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08H00 - lundi 19 août 2024

Finances publiques : mieux vaut encore un budget 2025 retardé qu’inconséquent. La Chronique de François Perret

 

L’été ne touche pas encore à sa fin. Et voilà déjà qu’un bataillon de Cassandre nous prédit une paralysie prochaine de l’État, au motif que nous n’aurions peut-être pas de budget au 1er janvier 2025.

C’est vrai qu’après la dissolution et avec la majorité introuvable issue du scrutin législatif de juillet dernier, l’élaboration budgétaire a pris du retard. Le gouvernement de Gabriel Attal aurait, en principe, dû transmettre il y a déjà un bon mois les fameuses « lettres plafonds » aux ministères, afin de leur permettre de fixer les crédits attribués à chaque mission. Or, les administrations les attendent toujours.

Du coup, le calendrier usuel des étapes à venir pourrait ne pas être respecté : la saisine du Haut Conseil des finances publiques, chargé de donner son avis, puis la présentation du Projet de loi de finances (PLF) en Conseil des ministres, habituellement le 25 septembre et, peut-être même jusqu’au dépôt de ce texte sur le bureau de l’Assemblée nationale, d’ordinaire le 1er octobre.

Y a-t-il pourtant péril en la demeure ? Rien n’est moins sûr. Si le report de nomination par Emmanuel Macron d’un nouveau Premier ministre, au lendemain des consultations des partis politiques prévues le 23 août prochain, complique indéniablement la donne, il n’est pas interdit de penser malgré tout qu’on sera in fine dans les temps.

Car le débat parlementaire ne commence que dans six semaines. De quoi permettre à un nouveau gouvernement qui s’installerait avant la fin du mois de rattraper les semaines perdues en tergiversations et négociations diverses pour former un gouvernement.

Et si cela ne devait pas être le cas, une parade juridique existe : si les deux lois de finances (le PLF et, son double social, le PLFSS) n’étaient pas adoptées au 31 décembre, les fonctionnaires seraient quand même payés au mois de janvier et les administrations continueraient à fonctionner. Par quel miracle ? Simplement en faisant approuver une loi spéciale autorisant le gouvernement à continuer de percevoir l’impôt et à ouvrir les crédits budgétaires indispensables. En ayant recours ou non à l’article 49-3 de la Constitution en fonction des circonstances parlementaires.

Je veux le dire avec conviction : il n’y aura pas de crise et encore moins d’impasse budgétaire publique. Non, non et non.

Mon inquiétude est ailleurs : qu’au contrariant retard actuel dans l’élaboration du collectif budgétaire s’ajoute un crime bien plus grave et toxique. Et à bien plus fort impact pour notre pays : je crains qu’une nouvelle fois les économies nécessaires au rééquilibrage des comptes publics ne soient pas consenties.

Or, de ce point de vue, le temps presse vraiment. La situation des finances publiques hexagonales est parfaitement intenable, avec un déficit qui a atteint 5,5% l’an dernier et une dette qui culminait au 4ème trimestre à 3 088 milliards d’euros (> 110% de notre PIB).

À court terme, cette situation a plusieurs effets délétères. D’abord, la France fait partie des sept pays épinglés le mois dernier par Bruxelles pour déficit excessif. Ensuite, le coût auquel l’économie française peut se refinancer auprès des investisseurs sur les marchés s’élève inexorablement. Car la défiance a déjà poussé les taux d’obligations assimilables du trésor (OAT) à dix ans vers des sommets inégalés, atteignant 3,1% au 7 juin dernier. Avec à la clé un écart (le fameux « spread ») avec l’Allemagne devenu mortifère.

Mais ce sont aux maux de plus longue échéance qu’il faut songer prioritairement. Car la charge de la dette, qui pourrait atteindre 52 milliards cette année, n’est plus qu’à onze longueurs du budget de l’Éducation nationale (63,6 milliards en 2024) ! Bientôt, et alors même que nous avons devant nous un « mur d’investissement » (éducatif, climatique, militaire…), comme le disait encore Pierre Moscovici il y a quelques semaines, la France – en ne réagissant pas à la hauteur de la situation – se condamnerait à pénaliser la préparation de son avenir.

Aussi, l’enjeu de la discussion parlementaire qui s’ouvrira à l’automne prochain, c’est d’abord de se mettre d’accord sur la cible de rééquilibrage budgétaire qu’on veut atteindre. S’il s’agissait bien de viser le retour à un déficit public annuel de 3% d’ici 2027, alors le prochain exécutif devra jouer carte sur table sur son plan d’action et ne pas ménager les moyens pour y parvenir.

Je propose, à ce stade, au prochain gouvernement (de Xavier Bertrand ou de Bernard Cazeneuve, pour rester dans un scénario politique non dégradé) de prendre plusieurs engagements clairs à ce titre.

Premier engagement : se donner les moyens de poursuivre l’augmentation de la production française, en présentant un budget qui favorisera le redressement industriel et le développement des petites et moyennes entreprises. Mais on sait très bien que ce travail ne payera qu’à moyen terme. Il est donc indispensable, pour le gouvernement qui va s’installer, que notre croissance à court terme (2024-2025) soit la moins affectée possible par un contexte géopolitique et macro-économique actuellement dégradé. Au début de l’été, il y avait un consensus des économistes sur une croissance française dans une fourchette de +0,7% à +0,8% en 2024 et de +1,2% à +1,3% l’an prochain. Pas de quoi inverser la tendance du déficit pour l’instant.

