C’est un véritable séisme politique et diplomatique, une volte-face à 360° dont Emmanuel Macron a le secret auquel on a assisté mardi 30 juillet. A l’occasion de la fête du Trône qui marquait cette année les 25 ans de l’accession au pouvoir de du Roi du Maroc Mohammed VI, Emmanuel Macron a adressé une lettre officielle au roi sur le sujet majeur, la priorité des priorités pour les autorités marocaines depuis plusieurs décennies : l’avenir du Sahara occidental.
Ancienne colonie espagnole, cette province de la côte atlantique entre Maroc, Algérie et Mauritanie, le Sahara est considéré depuis toujours par Rabat comme une province, certes autonome, mais pleinement marocaine, de l’État chérifien.
Depuis 2007, le Maroc propose un plan d’autonomie du Sahara sous sa pleine souveraineté. Ancienne colonie espagnole, il est considéré comme un « territoire non autonome » par l’ONU, en l’absence d’un règlement définitif.
Le royaume chérifien a investi des milliards d’euros pour développer le Sahara au niveau économique (le littoral regorge de poissons), énergétique (avec de très importantes réserves en phosphate), touristique, culturel.
Dans son courrier à Mohamed VI, le président français affirme que « le plan marocain d’autonomie du Sahara constitue désormais la seule base pour aboutir à une solution politique juste durable et négociée, conformément aux résolutions du conseil de sécurité des Nations unies. » Certes, Emmanuel Macron ne reconnaît pas expressément la qualité marocaine du Sahara occidental, mais il considère dans sa lettre à Mohamed VI que « le présent et l’avenir de Sarah occidental s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine ».
« Pour la France, l’autonomie sous souveraineté marocaine est le cadre dans lequel cette question doit être résolue. Notre soutien au plan d’autonomie proposé par le Maroc en 2007 est clair et constant », ajoute le chef de l’Etat français.
Bref, pour la France, le Sahara occidental devient politiquement le Sahara marocain.
Ces dernières années, plusieurs pays importants avaient déjà rejoint et décidé de soutenir la position marocaine, notamment les États-Unis et l’État d’Israël. L’Espagne, dirigée pourtant par un socialiste, Pedro Sanchez, a choisi le camp marocain en 2021. Mais les pays européens sont divisés sur la question.
La colère d’Alger
Alger est très courroucé. Dans les minutes qui ont suivi la divulgation de cette lettre d’Emmanuel Macron à Mohamed VI, Alger a rappelé son Ambassadeur en poste à Paris et dénoncé cette volte-face de la France qui jusque-là était sur une ligne plus médiane, plus nuancée, plus prudente, plus « onusienne ».
Pour Alger et ses alliés, le Sahara occidental, c’est une affaire post-coloniale, le Sahara une province colonisée par le Maroc. Alger abrite, soutient, finance le Front Polisario, organisation idéologiquement très à gauche, tiers-mondiste, relayée d’ailleurs en France par l’extrême-gauche.
C’est que le conflit saharaoui est au cœur d’une guéguerre qui oppose l’Algérie au Maroc. Rappelons que depuis 1994, Alger bloque toute circulation des personnes et des biens vers son voisin marocain. La situation ne s’est pas arrangée depuis la rupture diplomatique entre les deux pays décidée par Alger en août 2021. C’est une véritable tragédie que vivent des familles séparées par la frontière fermée car de nombreuses familles sont algéro-marocaines. Précisons d’ailleurs que le conflit n’est jamais redescendu au niveau des peuples eux-mêmes qui s’entendent parfaitement et se connaissent mutuellement. C’est plus le pouvoir d’Alger qui instrumentalise ces querelles.
La volte-face d’Emmanuel Macron
Depuis sept ans qu’il est au pouvoir, Emmanuel Macron avait affiché manifestement et à de très nombreuses reprises une préférence algérienne sur la relation avec le Maroc.
