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10H19 - lundi 5 août 2024

Hartmannswillerkopf : Une bombe de Papier pour le 110e anniversaire du déclenchement de la 1ère guerre mondiale. La chronique de Max Himm

 

Ce 3 août 2024 marque le 110e anniversaire de la déclaration de guerre de l’Allemagne à la France sur fond de la mécanique du jeu d’alliances après l’assassinat du prince héritier de l’empire austro-hongrois.

En 2014, le centenaire avait été commémoré par les présences communes des Présidents Français (François Hollande) et Allemand (Joachim Gauck) au Hartmanswillerkopf (la montagne mangeuse d’hommes) où plus de 30 000 soldats Français et Allemands avaient trouvé la mort.

A l’époque, les deux Chefs d’Etat avaient multiplié les gestes symboles ostentatoires comme pour mieux afficher l’extrême importance de cet épisode tragique dans l’histoire européenne : séquence dans la crypte, main dans la main devant le catafalque, deux accolades très appuyées et enfin 4 mains empilées sur la première pierre d’un futur historial franco-allemand.

Crédit photo 2 : Philippe Hansch

Si la cérémonie se voulait forte, elle ne vient pas en tête des gestes mémoriels qui contribuent à mobiliser les esprits. En s’affichant main dans la main, mais dos aux caméras lors de leur « reproduction » du Geste de Verdun entre François Mitterrand et Helmut Kohl, les deux dirigeants n’ont pas offert l’image qui permettait de partager la force de leurs convictions.

 

Crédit photo 1 : Ministère des Affaires Etrangères et du Développement International – Photo 2 : Philippe Hansch

Dix ans après le centenaire de la Grande Guerre, qui s’y intéresse encore ?

Peu de monde et certainement encore moins alors que les JO occupent une grande partie de la fenêtre médiatique, l’autre étant bien obscurcie par la situation internationale, économique et l’impasse politique nationale ; des sujets qui finissent par user les esprits les plus ouverts et curieux à la chose publique. Même la très belle séquence du 80eanniversaire du débarquement est aujourd’hui balayée par cette déferlante médiatique.

Durant la période 2014/2018 dite du centenaire, l’exploit avait été de mobiliser une grande partie des Français, mais malheureusement trop souvent au travers du prisme franco-français, jouant sur la corde du poilu ou des conséquences en France de la Première guerre mondiale.

L’enjeu était toutefois plus ambitieux tant la Première Guerre Mondiale et ses conséquences sont des marqueurs de la place de l’Europe dans le monde et de son équilibre : ainsi les traités de paix d’après-guerre, qui ont tracé au cordeau des états comme la Syrie ou l’Irak en ignorant superbement le peuple Kurde, sont toujours au cœur des tensions de cette région et d’une actualité brûlante 100 ans après.

Vouloir réactiver la mémoire de la Grande guerre se heurte d’une part à son passage définitif au rang de l’histoire (puisque l’ensemble de ses témoins sont décédés) et à la prégnance de la Seconde Guerre Mondiale, qui dispose à la fois d’une mémoire encore vivante et malheureusement d’un impact plus élevé sur nos consciences du fait de ses conséquences encore plus tragiques que le premier conflit mondial.

À ceux qui s’interrogent sur la nécessité de regarder ces mémoires, la réponse peut être plurielle.

D’une part la véritable bataille mémorielle que mènent certains Etats (le Sénégal actuellement avec le massacre de Thiaroye, les anciens pays de l’Est pour gommer la prégnance de la culture soviétique dans leurs mémoires, …) rappelle la place que revêt la mémoire dans la construction du discours national et donc de l’identité nationale, source indispensable de cohésion.

D’autre part, cette mémoire est surtout celle d’une époque qui a modelé la situation internationale. Mieux comprendre la place de la France dans le monde avant et après première et seconde guerre mondiale permet une lecture plus aisée des positions Gaulliennes d’indépendance et certainement d’appréhender les enjeux actuels et futurs sous un autre jour. Au travers de la mémoire, les perceptions de chacun évoluent en percevant mieux la force des positionnements politiques de l’époque.

Certains territoires disposent d’un héritage mémoriel fort, et même parfois trop lourd pour qu’il ne soit pas instrumentalisé et réduit à une gloriole nationaliste. À ceux qui prônent le devoir de mémoire, assurez-vous d’être en capacité de proposer un parcours pédagogique permettant une hauteur de vue et offre une véritable prise de conscience des enjeux passés et actuels. Il n’y a rien de plus désastreux dans la transmission mémorielle que de voir des lycéens invités à la visite d’Auschwitz-Birkenau en plein été, plus intéressés par les panneaux publicitaires bien visibles depuis le camp ou surfant sur leurs portables, affalés dans l’herbe et les fleurs d’été sur le sol même où des déportés subissaient les pires traitements avant d’être exterminés. Assurément, la mémoire ne se transmet pas uniquement par la visite d’un site emblématique, mais nécessite un réel accompagnement ou un véritable travail mémoriel en amont et en aval.

À l’inverse, certains territoires souffrent d’un déficit mémoriel. Non pas qu’ils n’aient pas d’histoire ou de mémoire, mais plus souvent car leur mémoire a faibli, écrasée par l’ombre plus forte d’une mémoire voisine ou plus récente, ou encore que le choix fut de tourner une page douloureuse.

Situé aux confins des Vosges alsaciennes, le Hartmannswillerkopf n’apparaît pas dans la lumière mémorielle de cette année 2024 plus focalisée sur les 80 ans des débarquements en Normandie et en Provence.

Mais l’œuvre « Paper Bomb » de l’artiste allemande Nezilla inaugurée ce 3 août 2024 pourrait changer la donne.


Oubliez les monuments classiques de pierre, ceux qui égrainent une longue liste de victimes et ces allégories des combats ou des retrouvailles après la guerre. La « Paper Bomb » ne ressemble à rien de tout cela. Réalisée en aluminium, elle offre, par sa forme, une interpellation inhabituelle qui pousse la curiosité. Elle semble aussi fragile que les grues en origamis de papier de Sadako dont elle s’inspire, et porte la même volonté d’être un symbole de paix. Mais la « Paper Bomb » est plus encore : véritable phare qui attire le visiteur et qui sera en octobre prochain au cœur d’un grand projet mémoriel franco-allemand conçu par de jeunes lycéens sous la direction d’artistes confirmés.

Dès ce jour d’inauguration, cette approche plurielle et tournée vers une nouvelle forme mémorielle s’est dévoilée en présence de l’artiste Nessi Nezilla  et de ses bienfaiteurs dont Laurent Jarry, responsable du projet PREDEM Fessenheim (EDF) et Folker Zoller, Consul honoraire de France à Mannheim.

Cette « Paper Bomb » est la deuxième installée sur le territoire français après celle inaugurée par François Hollande, puis saluée le lendemain par Emmanuel Macron lors de la commémoration des Martyrs de Tulle le 10 juin 2024.

Désormais mémoires de la 1ère et de la seconde Guerre mondiale se rejoignent au profit d’une mémoire européenne plus vaste et plus apte à traduire les enjeux pour les jeunes générations. Tel est certainement le message qui a convaincu Christian Specht, Maire de Mannheim et Thierry Queffelec, Préfet du Haut-Rhin, de ne pas oublier le Hartmannswillerkopf le 3 août 2024.