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11H40 - lundi 26 août 2024

Marie-Claire Capobianco : « Des coalitions d’acteurs engagés pour la réussite pourraient changer la France ! »

 


Madame Capobianco, merci d’avoir accepté de répondre à Opinion Internationale dans notre rubrique « Eco & Entrepreneurs ». Vous avez effectué toute votre carrière au sein du groupe BNP Paribas, où vous avez occupé les plus hautes fonctions dirigeantes. Depuis le 6 novembre 2023, vous êtes membre de la Commission de surveillance de la Caisse des Dépôts et vous êtes ancienne dirigeante du MEDEF qui fait sa rentrée le 26 août avec la Rencontre des Entrepreneurs Français (la REF). Votre regard sur la situation de notre pays en cette veille de rentrée nous intéresse.

 

Première question : la dissolution subite de l’Assemblée nationale puis les élections législatives ont plongé la France dans une impasse politique. Vous avez cosigné le 19 juin dernier dans Les Echos un Appel de personnalités du monde de l’entreprise craignant la montée des extrêmes. Vous-même aviez appelé à « voter au centre » dans un post personnel sur LinkedIn.
Les incertitudes politiques ont-elles un impact sur l’économie française depuis le 9 juin ?

Marie-Claire Capobianco : Oui, clairement. Le climat politique incertain a conduit à un véritable temps d’arrêt dans les décisions d’investissement et les projections d’emploi. Les entreprises, et surtout les PME, qui dépendent fortement du marché français, sont très impactées. Cette mise en pause est bien compréhensible car, pour fonctionner normalement, les entrepreneurs ont besoin de confiance, ce qui passe notamment par la stabilité de la situation politique.


Mercredi 19 juin, la France et six autres Etats membres ont reçu une mise en garde de la Commission européenne en raison d’un déficit public trop élevé. Une décision prise dans le cadre du Pacte de stabilité et de croissance récemment révisé. La France doit présenter d’ici le 20 septembre son “plan budgétaire et structurel national à moyen terme”. De même, à partir de la mi-septembre, les grandes agences de notation vont évaluer à nouveau la France. Quel est votre regard sur la rentrée économique de notre pays et a-t-on des raisons de s’inquiéter pour l’économie française ?

Oui l’Etat est endetté, mais je ne pense pas qu’il soit en situation de faillite.

Certes, des mesures doivent être prises avec à la fois pragmatisme, cohérence, volontarisme. Mais elles ne doivent pas handicaper le futur : elles doivent préserver la capacité d’investissement de l’État dans des domaines indispensables comme l’éducation, la santé, etc.

Elles doivent aussi accompagner les transitions dans leur ensemble, donc environnemental, numérique, technologique.

Et pour autant, il est impératif de réaliser et planifier de substantielles économies tout en améliorant l’efficacité du service public. C’est ce que font régulièrement les entreprises.

Ce sera, j’imagine, l’une des priorités du prochain gouvernement.

Quant aux entreprises, en fonction des décisions et de l’orientation qui seront prises par le prochain gouvernement, elles pourront très vite rebondir. Si le prochain pouvoir reste sur une politique de développement de l’offre, si on voit que le gouvernement reste pro-business, ce qui était clairement le cas ces dernières années, alors les entreprises reprendront leurs investissements et leurs activités de croissance. Si en revanche, il y a des mesures qui pèsent notamment sur la fiscalité, impôts de production et autres, là ce sera un autre sujet et les conséquences tant économiques que sociales pourront être graves ! Les entrepreneurs s’adapteront toujours parce que la grande force de l’entrepreneur, c’est de s’adapter quoi qu’il en soit, mais le climat des affaires risque de se dégrader fortement.


Puisque la France politique est divisée en trois blocs inconciliables dont aucune d’une majorité stable, la France ne devrait-elle pas être dirigée pendant quelques mois par un gouvernement de compétences, mêlant chefs d’entreprise et grands serviteurs de l’État ?

Un gouvernement ne devrait-il pas être toujours « de compétence » ? Cette compétence est évidemment indispensable et elle exclut les postures politiques. Si on pense intérêt général, alors, il n’y a pas de sujet de compétence. Et si on développe l’économie, on développe le social. Et non l’inverse.

Les chefs d’entreprise ont, par nature, une vision pragmatique et centrée sur l’objectif de réussite globale, ce qui intègre toutes les dimensions de responsabilité sociale et environnementale, les grands serviteurs de l’État ont logiquement aussi une ambition de respect et de progrès du bien commun, une coalition positive basée sur ces atouts serait donc certainement favorable à une gestion équilibrée de l’Etat.


Quel bilan tirez-vous de Bruno Le Maire, ministre de l’économie pendant six ans, ce qui constitue un record et au final a été un gage de stabilité dont les acteurs économiques ont besoin ? Et quels conseils donneriez-vous à son successeur ?

Le bilan de Bruno Le Maire n’est pas que le sien mais, oui, il est plutôt positif, notamment en matière de compétitivité et d’attractivité de la France. Sur l’emploi, c’est même devenu un non-sujet, voire un sujet inversé, puisque tous les professionnels cherchent du personnel et ne le trouvent pas.

Quant à son successeur, je me garderai bien de donner des conseils, sinon celui de continuer à privilégier une politique de l’offre adaptée à l’intérêt général et d’assumer des mesures de bonne gestion.