Que cherchait donc Emmanuel Macron avec Alger ? On se souvient d’une très longue visite officielle d’Emmanuel Macron en Algérie trois jours pleins en 2022 (un record de présence sur le sol d’un pays étranger), d’une visite d’Elisabeth Borne avec pas moins de 16 ministres quelques mois plus tard. Deux records aux allures de conseil des ministres franco-algérien, comme si la France et l’Algérie étaient alliés sur tous les dossiers.
On se souvient des nombreuses discussions de Macron avec l’Algérie en vue de reconnaître une responsabilité historique et éternelle de la France sur le destin contemporain de l’Algérie.
Bref cette lettre adressée à Mohammed VI est un coup de billard à trois bandes : il permet à la France de se rapprocher très nettement du Maroc, tout en manifestant une prise de distance assez ferme entre Paris et Alger.
La visite officielle d’État, déjà reportée une première fois, du président algérien Tebboune, en pleine campagne électorale pour sa réélection le 7 septembre, sera certainement reportée sine die voire annulée.
Du côté de Rabat, les relations étaient fort refroidies avec Paris depuis deux ou trois ans. On se souvient que lors du tremblement de terre qui avait endeuillé tout le Maroc en 2023 dans la région de Marrakech, les autorités marocaines avaient refusé l’aide de la France pour secourir les sinistrés. Le Maroc avait en revanche accepté l’aide de l’Espagne.
Malgré ces nuages, une constance préside à l’amitié entre la France et le Maroc, liée notamment à la stabilité d’un régime politique. Hassan II puis Mohamed VI constituent le ciment et le cœur de la société marocaine : l’immense majorité des Marocains sont attachés à leur roi comme ils sont attachés à la « marocanité » du Sahara. Rappelons ne serait-ce qu’un fait historique majeur : la Marche verte du 6 novembre 1975 vers le Sahara, lancée par le roi Hassan II, dans le but de récupérer le Sahara, car considéré comme faisant historiquement partie du Sahara. Elle mobilisa environ 350 000 volontaires civils marocains. Le 6 novembre est une journée fériée au Maroc.
Certes, la société marocaine est en proie à des difficultés et des inégalités économiques sociales, à une sécheresse et un réchauffement climatique qui menace de plus en plus, à des problèmes de liberté publique, la justice, souvent très conservatrice, étant parfois très dure avec des prises de position et des formes de liberté d’expression qui peuvent choquer les Français. Les islamistes sont nombreux, le PJD (Parti de la Justice et du Développement) ayant dirigé le gouvernement et la plupart des grandes villes pendant 10 ans, avant d’être balayé par les libéraux en 2021.
Malgré ces turbulences, il y a donc une stabilité du royaume marocain, qui constitue un atout majeur dans une région du monde ou souvent les coups d’état, les régimes militaires et autoritaires créent de l’instabilité, jusqu’en France.
Cette préférence algérienne de la France d’Emmanuel Macron était d’autant plus incompréhensible que les autorités marocaines ont toujours participé très activement à la lutte antiterroriste, à l’échange de données et d’informations entre les services des ministères de l’Intérieur et de la défense de nos deux pays, à la gestion des flux migratoires venus d’Afrique.
Constance renforcée par le fait que le roi du Maroc lui-même incarne un Islam modéré, contextualisé, un Islam du juste milieu, il est le commandeur des croyants successeur en ligne direct du prophète Mahomet.
Une chose est sûre, le fait d’avoir adressé cette lettre sur le Sahara marocain le jour de la fête du trône visait à donner le maximum d’impact au choix de la France. Dans sa lettre de réponse adressée hier à Emmanuel Marcron, Mohammed VI l’invitait officiellement à effectuer une visite au Maroc, probablement fin septembre ou début octobre selon nos sources. Le dernier voyage du président français remontait à 2018 pour l’inauguration de la ligne LGV Tanger – Rabat qu’Opinion Internationale avait couverte.
Il n’est jamais trop tard pour bien faire, selon l’adage populaire… Macron rééquilibre enfin la relation de la France et le Maghreb et c’est tant mieux !
Michel Taube