Edito
17H27 - jeudi 5 septembre 2024

Omar Harfouch, pianiste : « mon seul parti pris, la paix ! ». En concert le 18 septembre au Théâtre des Champs-Elysées à Paris

 

Il est Libanais, il a fait fortune en Ukraine, il est indépendant, il aime discuter avec tout le monde et honore chaque jour la France qui lui a tout donné ! C’est pourquoi beaucoup aimeraient lui nuire. Sa réponse ? La musique, le piano et le concert pour la paix que donne Omar Harfouch le mercredi 18 septembre à Paris.

 

Monsieur Omar Harfouch, vous êtes chef d’entreprise et directeur de la publication « Entrevue » que vous avez relancé avec grand succès. Vous êtes également pianiste. Quel est le sens du concert pour la paix que vous donnez le 18 septembre au théâtre des Champs-Élysées à Paris ?

Quand j’étais petit, durant la guerre civile au Liban, je n’ai jamais pris parti pour qui que ce soit, et j’ai toujours gardé mon indépendance. Au Liban, je risquais ma vie à refuser de prendre parti. Cela peut déplaire aux uns et aux autres mais tel est mon ADN. L’essence même de ma vie et de ma musique, c’est de parler avec tout le monde tout en restant indépendant.

Déjà à l’époque au Liban, le piano m’a protégé moralement et physiquement. Sous les bombes, les bois et les cordes me protégeaient de la fureur des hommes.

Au fil du temps, j’ai appris à comprendre, que ce soit au Liban, en France aujourd’hui ou ailleurs, que mon seul parti pris, c’est la paix ! Et tel est le message du concert que j’ai l’honneur de donner à Paris !

Vivant en France, je connais un peu la psychologie des rédactions, des journalistes et de ceux qui ne font rien d’autre dans leur vie que d’attaquer ceux qui travaillent, ceux qui font, ceux qui accomplissent quelque chose.

Et que dire d’un Libanais qui a toujours été attaqué, en France notamment, parce qu’il est Libanais et, pire qu’il a fait fortune en Ukraine. J’ai eu l’honneur d’y connaître tous les chefs d’Etat et premiers ministres qui se sont succédé et mon frère est très proche du président Zelensky. Lorsque nous avons créé en Ukraine avec mon frère notre groupe de médias, nous avons été avant-gardistes auprès des Ukrainiens. Nous avons apporté en Ukraine tout ce qui se passait à Paris sur le plan médiatique, le câble, la TNT, les émissions de TV comme Le Grand Journal. C’est cela qui a fait notre fortune.

Vous voulez que je vous dise : ne le leur en déplaise, je suis fier de mon parcours et de mes valeurs ! Et le piano, c’est cette troisième voie médiane entre ceux qui veulent vous contraindre de choisir un camp.

Et je vais vous faire une confidence : j’ai longtemps, très longtemps remis mon concert à Paris à plus tard. Jouer à Paris, c’est un des défis de ma vie !

 

Pourquoi ?

J’ai toujours pensé que le plus grand danger que je pourrais courir, c’est de jouer à Paris. Parce qu’à Paris, même les grands compositeurs, – je ne me compare pas à Wagner, à Verdi, à Camille Saint-Saëns ou à d’autres, mais ils avaient tous peur de jouer à Paris. Pourquoi ? Parce qu’à Paris, il y a toujours le danger de vous faire abattre pour rien.

Les plus grands compositeurs avaient droit à des critiques assassines. Un seul article, et ce pouvait être le fiasco total. Que dire de mon cas ? Mal né, je suis né au Liban, je suis de confession musulmane, en tout cas, je suis né musulman, vous le savez.

J’ai des positions qui ne plaisent pas à tout le monde concernant le droit des femmes au Moyen-Orient, concernant la lutte contre l’antisémitisme, contre le racisme, contre l’homophobie. Et ce sont des combats qui m’ont valu parfois des fatwas. On aurait pu m’abattre pour cela.

Donc là, je viens avec un concerto pour la paix en temps de guerre, parce que la guerre, elle est palpable au Moyen-Orient, en Ukraine, en Azerbaïdjan… Mais elle est froide à Paris, même si on a le sentiment qu’à Paris, on vit parfois à Gaza, qu’on vit parfois à Kiev, qu’on vit parfois à Moscou, tellement les gens sont dressés les uns contre les autres.

