C’est quand même le comble : l’une des premières mesures qu’Ursula von der Leyen – tout juste reconduite à la tête de l’exécutif européen – va devoir prendre sous peu sera d’ouvrir une procédure pour déficit excessif à l’encontre de la France.
Bruxelles n’aura à vrai dire guère le choix. Car si notre pays a bien suivi la trajectoire du reste des pays de la zone euro en augmentant massivement sa dépense publique pour faire face à la pandémie de Covid, il est presque le seul à n’avoir conduit aucun effort réel de désendettement par la suite. Au point que nous sommes devenus le troisième pays le plus endetté (après la Grèce et l’Italie) et le second déficit le plus élevé (juste derrière l’Italie) au sein des pays du continent ayant adopté la monnaie commune.
Traduite en chiffres, cette situation donne un peu le vertige : en 2023, la dette publique hexagonale s’établit à 3 100 milliards d’euros (110% du PIB) tandis que le déficit annuel, qui devait se résorber à 4,9 points de PIB, a finalement grimpé jusqu’à 5,5 points. Un écart entre la prévision et l’exécution rarement observé par le passé.
Avec des conséquences qui font trembler pour notre avenir et que le président de la Cour des comptes a su résumer en une courte mais percutante affirmation : « un pays endetté est un pays paralysé ». Pour une raison simple à comprendre : tout l’effort que la France doit désormais consacrer au remboursement de sa dette, elle ne pourra pas le dédier à relever les défis de demain.
Or ils sont si nombreux et décisifs, de l’Éducation nationale au réarmement, en passant par la transition écologique, qu’on ne peut les esquiver ! Les sages de la rue de Cambon en ont donné un aperçu, dans leur dernier rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques lundi 15 juillet dernier, en soulignant les risques associés à la constitution de dettes jumelles que notre pays serait en train de contracter : une dette financière doublée d’une dette climatique. Une bonne raison, pour Pierre Moscovici, de plaider en faveur d’une prochaine montée en puissance de la tarification carbone, qui aurait pour mérite de dégager des recettes complémentaires pour les finances publiques. Sans cela, l’économie française basculerait dans une impasse budgétaire inédite, avec une hausse estimée de 5 à 7 points de PIB générée par la contrainte climatique d’ici 2030.
Soit. Mais peut-on raisonnablement aborder les mois qui viennent avec de bonnes raisons d’espérer que la cigale française va, enfin, se muer en fourmi (allemande, par exemple) et opter pour une trajectoire de redressement des finances publiques enfin ambitieuse, après tant d’années d’égarement ?
Attention cette fois. Face à ce « mur d’investissements » à consentir et à cette « montagne de dette » déjà érigée devant nous, on ne peut plus se raconter d’histoire : il ne sera pas possible de continuer exactement comme avant…
Bien sûr, on pourrait une nouvelle fois fermer les yeux et s’en remettre à la croissance. Après tout, avec un rythme de production suffisamment élevé, on peut toujours espérer réduire mécaniquement les déficits. Mais cette fois, l’avertissement de la Cour des comptes au gouvernement est assez clair : si la croissance n’était pas de 1,35% par an (l’actuelle prévision plus qu’audacieuse de l’exécutif), mais plutôt de 1% sur douze mois, alors en aucun cas le déficit ne redescendrait sous les 3% du PIB en 2027. Partant de là, le désendettement public resterait un objectif parfaitement inatteignable.
Conclusion évidente : si l’on doit résolument chercher à augmenter la production pour sortir des déséquilibres budgétaires, cela ne peut constituer la seule réponse, car on le lit bien à travers le déficit de nos échanges de biens (-76 milliards en 2023), l’économie française reste encore insuffisamment compétitive. Le redressement productif sera long.
Ne restent donc que deux leviers crédibles pour inverser la tendance au creusement des déficits publics : réaliser des économies structurelles et augmenter les impôts !
Tous les gouvernements depuis plusieurs décennies se sont cassé les dents à agir sur la dépense publique, qui n’a jamais baissé, y compris dans les épisodes de retour de la croissance. Au mieux, la dépense reste stable. Et à chaque crise, elle s’envole.
