« Je vous aime mais je pars ».
On aurait tant aimé entendre le ministre de l’Économie entonner la chanson de Michel Sardou dont il a prononcé les premières paroles à l’occasion de son départ.
Mais devant Gérald Darmanin, une dizaine d’autres ministres démissionnaires, deux fois plus de parlementaires encore et un parterre d’au moins 600 personnes venues assister à son dernier discours en tant que locataire de Bercy, Bruno Le Maire est resté sobre. Comme à son habitude.
Celui qui aurait pu ajouter « Je ne m’enfuis pas. Je vole. Comprenez bien, je vole. » a déclaré partir sans regret après 7 ans !
Un septennat qui fait de lui le locataire à la longévité la plus élevée à ce poste sous la Ve République, écrasant la concurrence, loin devant Christine Lagarde (2007-2011) qui aura également affronté quelques tempêtes en cinq ans, avant de s’envoler vers le Fonds Monétaire International (FMI) puis la Banque Centrale Européenne (BCE).
Mais la performance de Bruno Le Maire n’est pas seulement d’être resté longtemps. Elle est d’avoir affronté et surmonté des crises et de n’avoir jamais perdu le cap des « grandes transformations économiques » qu’il s’est plu à égrainer devant un public largement acquis à sa cause.
C’est vrai que « sous » Bruno Le Maire, l’économie française a remonté la pente. La pente industrielle mais aussi la pente de l’attractivité, alors que notre pays est devenu depuis 2017 le plus attractif d’Europe pour les investissements étrangers.
La loi PACTE, promulguée en mai 2019, c’est aussi Bruno Le Maire et l’équipe de députés qui a poussé vers la dynamique de revitalisation du tissu productif français derrière Olivia Grégoire ou encore Roland Lescure, à l’époque président de la commission des affaires économiques de l’Assemblée.
Il y a une autre chose dont le grand argentier du gouvernement est encore fier : en sept ans, les impôts (pour les entreprises et les particuliers) auront reflué de 55 milliards d’euros…ce qui n’empêche pas notre pays de figurer parmi les économies développées sur le podium international de la pression fiscale aujourd’hui encore.
Dans la cour de l’hôtel des ministres ce matin, légèrement chahutée par le vent et des nuages qu’il lègue à son successeur, Bruno Le Maire aura remercié tous ceux qui lui auront fait confiance (le président de la République et ses Premiers ministres) ou l’auront loyalement servi : son équipe ministérielle rapprochée, ses trois directeurs de cabinet successifs, les parlementaires et toutes les administrations de Bercy auxquelles il a rendu un hommage vibrant pour leur engagement au quotidien. Y compris et surtout dans les moments les plus difficiles.
Et en sept ans, il faut bien reconnaître que Bruno Le Maire aura traversé des épreuves. Tant d’épreuves. Il n’hésite d’ailleurs pas à faire de la pandémie de Covid-19 celle qui aura été la plus marquante. L’occasion aussi de rappeler que le « quoi qu’il en coûte » de l’époque a permis de sauver des commerces, des entreprises, des salariés grâce à l’arsenal de mesures que son ministère aura su imaginer et mettre en œuvre en quelques semaines seulement, du « PGE » au « chômage partiel ».
Bruno Le Maire le dit et le répète volontiers : il n’est pas un nostalgique.
Son regard est résolument tourné vers l’avenir.
Le sien, mais aussi et surtout celui de la France.
L’ancien collaborateur et ministre de Jacques Chirac exhorte désormais le gouvernement de Michel Barnier et l’équipe gouvernementale qui va prochainement s’installer de surtout « ne pas revenir en arrière ». Ce spectre du retour en arrière semble son ultime peur…
Bruno Le Maire l’assure : à titre personnel, il part sereinement. Après plusieurs décennies en politique, il revient vers ses premières amours : l’enseignement. Non pas, comme à ses débuts professionnels, en lettres. Mais en économie et en géopolitique. Direction Lausanne (Suisse), sans qu’il faille interpréter cette expatriation universitaire de façon inconvenante.
La page politique est-elle tournée pour autant pour l’auteur de « La voie française » (Flammarion, avril 2024) qui voulait il y a quelques semaines encore « affirmer la France, bâtir une économie innovante capable de financer notre modèle social, de défendre nos intérêts industriels et climatiques et de réduire la dette » ?
Rien n’est moins sûr.
Bruno Le Maire croit encore en son for intérieur à un destin national. Au-delà de l’économie et des finances. Il en a toutes les qualités. En aura-t-il bientôt l’opportunité politique ?