Edito
19H11 - vendredi 6 septembre 2024

Barnier à Matignon : un soulagement mais pas d’euphorie pour l’économie française. La Chronique de François Perret

 

Les recettes éculées et dangereuses du Nouveau Front Populaire (NFP) – à base d’injection aussi massive qu’artificielle de revenus supplémentaires sur les bas salaires et de relèvements d’impôts inconsidérés- auraient pu, en cas d’arrivée au pouvoir de cette coalition baroque, précipiter l’économie française dans un gouffre financier.

Emmanuel Macron le savait. Les partis modérés le savaient également. Même le Parti Socialiste (PS) aura tout fait dans les derniers jours pour éviter d’en arriver là, préférant au passage trahir son histoire et une grande partie de son électorat en écartant la seule possibilité raisonnable qui lui était offerte d’appliquer une partie au moins de son programme en confiant les clés de Matignon à Bernard Cazeneuve. Dans sa forteresse de l’hôtel de Ville, même Anne Hidalgo s’en offusque et n’en finit pas de rougir de colère.

Reste que si certains respirent déjà à l’idée que nous avons évité le pire pour notre économie et notre société en chargeant Michel Barnier de former un gouvernement, il est très prématuré de se réjouir de son programme économique qu’on ne connaît pas encore.

La pensée économique du nouveau chef de gouvernement n’a, il est vrai, pas de quoi inquiéter de prime abord. Les principaux dogmes libéraux ne seront pas touchés. Car si l’ancien ministre des Affaires étrangères de Jacques Chirac (2004-2005) a bien entendu la revendication de pouvoir d’achat pour les Français, portée d’abord par la gauche et le Rassemblement National (RN), il ne sacrifiera certainement pas la crédibilité budgétaire internationale de la France, alors que celle-ci est déjà sous le coup depuis juillet dernier d’une procédure pour déficit excessif par Bruxelles.

Michel Barnier n’est ni sourd ni aveugle : il a parfaitement entendu les avertissements de la Cour des comptes depuis plusieurs semaines, Pierre Moscovici mettant en garde régulièrement sur le fait qu’un pays endetté est « un pays paralysé ». À l’évidence, il a aussi noté le dérapage à 5,6% du PIB du déficit prévisionnel pour cette année, annoncé il y a quelques jours par le ministre de l’Économie démissionnaire, Bruno Le Maire.

Mais le plus dur ne sera pas d’identifier les économies qui pourraient être faites – leur liste s’allonge d’heure en heure, abondée copieusement par les experts (aides à l’apprentissage ; crédit d’impôt-recherche ; assurance-chômage, etc.) – mais de trouver une majorité sur chacune d’entre elles, alors qu’année après année, le débat parlementaire sur les Lois de finances s’enlise, faute d’un consensus sur les niches fiscales à supprimer ou même simplement à rogner en priorité.

Michel Barnier n’est pas un magicien. Comme Édouard Philippe qui annonce, en faisant part de son ambition présidentielle, vouloir endiguer le « péril » budgétaire, l’ancien commissaire européen ne sait a priori pas mieux que les autres comment s’y prendre pour réussir à baisser massivement la dépense publique, et éviter – ce qui serait une ligne rouge vis-à-vis de ses futurs alliés de « Renaissance » – d’avoir à augmenter les impôts des Français. A priori, on peut penser qu’il fera tout pour ne pas aggraver la pente des prélèvements obligatoires sur les entreprises ou même l’impôt des particuliers. Car il est viscéralement convaincu du fardeau fiscal qui pèse déjà sur les forces vives de l’hexagone. Mais il cherchera sans doute des moyens plus indirects de rehausser les rentrées fiscales (sans doute des hausses de TVA) pour limiter les désajustements entre recettes et dépenses publiques.

