Les sportifs français enchaînent les exploits. En fleurtant avec la cinquantaine de médailles après seulement dix jours de compétition, il n’est plus du tout utopique d’imaginer que notre pays fasse mieux cette année qu’aux Jeux d’Atlanta (1996) d’où la délégation française était revenue fièrement avec quinze médailles d’or.
De quoi faire oublier que plus d’un mois après le second tour des élections législatives, la France doit encore se contenter d’un gouvernement qui « expédie les affaires courantes », quitte à repousser les échéances législatives et budgétaires – si impérieuses – à des jours plus favorables.
Alors quitte à boire le calice jusqu’à la lie, autant le dire sans fioriture. Le réveil post-olympique sera bien plus assommant encore que les tâtonnements politiques actuels, et la rentrée particulièrement tourmentée au vu de la situation économique avec laquelle le (la) successeur(e) de Gabriel Attal à Matignon va devoir composer en septembre.
Et ce n’est pas tant la conjoncture qu’il faudra accabler, même si elle n’est déjà pas fameuse. La croissance au second semestre (avec +0,3%) résiste, se maintenant par rapport aux trois premiers mois de l’année 2024. C’est vrai. La vague inflationniste semble aussi poursuivre son reflux, bien que les prix de l’énergie repartent assez nettement à la hausse avec +8,5% en juillet (contre +4,5% en juin dernier). Autant d’éléments d’accalmie qui pourraient suggérer une reprise en douceur après une succession de crises depuis 2020 dont notre économie se serait bien passée.
Seulement voilà : autant face aux crises, la France a une capacité de résilience, encore favorisée par des mesures de protection énergiques que les gouvernements successifs ont su prendre depuis la pandémie de Covid-19, autant elle ne veut pas ou ne sait pas régler les problèmes structurels qui handicapent systématiquement la reprise de son activité.
Depuis quarante ans, la relégation de la France à un rang qui ne devrait pas être le sien dans la compétition économique mondiale est essentiellement de deux origines. Notre pays n’est plus un pays de production majeur et il vit au-dessus de son niveau de vie pour faire fonctionner la sphère publique.
Notre croissance du PIB par habitant est tendanciellement moindre que celle observée dans les pays européens comparables et qu’aux États-Unis. L’’écart s’est accru de 20 points en quatre décennies avec ces derniers tandis que notre PIB par habitant est désormais moindre d’un peu plus de 10% que celui observé en Allemagne.
La France a un problème de production et de productivité !
Depuis 2019, la productivité apparente du travail (mesurée en termes de PIB par emploi) a progressé de 6% outre-Atlantique tandis qu’elle s’est repliée de -3,5% en France (contre -0,4% dans la zone euro). Si une partie de ce recul provient du choix (bénéfique) d’avoir développé l’alternance, c’est surtout le repli de la production industrielle française en Europe qui explique beaucoup de choses à moyen terme, y compris la dégradation de notre place dans les exportations des pays de la zone euro (12,3% seulement en 2023). La France produit moins et exporte moins, d’abord parce que sa part dans la valeur ajoutée manufacturière de la zone euro est en chute libre, avec -4 points entre 2000 et 2023, là où elle est par exemple restée inchangée en Allemagne et aux Pays-Bas.
Pour inverser la tendance, l’effort de réindustrialisation va devoir être constant. Car si l’emploi industriel se redresse enfin légèrement sur la période récente (+150 000 emplois entre 2017 et 2023), il bute encore sur les faiblesses structurelles béantes de notre appareil productif.
La première, c’est le problème de compétences ! Chaque année, on forme environ 50 000 ingénieurs en France là où 10 000 de plus au moins seraient nécessaires pour accompagner le mouvement à peine amorcé de réindustrialisation.
