Edito
10H39 - mercredi 4 septembre 2024

Édouard Philippe : le retour du technocrate providentiel ? La Tribune de Sofiane Dahmani

 

En ces temps de brouillard idéologique, où la France vacille entre une classe politique déconnectée et une population en proie au désenchantement, un homme sort du bois, portant l’étendard d’une raison retrouvée. Édouard Philippe, ancien Premier ministre et maire du Havre, se présente à la magistrature suprême. Mais derrière la barbe grisonnante et l’apparence sereine se cache un projet profondément technocratique, symptomatique de notre époque, où l’on confond trop souvent compétence avec sens de l’État, et pragmatisme avec vision.

La candidature de Philippe semble incarner ce que la République produit de plus typique : un homme d’appareil, issu du sérail, formé dans les plus hautes sphères de l’administration, qui croit encore que la gestion des affaires publiques peut se réduire à une question d’organisation et de méthode. Énarque par excellence, Philippe est l’archétype même de cette élite qui, depuis trop longtemps, tient les rênes du pouvoir en France, persuadée qu’elle est seule capable de gouverner un pays qu’elle ne comprend plus.

Que propose réellement Édouard Philippe, sinon un retour à la gestion en bon père de famille, comme on gérait jadis les petites affaires dans les bureaux feutrés des ministères ? Son programme, à bien des égards, ressemble à une liste de bonnes intentions, à peine différentiables des propositions égrenées par les autres candidats issus de cette même caste. On y retrouve les sempiternelles promesses de rigueur budgétaire, de modernisation de l’État, de décentralisation et de soutien aux entreprises. Rien de très neuf sous le soleil, si ce n’est la promesse de maîtriser l’immense dette que nous ont laissée les gouvernements précédents. Mais cette obsession comptable ne saurait masquer le vide sidéral de son projet pour la France.

Le fond du problème avec Édouard Philippe n’est pas tant ce qu’il propose, mais ce qu’il incarne : la perpétuation d’un système qui a échoué à répondre aux aspirations profondes des Français. Car la France ne se gouverne pas avec des tableaux Excel et des rapports de la Cour des comptes. Elle se gouverne avec une vision, une ambition, un projet de civilisation. Et c’est là que Philippe échoue lamentablement. Ce technocrate n’a pas de vision pour la France, si ce n’est celle de l’administrer comme une immense collectivité locale.

Mais peut-on vraiment lui en vouloir ? Après tout, il n’est que le produit de son époque, de cette République des experts où la politique s’est réduite à une simple gestion des affaires courantes. On peut saluer la rigueur de l’homme, son sérieux, sa compétence. Mais ces qualités suffisent-elles à redresser un pays qui se désagrège lentement, miné par la montée des communautarismes, la désindustrialisation, l’insécurité galopante, et la perte de son identité ?

Édouard Philippe, en bon technocrate, croit encore au mythe de la neutralité de l’État, à la possibilité de gouverner sans idéologie, sans passion, en restant au-dessus de la mêlée. Mais la France, aujourd’hui, a besoin de tout le contraire. Elle a besoin d’un chef qui sache incarner une vision, qui ait le courage de dire la vérité aux Français, de leur proposer un avenir clair et ambitieux. Et surtout, elle a besoin de renouer avec son histoire, ses valeurs, son identité.

Le pari de Philippe est risqué. Dans une époque où les Français expriment une soif d’autorité et de clarté, il propose une gestion comptable du pays. Dans un monde où les nations réaffirment leurs frontières et leur souveraineté, il prône l’ouverture et le pragmatisme technocratique. Cette posture, à contre-courant des attentes populaires, pourrait bien lui coûter cher.

Édouard Philippe, l’homme de la raison froide, parviendra-t-il à embraser les cœurs des Français ? Rien n’est moins sûr. Car à force de ne vouloir être ni de droite ni de gauche, de vouloir plaire à tout le monde, on finit par n’avoir aucun adversaire mais surtout aucun allié. Et dans cette France en quête de repères, cette absence de clarté pourrait bien être sa plus grande faiblesse.

 

Sofiane Dahmani, Chroniqueur