rappelle du fameux « Mais arrêtez donc d’emmerder les Français ! Il y a trop de lois, trop de textes, trop de règlements dans ce pays ! On en crève ! » Cette adresse de Georges Pompidou à Jacques Chirac en 1966 n’a pris aucune ride.

Dans leur livre « Normes, réglementations… mais laissez-nous vivre » (Plon, 2020), Marie de Greef-Madelin et Frédéric Paya nous apprennent qu’ « il y aurait aujourd’hui près de 400.000 normes, 11.500 lois avec leurs 320.000 articles auxquels il convient d’ajouter 130.000 décrets ».

Nous dénonçons tous l’excès de normes qui pèsent sur les Français, les citoyens, les entreprises, les acteurs économiques : les lois, normes, les réglementations, les décrets et autres circulaires étouffent les Français. Ces empilements normatifs proviennent notamment d’un nombre excessif de lois. À cette société complexifiée, bureaucratisée, administrative, il y a évidemment d’autres causes : les transpositions de directives et de règlements européens extrêmement différentes jurisprudences des cours diverses et variées qui font de notre Etat de droit un édifice d’une complexité effarante.

Mais là, avec une Assemblée nationale bloquée, empêchée d’adopter des projets ou des propositions de lois, le législateur adoptera moins de lois.

Certes, comme l’a annoncé Mathilde Panot, présidente de son groupe, une première proposition de loi a été déposée par LFI pour abroger la loi sur les retraites. Autre grande spécialité de nos faiseurs de lois : détricoter des lois adoptées dans le passé et créer ainsi, encore et toujours, de l’instabilité.

Mais en absence de gouvernement de plein exercice, la conférence des présidents s’entendra-t-elle pour inscrire cette proposition de lois si sensible à son ordre du jour ? Rien n’est moins sûr !

Plus la macronie est affaiblie et moins elle produit de lois.

En fait, ce ralentissement brutal de l’inflation législative a déjà commencé en début d’année 2024.

Si le gouvernement d’Élisabeth Borne pouvait s’enorgueillir d’avoir fait voter 41 lois malgré sa position déjà fort inconfortable et minoritaire, depuis l’accession de Gabriel Attal à Matignon en janvier 2024 le rythme d’adoption des lois a déjà fortement baissé.

S’il est une preuve de ce que Attal est un super communicant politique, mais peut-être pas un si bon gouvernant, c’est bien qu’il a fait adopter très peu de lois pendant qu’il était Premier Ministre. Il faut dire que Gabriel Attal n’aura été premier ministre que 5 mois jour pour jour jusqu’à la dissolution. Trop court me direz-vous pour faire voter des lois dans une Chambre bicamérale.

Mais tout de même… À son arrivée à Matignon, Gabriel Attal avait promis une grande loi agricole et ce, dans l’urgence. Le projet de loi d’orientation pour la souveraineté en matière alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture, transmis au Sénat le 28 mai 2024, s’est vu interrompre net à la suite de la dissolution de l’Assemblée nationale.

  

Proposition pour que les parlementaires ne se tournent pas les pouces : dégrossir le mammouth législatif

Du coup, les parlementaires ne vont-ils pas chômer et s’épuiser en manœuvres politiciennes, faute de s’occuper des Français en votant des lois ?

Certes, nos chers parlementaires vont devoir voter la loi de finances. Cela va déjà les occuper à la rentrée mais cette loi ne mobilise pas tous les parlementaires, et de loin.

Cette impasse politique qui casse la machine à produire des lois est donc peut-être l’occasion unique pour les parlementaires de se concentrer sur un seul chantier : peut-être pourraient-ils s’entendre pour créer une méga commission chargée de dégrossir le mammouth législatif.

Par-delà leurs divisions intestines et politiciennes, ils pourraient trouver un compromis, du moins entre la macronie, les LR et les députés RN pour alléger ce fameux millefeuille législatif, et donc épurer, nettoyer, alléger toutes les normes législatives inutiles excessives que les acteurs économiques concernés pourront les aider à pointer.

Ce chantier gigantesque nécessiterait des mois et des mois de travail. Peut-être que cette année gouvernementale, en attendant une nouvelle dissolution, permettrait de se concentrer sur ce chantier primordial : alléger le mammouth législatif.

Ne prenons qu’un exemple : Robert Badinter avait proposé dans un livre écrit avec Antoine Lyon-Caen (« Le travail et la loi », Fayard, 2015) de réduire le Code du travail de 3 000 pages à 100 pages. Son livre avait été très mal accueilli. Il pourrait revenir dans l’actualité en inspirant le travail des parlementaires. De quoi les occuper quelques mois.

Bref cette cohabitation impossible pourrait être utile aux Français : un bon remède à l’un des nombreux maux de la République française ? On peut toujours rêver !

 

Michel Taube

 

https://www.actu-juridique.fr/administratif/le-poids-des-normes-en-france-seleve-desormais-a-441-millions-de-mots/

*La Conférence des présidents, quant à elle, fixe l’ordre du jour des deux semaines restantes, sur proposition des présidents des groupes et des présidents des commissions. Une semaine est consacrée au contrôle de l’action du Gouvernement et à l’évaluation des politiques publiques, l’autre à l’examen de textes (semaine dite de l’Assemblée). Le programme de travail élaboré est publié au Journal officiel et sur le site de l’Assemblée nationale.

 

 

 

 

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