La seconde, ce sont les charges qui pèsent sur les entreprises : les prélèvements sur les entreprises sont plus importants en proportion de la valeur ajoutée produite que dans les autres principaux pays de la zone euro et le resteront après les baisses récentes ou annoncées. Prenons l’exemple des impôts de production (prélevés sur des assiettes aussi diverses que le foncier, la masse salariale, la surface commerciale…), ils représentent à eux seuls encore la moitié (4 points sur 8 de valeur ajoutée au total) de l’écart de prélèvements sur l’ensemble des sociétés non financières avec l’Allemagne… malgré la baisse de la CVAE en 2023 et sa suppression annoncée pour 2027.
La troisième, enfin, c’est la recherche, avec un effort de R&D de seulement 2,22% du PIB en 2021… bien inférieur à l’objectif de 3% fixé par l’Union européenne pour 2020.
Or, sans le capital humain disponible, sans l’effort de recherche conduisant à l’innovation nécessaire et sans une décision volontaire pour réduire nettement les prélèvements obligatoires sur les entreprises, afin d’arrêter d’entraver l’offre productive, sans redressement aussi de la durée annuelle du travail (1 668 heures en 2022 en France, contre une moyenne européenne à 1 792 heures), l’objectif de faire de nouveau de la France un grand pays de production restera un vœu pieux…
Sauf que la France aborde la plupart de ces chantiers avec un boulet aux pieds : son endettement public. Au moment où nous devrions consacrer l’essentiel de notre effort national à l’éducation et la formation, à la baisse des impôts sur les entreprises ou encore à soutenir l’effort de recherche publique et privée, notre pays n’a plus un sou en caisse !
En 2026, c’est même la charge d’intérêt de nos emprunts qui devrait prendre le dessus sur le volume financier annuel consacré à l’Éducation nationale. C’est pourquoi, si nous voulons à la fois rassurer les marchés, mais surtout retrouver des marges de manœuvre pour accomplir une politique d’appui efficace au développement de notre offre industrielle, nous serions bien inspirés de faire les efforts au plus vite sur la dépense publique… sans quoi, c’est en impôt supplémentaire que nous payerons (entreprises et particuliers) le poids sans cesse plus lourd de la dégradation de nos finances publiques (ratio dette sur PIB de 110% désormais).
Le Conseil d’Analyse Économique (CAE), emboîtant le pas de la Cour des comptes au début du mois, prône une cure d’amaigrissement publique drastique. Qu’on en juge. Il s’agirait pour le collège d’économistes de ramener le déficit primaire (solde des dépenses et des recettes publiques, hors charge d’intérêts) à zéro avant de le diminuer en dégageant un surplus supplémentaire. Économie escomptée : 112 milliards (4 points de PIB), répartie sur sept à douze ans… sans que des hausses d’impôts ne soient d’ailleurs exclues pour autant.
Est-ce si impossible que cela ?
Un premier inventaire montre que les pistes d’économies sont nombreuses, à défaut d’être consensuelles. Certaines d’entre elles représentent une « forteresse » contre laquelle les parlementaires les plus expérimentés risquent de se heurter à l’automne, comme le recentrage des aides à l’apprentissage (4 milliards d’économies attendues), la suppression des exonérations de cotisations sociales au-dessus de 2,5 SMIC (2 milliards), ou encore le recentrage du CIR sur les petites et moyennes entreprises (2,5 milliards) et la suppression des dispositifs d’exonérations sur les droits de succession (9 milliards). Toutes, si elles viennent sur la table des discussions, entraîneront des joutes parlementaires à forte intensité lors de l’examen des prochaines lois de finances (PLF et PLFSS).
À nous de savoir ce que nous voulons.
Ne rêvons pas l’économie française de demain. Faisons-la !
François PERRET
Economiste, professeur affilié à ESCP-Business School, vice-président du think-tank Etienne Marcel, et auteur de « Non. Votre salaire n’est pas l’ennemi de l’emploi ! Vaincre l’austérité salariale, c’est possible » (éd. Dunod)