Dans de nombreux éditos, nous défendons le rôle des entrepreneurs. Partagez-vous cette idée que l’esprit d’entreprise est moins valorisé en France comparé à nos partenaires voisins ?

Oui, l’esprit d’entreprise est moins valorisé en France. Cependant, la perception des petites entreprises et des petits patrons est devenue positive, et il y a une envie croissante d’entrepreneuriat dans tous les milieux sociaux, des étudiants sortant de grandes écoles aux milieux les moins favorisés. Ils ont bien raison tous ces créateurs d’entreprises car c’est là une clé décisive d’inclusion, d’intégration et donc de lien social.

En revanche, cette vision entrepreneuriale n’englobe pas suffisamment l’ensemble du tissu économique. Or, une société forte, est faite de très grandes, de grandes, de moyennes, de petites, de toutes petites entreprises.

Et c’est cet ensemble qui construit la force économique d’une nation.

Or, en France, on sait à quel point les grands groupes sont détestés. Plus ils sont beaux, mieux ils marchent, plus ils sont des champions, plus on les déteste.


Bien que nous soyons dans un pays laïque, je pense que nous sommes en France dans un capitalisme plus catholique que protestant. Le capitalisme rhénan est d’inspiration plus protestante.

Je partage cette analyse.

Nous devrions développer un esprit de coalitions positives entre les entreprises, entre elles d’une part (et il faut que chacun des membres de ces coalitions valorise les autres et ne se vive pas uniquement comme un concurrent), mais aussi avec le monde économique dans son ensemble, l’État et le monde associatif qui regorge de talents.

Pour y parvenir, il faudrait beaucoup de pédagogie à tous les étages, ce qui supposerait que les médias y contribuent en faisant connaître les réussites, les entreprises qui gagnent et ce que l’ensemble des Français en retire directement ou pas.


Vous avez malheureusement raison. Par exemple, je rappelais dans un édito que les Français ne connaissent pas les noms des patrons des 29 Licornes françaises qui dynamisent l’économie numérique en France. Mais c’est peut-être autant parce que ces derniers ne le veulent pas que parce que les médias préfèrent parler des trains qui arrivent – ou qui risquent d’arriver – en retard.

En effet, et nous devrions tous travailler à forger et distiller dans tout le pays cet esprit de réussite collective si l’on veut que prospère l’esprit d’entreprise, facteur de développement et de solidarité.

Véritablement, les entrepreneurs détiennent souvent les solutions, beaucoup de solutions. Donc, il faut davantage les écouter, davantage les impliquer et davantage les laisser agir.

Ils n’ont pas forcément envie de parler, mais il faudrait leur donner régulièrement, et positivement, la parole parce qu’on verrait à quel point ils portent les solutions de demain. L’innovation, par exemple, c’est quand même beaucoup eux.

Pensez-vous qu’il y a toujours un plafond de verre pour les femmes dirigeantes d’entreprise ?

Oui, le plafond de verre existe toujours, même si la situation s’améliore grâce à des lois comme la loi Copé-Zimmermann ou celle votée fin 2021 sous l’impulsion de la députée Marie-Pierre Rixain. Mais il reste beaucoup à faire pour atteindre la parité réelle.

Je vous rappelle la fameuse phrase de Christine Lagarde : « Quand il n’y a pas de règles, on trouve des excuses, et quand il y a des règles comme de quotas, on trouve des femmes. ».

J’insiste sur un point : le fait d’avoir une parité dans le monde économique, ce n’est pas une question simplement de justice sociale, c’est une question de performance économique. Il a été largement démontré que les entreprises qui s’approchent de la parité sont plus performantes dans la durée.

Vous avez été très engagée pour le développement d’une économie sociale et solidaire, notamment auprès de l’ADIE, Association pour le Droit à l’Initiative Economique. L’économie française est-elle une économie solidaire et la finance y contribue-t-elle activement ?

Je pense que l’économie sociale et solidaire est bien présente en France et la finance joue un rôle important en soutenant ces initiatives. Citons, par exemple, le projet de l’Ascenseur, maison de l’égalité des chances rassemblant sous un même toit 20 associations œuvrant dans ce but et leur permettant d’assurer un continuum des accompagnements, sa création en a été accompagnée par le Groupe BNPParibas.

D’ailleurs, depuis quelques années, nous parlons d’économie d’Impact, prouvant que l’économie et le social se mêlent de plus en plus plutôt que de s’opposer idéologiquement.

Voudriez-vous évoquer un autre point, Madame Capobianco ?

Oui, je voudrais insister sur l’importance de l’Europe. Nous avons besoin d’une Europe plus unie et forte, capable de rivaliser sur la scène mondiale avec les États-Unis et la Chine. L’Europe ne doit pas être vue uniquement comme une source de contraintes mais comme un avantage compétitif majeur.

Et si l’on communiquait davantage sur les bienfaits de l’Europe, et sur les bienfaits d’une Europe qui serait plus fédérée et plus puissante que ce qu’elle est, alors le regard changerait peut-être, changerait sans doute j’en suis convaincue, car les Français sont certainement plus pro-Européens que ce qu’on dit !

 

Propos recueillis par Michel Taube

Remerciements à François Perret, conseiller de la rubrique Eco & entrepreneurs d’Opinion Internationale

Directeur de la publication

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