À lui seul, le bouclier énergétique aura coûté 40 milliards d’euros, dont une bonne part a été captée par les producteurs d’énergie. Cette année, l’addition des crises agricole et en Nouvelle-Calédonie créera une ardoise supplémentaire pour les finances publiques.
Dans ces conditions, difficile d’imaginer que les 25 milliards d’économies promis par le gouvernement Attal suffiront pour éviter d’atteindre 5,9% de déficit public à l’horizon 2027, avec au bout du compte un effet boule de neige sur une dette qui pourrait alors atteindre le cap de 120% de la richesse annuelle produite…
Et encore, rien n’empêche de penser qu’en fonction de la majorité (aujourd’hui introuvable) qui s’installera aux commandes du gouvernement, la tentation de laisser filer la dépense ne sera pas encore plus lourde. Bien plus lourde, à l’évidence, en cas d’installation d’une équipe exécutive qui serait issue dues des rangs du Nouveau Front Populaire (NFP). Une instabilité politique qui inquiète d’ailleurs jusqu’au Fonds Monétaire International (FMI), dans le doute sur l’objectif de discipline budgétaire que pourrait s’assigner la France dans les prochains mois.
Si une trajectoire de redressement des finances publiques plus claire pouvait être attendue d’une coalition additionnant la majorité sortante et Les Républicains (LR), aucun scénario politique ne met à l’abri notre pays de nouveaux dérapages budgétaires.
Au point que les Français sont tout à fait fondés à s’interroger sur une hypothèse bien plus raide pour eux – particuliers et entreprises confondus – consistant à ramener un semblant d’équilibre dans les finances de l’État en les taxant davantage dès 2025.
Jusqu’à présent, ce n’est pas cette voie qui a été retenue, puisque les baisses d’impôts et de cotisations sociales ont représenté un coût de plus de 60 milliards d’euros depuis 2018. Fait aggravant : sans aucune compensation par des économies structurelles de dépenses.
Le problème, c’est que la France est déjà championne d’Europe de la pression fiscale. Une pression fiscale et sociale qui pénalise la compétitivité des entreprises, l’attractivité du territoire (qui reste malgré tout élevée) et le pouvoir d’achat des salariés. Le dernier rapport de l’Institut économique Molinari (IEM) du 17 juillet dernier établit ainsi que « le salarié moyen français coûte sur l’année 59 458 euros à son employeur », mais que « son travail est si fiscalisé (54%) qu’il ne lui reste que 27 326 euros nets de charges et d’impôts ». Preuve embarrassante que les allègements de cotisations sociales des gouvernements Macron successifs ne seraient toujours pas suffisants…
Le gouvernement qui va s’installer va donc devoir composer entre ce « ras-le-bol fiscal » de nos concitoyens, entreprises incluses, et la nécessité de redresser la barre. Or, selon la Cour des comptes, si la France veut ramener son déficit en dessous des 3% du PIB, elle doit se préparer à une hausse des prélèvements obligatoires de presque 21 milliards d’euros en 2025-2026, dont 15 milliards (0,5 point de PIB) dès l’année prochaine.
Si les cadeaux fiscaux ne font pas les élections, le fardeau fiscalo-social est toujours un sérieux handicap pour ceux qui prétendent les remporter. Avec une échéance politique suprême (l’élection présidentielle) en 2027, tout concourt à penser que c’est bien sur les deux prochaines années (et non la suivante) que pourraient se concentrer les relèvements de charges…
Qu’on soit de droite ou de gauche, qu’on prenne les choses par n’importe quel bout, dès lors qu’on n’arrive pas à réindustrialiser le pays à plus grande vitesse (ce qui nous permettrait d’augmenter notre production et de dégager mécaniquement plus de recettes), on ne peut aborder la résolution de l’équation budgétaire publique qu’en trouvant le dosage le moins dégradé possible entre les économies à consentir sur les dépenses publiques (qui doivent gagner en efficacité) et les relèvements d’impôt, toujours douloureux pour ceux qui en font les frais, et handicapants pour la compétitivité et le pouvoir d’achat des Français.
François PERRET
Economiste, professeur affilié à ESCP-Business School, vice-président du think-tank Etienne Marcel, et auteur de « Non. Votre salaire n’est pas l’ennemi de l’emploi ! Vaincre l’austérité salariale, c’est possible » (éd. Dunod)