Et donc, la musique a toujours été centrale pour moi, une forme de refuge et d’épanouissement en même temps.

 

Justement, vous êtes un homme d’affaires, un patron de médias, mais quelle place tient la musique dans votre vie ?

Je suis d’abord pianiste, compositeur, avant d’être homme d’affaires. La musique a toujours été centrale dans ma vie, j’ai toujours joué, j’ai toujours composé. Je suis arrivé dans les affaires par accident et je suis devenu millionnaire sans le vouloir et sans avoir cherché à le devenir.

Mais je n’ai jamais oublié d’où je viens ni qui je suis : un homme épris d’art et de paix.

Et j’aimerais rajouter aussi qu’il y a beaucoup d’hommes d’affaires et de politiques qui sont musiciens. Bernard Arnault est un pianiste émérite. Louis de Funès était pianiste. Il y a Lenz Berger, qui était le premier président de la Lituanie indépendante. Il était jazzman et jouait au piano. Ignacy Jan Paderewski aussi était pianiste compositeur et deviendra président de la Pologne en 1919.

Lorsqu’on a la discipline et la rigueur d’un instrument, n’importe lequel, mais surtout le piano qui est le plus difficile, c’est qu’on ne peut être que rigoureux dans les affaires et en politique.

 

La musique est-elle politique ?

On a toujours tort en « paroles » et ce n’est pas moi qui vous le dis, c’est Chostakovitch qui vous le dirait. Il a vécu sous la dictature de Staline mais il lui a tenu tête car il avait sa musique qui parlait pour lui ! Il a toujours su s’exprimer en toute liberté en musique, parce qu’il était le seul avec quelques initiés à comprendre ce qu’il voulait dire par sa musique.

L’engagement politique en musique le plus flagrant, c’est celui de Chopin. Il a joué la Polonaise, quand le tsar russe est rentré en Pologne, ce fut un scandale politique. Chopin fut obligé de partir en exil en France au péril de sa vie, parce qu’il était aussi Français.

On pourrait aussi citer l’Ouverture solennelle 1812 en mi-bémol majeur, op. 49, également appelée L’Année 1812 ou Ouverture 1812, de Tchaïkovski qui commémora la victoire des troupes russes sur Napoléon Bonaparte. Ou la Symphonie nᵒ 3 en mi-bémol majeur communément appelée Eroica op. 55 de Beethoven, qui était favorable à l’empereur Napoléon jusqu’à ce qu’il bombarde Vienne et déchire sa partition.

Oui les événements politiques peuvent inspirer les compositeurs.

 

Et la musique au service de la paix ?

À ma connaissance, il n’y a pas d’œuvre consacrée à la paix, mais il y a des initiatives comme le West-Eastern Divan Orchestra (« Orchestre du Divan occidental oriental ») créé par Daniel Barenboïm et Edouard Saïd, qui était un philosophe incroyable, d’origine palestinienne d’ailleurs. Cet orchestre où Palestiniens et Israéliens jouent ensemble dans le monde entier a toujours été une source d’inspiration.

Daniel Barenboïm a personnellement assisté à un de mes concerts à Berlin. Sa femme était ukrainienne, son père un grand pianiste. Nous nous sommes bien connus.

Après, la musique, c’est aussi et avant tout de l’art ! Par exemple, j’ai composé un concerto pour la paix en un seul mouvement. Mais normalement, le terme concerto, pour piano et orchestre, cela signifie trois mouvements, et non pas un. Mais moi, j’ai eu l’audace de dire : voilà un concerto pour la paix en un seul mouvement.

 

Le grand philosophe et musicologue Vladimir Jankélévitch, que j’invite les lecteurs à découvrir ou à relire, a montré combien il donnait une certaine importance, presque morale ou politique, à la musique. Partagez-vous son analyse ?

Je partage totalement la pensée philosophique de Vladimir Jankélévitch parce que, en fait, dans la musique, il y a une morale universelle. Ne serait-ce que parmi les musiciens qui composent un orchestre : chacun vient d’un milieu différent, ils n’ont pas les mêmes religions, ils n’ont pas la même pensée politique, ils ne votent pas pareil, rien ne les réunit, si ce n’est la musique. Ils viennent, ils se mettent ensemble et tous ne pensent qu’à une seule chose, c’est d’être dans le tempo, c’est de bien jouer leur musique, suivre les mesures et la baguette des chefs d’orchestre.