Raison pour laquelle, un second engagement vital pour nos finances publiques est nécessaire : fixer un seuil d’économies à réaliser sur la dépense publique, à la fois ambitieux et réaliste. C’est pour cela qu’il importe de travailler sur une trajectoire de moyen, voire de long terme, mais comportant aussi des objectifs à douze ou vingt-quatre mois.

Sur le moyen-long terme, la discussion parlementaire pourrait prendre comme base la proposition du Conseil d’analyse économique (CAE) d’un objectif de 112 milliards d’euros de baisse de dépenses, à étaler sur sept à douze ans.

S’agissant des efforts à consentir dans l’immédiat, les députés pourraient prendre comme cible à atteindre l’estimation de la Cour des comptes de juillet dernier, d’un objectif de 21 milliards d’euros en 2025-2026, dont 15 milliards dès l’année prochaine.

Pas infaisable. La seule prise en compte des pistes principales proposées par le CAE en juillet dernier représente déjà 17,5 milliards d’euros, avec des économies décomposées ainsi : recentrage des aides à l’apprentissage (4 milliards), suppression de l’exonération sur les cotisations sociales au-dessus de 2,5 SMIC (2 milliards), recentrage du crédit d’impôt-recherche sur les PME (2,5 milliards), enfin suppression des dispositifs d’exonération sur les droits de succession, de loin la piste la plus lucrative (9 milliards).

Si l’on veut aller plus loin, certaines économies nécessitant un travail de moyen terme, notre pays devra ouvrir le chantier pénible de la maîtrise de ses effectifs publics. À terme, en regardant les exemples étrangers, on peut estimer un gain potentiel de ce travail d’environ -250 000 postes, soit 13 milliards d’euros d’économies par an.

Si les habitudes de procrastination budgétaire ayant prévalu depuis cinquante ans dans notre pays – sous les pressions de toutes sortes qui se sont exercées sur les décideurs publics – devaient perdurer, on devrait admettre que toutes les économies nécessaires ne seront pas réalisées en temps et en heure. Ce qui ne laisserait guère d’autre choix que d’augmenter les impôts.

C’est le troisième engagement impossible à tenir de la part du prochain gouvernement : rééquilibrer les comptes publics sans augmenter les prélèvements obligatoires.

Le pacte législatif proposé par la droite républicaine (Laurent Wauquiez) prévoit déjà de s’engager sur un effort de 25 milliards d’euros, espérant mettre ainsi les Français à l’abri d’une poussée de fièvre fiscale. Un pari très audacieux…

Le pacte d’action pour les Français présenté, plus récemment encore, par Gabriel Attal va aussi dans le sens de la maîtrise de la dette et des finances publiques, mais il comporte, par ailleurs, des mesures visant à améliorer le pouvoir d’achat susceptibles de rendre cette ambition peu tenable.

Mais la pire catastrophe qu’il s’agit d’éviter aux Français serait l’application des mesures du Nouveau Front Populaire (NFP), défendues par Lucie Castets.  Pour compenser d’insoutenables dépenses pour le présent et l’avenir (remise en cause de la réforme des retraites, augmentation des bas salaires et revalorisation des minima sociaux…), l’actuelle haute-fonctionnaire de la Ville de Paris serait poussée à une surenchère fiscale (renforcement de la progressivité de l’IR, taxation des expatriés, « ISF vert »…) dangereuse, qui finirait par laminer nos entreprises et l’attractivité de notre économie.

En définitive, que ceux qui s’inquiètent du retard dans l’élaboration budgétaire se rassurent : la France aura bien son budget dans quatre mois et demi. À moins que Lucie Castets n’arrive à Matignon. La candidate de la coalition de gauche pour le poste de Premier ministre, qui n’est déjà plus à une audace politique près, a vertement contesté ces derniers jours qu’un gouvernement démissionnaire prépare un budget, estimant qu’ainsi il outrepasserait ses prérogatives de gestion des affaires courantes. Parfaitement irresponsable !

Que ceux qui, en revanche, partagent mon inquiétude d’un budget 2025 en retrait par rapport à la cure d’amaigrissement publique nécessaire se mobilisent : le débat parlementaire de l’automne devra être à la hauteur des enjeux de redressement des comptes de la nation, afin de préserver l’avenir des générations qui nous succéderont. En leur fournissant pour elles et leurs enfants l’appareil éducatif, l’armée et le bien-être écologique et social nécessaire. De ce point de vue, l’annonce faite mercredi dernier par Thomas Cazenave, ministre démissionnaire délégué aux Comptes publics, du gel de 10 milliards d’euros de crédits supplémentaires en juillet, suggère que l’ancienne majorité soigne sa sortie budgétaire…

François PERRET
Economiste, professeur affilié à ESCP-Business School, vice-président du think-tank Etienne Marcel, et auteur de « Non. Votre salaire n’est pas l’ennemi de l’emploi ! Vaincre l’austérité salariale, c’est possible » (éd. Dunod)