Une petite phrase qu’il a prononcée sur le perron de Matignon hier, en présence de son prédécesseur Gabriel Attal – « il faudra de la persévérance pour continuer les actions engagées par le président de la République sur l’emploi et l’attractivité » – doit achever de nous convaincre que Michel Barnier s’inscrira dans les pas du chef de l’État en pérennisant la « politique de l’offre ».

Pour Michel Barnier, candidat à la primaire de droite en 2021, dont il ressortira avec 23,93% des voix des militants Les Républicains (LR) au premier tour, la compétitivité des entreprises est une priorité forte. Toute revalorisation effrénée des bas salaires (coups de pouce au SMIC…) sera donc nécessairement écartée pour ne pas pénaliser la croissance des entreprises, à commencer par celles qui ont le moins de moyens, les PME.

On comprend facilement les limites que Barnier ne franchira pas sur le plan économique. Soit par défense de ses convictions pro-business, soit par contrainte politique pure. On ne voit ainsi pas bien comment il pourrait être tenté de pousser plus avant la réforme des retraites, alors que son idée d’un report de l’âge légal de départ à 65 ans serait absolument inaudible sur la quasi-totalité de l’échiquier politique. On ne voit pas davantage comment il se lancerait dans une mission « suicide » sur l’assurance-chômage, en reprenant le projet de Gabriel Attal, qui prévoyait au premier semestre de réduire de dix-huit à quinze mois la durée maximale d’indemnisation et d’obliger les actifs à travailler au moins huit mois (sur les vingt derniers) pour prétendre être indemnisé, contre six sur vingt-quatre jusqu’à présent. Dans son programme de la primaire pour l’élection présidentielle de 2022, Michel Barnier allait encore plus loin que son prédécesseur rue de Varenne, en proposant tout bonnement de supprimer les allocations à tout chômeur qui refuserait deux « offres d’emploi raisonnables ». De quoi se faire censurer très vite sur sa gauche et même sans doute par le RN.

Ce qui ne veut pas dire que Michel Barnier ne sera pas tenté de durcir les règles sociales. Il n’aura pas d’autre choix pour engager un mouvement de réduction des dépenses publiques. Mais il devra le faire avec un tel doigté diplomatique – l’une de ses marques de fabrique- qu’il n’est pas évident que ses projets de réforme ne soient pas au bout du compte totalement détricotés pour réunir le consensus nécessaire à sa survie politique.

En quelques mois, en attendant une éventuelle dissolution, le nouveau Premier ministre devra jouer serré. Tellement serré qu’il n’est vraiment pas sûr qu’une réforme ambitieuse sur le plan économique (une véritable loi PACTE 2 par exemple) puisse voir le jour.

Michel Barnier pourrait devoir se contenter des miettes sur le plan économique et social. Aussi, avec des marges de manœuvre politiques et budgétaires aussi réduites, il devra impérativement faire feu de tout bois. Et s’attaquer par exemple à quelque chose qui ne coûte rien et pourrait rapporter peut-être assez gros un peu plus tard : la simplification administrative pour les entreprises et la lutte contre la prolifération normative, deux chantiers payants si Michel Barnier prend le temps d’en fixer le cap et le soin de s’entourer des compétences utiles pour le mener à bien.

Il y a fort à parier que ce soit, en matière économique, davantage sur le « style Barnier » que sur la profondeur des réformes, qu’il faille véritablement compter. Michel Barnier devrait être un très grand rassembleur, ce qui le met en bonne position pour aborder le dialogue social et renouer le fil de l’échange avec les corps intermédiaires.

À lui désormais de faire la démonstration, par une feuille de route économique ambitieuse lors de sa future Déclaration de politique générale, que le gouvernement Barnier ne sera pas qu’une étoile passagère dans ce ciel politique et budgétaire assombri d’une rentrée 2024 contrariée.

 

François PERRET
Economiste, professeur affilié à ESCP-Business School, vice-président du think-tank Etienne Marcel, et auteur de « Non. Votre salaire n’est pas l’ennemi de l’emploi ! Vaincre l’austérité salariale, c’est possible » (éd. Dunod)