C’est cela la morale : s’unir pour faire du bon et du bien ensemble, malgré nos différences, malgré nos origines différentes les uns et les autres. C’est toute ma vie, cette morale : le 18 septembre, je vais jouer avec 66 musiciens, avec 40 chanteurs, donc on va dire 100 musiciens. Je connais à peine les prénoms des musiciens alors que j’ai déjà joué avec eux. Je connais bien les chefs d’orchestre et les chefs de rang. Mais je ne sais même pas de quelle religion ils sont, je ne connais pas leurs origines, ni leur nationalité d’origine. Tout ce qui m’importe, c’est qu’ils sont capables d’interpréter ma musique comme non seulement je l’ai écrite, mais est-ce qu’ils vont pouvoir transmettre le sentiment, le message, le caractère et le timbre que je souhaite transmettre.

Voilà ma force, mon énergie est là dans cet orchestre et dans ma musique. Alors, vous savez, j’ai souvent été accusé de parler avec des Juifs, avec des Israéliens, avec des Palestiniens, tout le monde m’accuse de tout. Mais ma force est supérieure.

 

Monsieur Harfouch, je vais vous proposer quelques situations. Pour chacune d’entre elles, quelle œuvre ou quel morceau de musique joueriez-vous en chaque circonstance ? Première situation : le jour de la rentrée scolaire des enfants du monde entier, quelle œuvre pourrait être jouée dans le préau d’accueil des écoles aux enfants pour leur souhaiter une bonne année

C’est très drôle, j’adore ces questions. Alors, pour le jour de la rentrée scolaire, je mettrais la marche turque de Mozart. Elle met tout de suite de bonne humeur et en même temps c’est une marche, voilà, vers l’école, vers le savoir, vers leur avenir !

 

Le jour où les Accords d’Abraham seront relancés (et ce jour arrivera) au Proche-Orient ?

J’aimerais jouer le concert pour la paix, mon concert pour la paix, pour la relance des Accords d’Abraham. Quand le Liban sera prêt un jour à faire la paix, j’aimerais que ce soit ma musique qui sera jouée. Et je ne pense pas qu’il y aura mieux que ma musique qui symbolisera vraiment le chemin vers la paix au vu du risque que j’ai pris pour parler de la paix en temps de guerre.

 

Le jour où l’Ukraine recouvrira tout son territoire ?

Là, peut-être, il va falloir composer comme Tchaïkovski l’avait fait pour l’ouverture de 1812. Composer un mélange, un mixte de l’hymne national russe avec l’hymne national ukrainien. Voyez-vous, l’hymne national ukrainien est une des plus belles musiques que je n’ai jamais entendues. À chaque fois que je l’entends, j’ai des larmes aux yeux.

La mélodie de l’hymne russe, elle est connue dans le monde entier, c’est un vrai tube.

Donc si on fait un mélange des deux, ça sera très beau.

 

Nous sommes en pleine commémoration des 80 ans de la fin de la Seconde guerre mondiale et de la libération du nazisme. Quelle œuvre joueriez-vous pour l’illustrer ?

 

Alors là, c’est vraiment la question la plus importante pour moi.

Vous n’imaginez pas la beauté des musiques qui ont été composées dans les camps de concentration à Auschwitz ou ailleurs par des compositeurs (qui étaient dans les camps de concentration et savaient qu’ils allaient mourir). Ils ont même composé un concert pour piano-orchestre. La plus grande découverte peut-être de ma vie, c’est lorsque j’ai écouté la musique qui a été jouée dans les camps de concentration. Et ces musiciens et ces compositeurs n’ont jamais eu la chance d’écouter leur propre musique, si ce n’est une fois ou deux en tenant des concerts à l’intérieur du camp.

Rejouer ces œuvres en janvier prochain pour la commémoration des 80 ans de la libération d’Auschwitz serait le meilleur hommage à rendre aux victimes de la Shoah.

 

Auriez-vous un dernier message à faire passer en vue du concert exceptionnel de Paris ?

Mon vœu le plus cher est que pendant le temps de ce concerto pour la paix les invités réfléchissent à une seule chose : la paix. Et qu’une fois le concert terminé, ils vérifient à l’intérieur d’eux-mêmes si au moins une partie de leur haine contre les autres, peu importe qui sont les autres, a diminué.

Alors pour moi, ce sera gagné.

Propos recueillis par Michel Taube

Directeur de la publication

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