Opinion Eco & Entrepreneurs
09H27 - mardi 3 septembre 2024

Chantal Engel (La Clé Conseil et Investigations) : « Je suis une professionnelle de la preuve »

 

Entre stéréotypes et clichés, le métier de détective privé nous fascine. Dans l’imaginaire collectif, le détective est souvent représenté avec un grand imperméable, un chapeau mou et une expression désabusée, à l’instar de Columbo. Moi, je pense plutôt à Kelly Garrett de la série américaine, Drôles de Dames. À chacun son époque. À chacun ses références !

De nos jours, on l’imagine plus probablement équipé d’un appareil photo grand angle, planqué dans sa voiture. Mais quelle est la réalité de son quotidien ? Quel est son véritable rôle ? Et surtout, comment devient-on détective privé ?

Pour Opinion Internationale, j’ai rencontré Chantal Engel, directrice de l’agence La Clé Conseils et Investigations (Paris 12è). Nous avons demandé à cette spécialiste de l’investigation de nous aider à dissiper cinq idées reçues sur ce métier à l’origine de nombreux fantasmes. L’occasion de découvrir le parcours et les valeurs de cette ex-DRH devenue détective privé ou plutôt Agent de Recherches Privées (ARP), terme consacré pour cette profession.

 

Cliché 1. Les Agent de Recherches Privées sont toujours d’anciens policiers

VRAI et FAUX. Aujourd’hui, même si beaucoup de jeunes diplômés entament le parcours de formation, c’est un métier pour lequel il y a de nombreuses reconversions. Aux côtés d’anciens policiers se forment des banquiers, des DRH, des informaticiens et une multitude d’autres profils. Je fais partie de ceux-là.

Après un parcours riche et varié, dans le monde de l’entreprise, d’abord dans le marketing, puis dans les ressources humaines et enfin comme prestataire dans le marketing RH et la marque employeur, j’ai décidé, en 2021 de me former à ce métier qui m’a toujours intriguée et passionnée. L’occasion de réaliser aussi un rêve de petite fille, nourri durant toute mon enfance par mes lectures.


Tout le monde peut donc, ou presque, devenir Agent de Recherche Privé (ARP).

Cependant depuis une vingtaine d’années, le métier s’est professionnalisé. La fonction est réglementée par le Code de la Sécurité Intérieure régissant l’ensemble des professions de sécurité. Notre organisme de tutelle est le CNAPS (Conseil National des Activités Privées de Sécurité), rattaché au ministère de l’intérieur. Nous sommes tenus au respect d’un code de déontologie. Cet encadrement confirme le sérieux de notre profession.

L’accès à ce métier demande aussi des qualifications professionnelles pour exercer en toute légalité. Seulement quatre centres délivrent en France un diplôme reconnu pour obtenir sa licence de détective privé.

Je suis diplômée de l’ESARP (École Supérieure des Agents de Recherches Privées). Une formation de 9 mois au cours de laquelle j’ai appris à piloter et à exécuter une enquête, à mettre en place des techniques de surveillance sur le terrain, ou encore à rechercher des informations en sources ouvertes (OSINT).

Mais la base de notre formation est le droit. Il couvre 80% des enseignements. Savoirs indispensables pour un métier dont le résultat du travail, les preuves recueillies, doit être recevable devant un tribunal. Elles doivent avoir été obtenues dans le respect des exigences légales. Autrement dit, sans violence, jamais de manière déloyale ni au mépris de la vie privée de la personne concernée.

Cette obligation de formation initiale a été complétée par une obligation de formation continue. Tous les cinq ans, pour garder notre agrément.

Notre profession est soumise au secret professionnel pour toutes les informations dévoilées par nos clients mais aussi pour celles recueillies lors de nos investigations.

Enfin, une carte professionnelle, l’obtention d’un agrément de dirigeant et d’une autorisation d’exercer sont indispensables. Si nous enfreignons la loi ou ne respectons pas le code de déontologie, ils peuvent nous être retirés à tout moment.

Bien sûr, est-il utile de le rappeler, nous ne sommes pas armés. Nous n’avons par ailleurs pas d’accès privilégié à des bases de données confidentielles.


Cliché 2 : Un agent de recherches privées s’occupe essentiellement d’histoires d’adultères

FAUX. Les temps où les détectives privés étaient uniquement chargés de découvrir des preuves d’infidélité appartiennent désormais au passé.

Je ne suis pas non plus Agatha Christie. Je ne résous pas de meurtre. Cela relève du régalien. Éventuellement, je peux intervenir dans des affaires en complément des forces de l’ordre. Mais, je le fais en bonne intelligence, sans marcher sur leur platebande.

Le champ d’intervention d’un détective est très vaste. Nous travaillons aussi bien avec des particuliers, des entreprises, des collectivités, des associations qu’avec des professionnels du droit, comme les avocats ; notamment ceux spécialisés en droit des affaires, en droit commercial, en droit de la distribution, en droit social, ou encore en droit familial. Ils sont d’excellents prescripteurs pour notre profession.

J’ai décidé de me spécialiser dans l’univers de l’entreprise. Ancienne professionnelle du marketing et ex-DRH, je suis parfaitement à l’aise avec ce milieu. J’en connais les exigences.

Je peux accompagner mes clients dans leurs problématiques de développement commercial (renseignement d’affaires, apport de preuve en matière de concurrence déloyale, de contrefaçon…) et de ressources humaines (vérification du parcours professionnel des candidats, salariés indélicats, ex-salariés déloyaux…).

Formée aux risques psychosociaux, je suis également médiateur professionnel. Ce qui me permet de me positionner sur les enquêtes internes, notamment en cas de suspicion pour harcèlement ou discrimination par exemple. J’ai relativement peu de confrères spécialisés dans ce champ d’activité. C’est une autre forme d’investigation, au travers de l’audition de témoins ou de l’analyse de pièces. 


Cliché 3 : Un Agent de Recherches Privées passe l’essentiel de son temps en filature

VRAI ET FAUX. Tout dépend du domaine de compétences dans lequel vous êtes spécialisé. Certains détectives sont spécialisés par exemple dans la filature moto et passent ainsi l’essentiel de leur temps sur le terrain. La filature est souvent l’aboutissement d’un bon nombre d’heures « de planque ».

Alors que certaines enquêtes nous amènent à faire des recherches plus approfondies sur les réseaux et dans des bases de données, un directeur d’agence passe également beaucoup de temps à développer son business, à s’occuper de l’administratif et à assurer la relation clients.  C’est une profession qui exige d’être à l’aise tant dans ses relations client que dans l’opérationnel.

Mon quotidien n’est pas normé. Je suis incapable de vous dire ce que je vais faire dans deux mois. Cela peut être inquiétant, compliqué pour s’organiser, mais moi, c’est ce qui me plaît.

J’aime ce renouvellement permanent de l’imprévu. Découvrir un nouveau client et comprendre sa problématique. Élaborer la stratégie de recherche, envisager les preuves dont je vais avoir besoin, comment je vais faire pour les obtenir, quelle « histoire » je vais raconter pour matérialiser le résultat de mes investigations. Le rapport d’enquête est l’aboutissement, l’élément clé d’une investigation sur lequel le client (ou son avocat) s’appuiera pour défendre ses intérêts. L’appétence pour le rédactionnel est une autre compétence indispensable du métier d’Agent de Recherche Privées.

ARP est un métier dans lequel, on ne s’ennuie jamais !


Cliché 4 : Un Agent de Recherches Privées est presque toujours un homme, fin limier

PAS FAUX. Historiquement, c’est un métier d’homme. Mais c’est en train de changer. Aujourd’hui, dans les formations, on retrouve a minima 50% de femmes, sans doute à la recherche de plus d’indépendance professionnelle ou comme moi pour réaliser un rêve de petite fille.

Quant à être fin limier… Je ne pense pas que les hommes soient meilleurs dans ce domaine que les femmes, et inversement.  En revanche, je pense que pour certains aspects de ce métier, notamment sur le terrain, il y a peut-être moins de méfiance à l’égard d’une femme. Et c’est plus facile pour nous de changer d’apparence quand nous sommes en filature pour ne pas être repérées par notre cible.

Mais homme ou femme, pour être un bon ARP, il faut être curieux, réactif, rigoureux, persévérant, discret, inspirer confiance et accepter de se remettre en cause pour parfois repartir à zéro.

La recherche d’informations et son analyse sont des piliers de notre métier au même titre que la pensée critique, qui nous permet de limiter les biais et de contrebalancer notre fameuse intuition qui peut parfois nous mener vers une impasse.


Cliché 5 : C’est un métier solitaire

VRAI. Nous travaillons la plupart du temps seuls.

Mais sur certaines affaires, nous pouvons avoir besoin de l’appui d’un confrère :  pour des expertises spécifiques (cybercriminalité, fraude documentaire, …), des interventions hors de notre secteur géographique ou tout simplement parce que le dispositif exige une équipe.

Développer notre réseau est un incontournable, que ce soit avec les anciens de notre formation, nos confrères ou via un syndicat professionnel.

C’est pourquoi, j’ai également rejoint la CPME il y a bientôt an.

Je n’y suis pas allée spécifiquement pour faire du business mais pour rencontrer d’autres professionnels. La CPME est un vivier de rencontres. Je trouve cela très stimulant de découvrir d’autres métiers et de faire découvrir le mien. J’adore parler de mon métier, d’autant qu’il suscite en général beaucoup d’intérêt.

La CPME a une offre pléthorique de services. Pour l’instant, mon agenda ne me permet de participer qu’aux after-work et à certaines rencontres en soirée. C’est toujours très convivial, très enrichissant. On découvre, on noue des amitiés et parfois même on rencontre de futurs prescripteurs. Dans mon cas, ce sont souvent des avocats.

La CPME peut aussi être une passerelle vers un mandat professionnel. J’aimerais siéger aux Prud’hommes. Ancienne DRH, les problématiques sociales m’intéressent. Endosser un rôle très concret en étant à nouveau confrontée aux problématiques des employeurs et de leurs salariés suscite mon intérêt.

C’est important d’élargir notre champ des possibles. La CPME nous le permet.

 

 

Propos recueillis par Géorgia Sarre-Hector