Il faut toujours revenir aux sources, surtout dans les moments de crise, pour trouver une issue et à nouveau les sentiers de l’espoir…
Puisque c’est le général de Gaulle qui a allumé la flamme politique du jeune Michel Barnier (il adhéra dès son adolescence à l’UDR, le parti gaulliste), l’homme de la Savoie fut certainement témoin, ou observateur attentif, de la crise de mai 68. Peut-être se souvient-il du discours radiophonique du 24 mai 1968 où le président de la République affirma aux Français la « nécessité d’une mutation de la société française » et appela à une « participation plus effective de chacun à la marche et au résultat de l’activité qui le concerne directement », dans l’université, l’entreprise et les régions, lesquelles devraient pouvoir organiser « les activités industrielles et agricoles ». Un discours prémonitoire mais trop avant-gardiste pour l’époque qui aboutira, on le sait, au NON des Français lors du référendum sur la régionalisation et la rénovation du Sénat le 27 avril 1969.
Un demi-siècle plus tard, c’est Michel Barnier qui est aux commandes de la France.
Depuis la dissolution prononcée hâtivement par le président de la République, l’éruption volcanique emporte tout sur son passage. Mais c’est peut-être au plus fort de l’abîme que l’homme, qu’on espère providentiel, saura trouver les voies du consensus pour sortir la France de ses ornières.
Michel Barnier est peut-être justement la personnalité la plus apte à faire éclore une nouvelle règle du jeu politique gouvernée d’abord par l’esprit d’innovation et de compromis. La méthode Barnier. Avec le succès qu’on lui a connu dans ses responsabilités européennes.
Oui, mais pour quoi faire ? À quelles mesures fédératrices le nouvel homme fort du gouvernement peut-il embarquer les forces vives du pays, à commencer par une majorité relative de parlementaires, pour transformer en une opportunité politique pour la France ces mois et ces années de transition d’ici 2027 ?
Trois pistes d’action peuvent apparaître comme autant de boussoles pour permettre à Michel Barnier de donner un nouveau cap au navire France.
La première : il n’y a plus un sou dans les caisses de l’État et cette situation en apparence uniquement inconfortable, au moment de préparer les arbitrages sur le budget 2025, doit être précisément l’occasion pour lui et son gouvernement de nourrir une absolue créativité et un changement complet de méthode.
Le nouveau locataire de Matignon le sait bien : soit il amorce une décrue considérable de la dépense publique, soit il sera pressé de toutes parts d’augmenter les impôts. De quoi ne plus rien s’interdire quand on prépare un projet de loi de finances (PLF) sous la triple pression de Bruxelles (après son engagement contre la France d’une procédure pour déficit excessif), des marchés (qui à tout moment pourraient décider de contester la soutenabilité de l’endettement public hexagonal, surtout les quatre grandes agences de notation qui vont évaluer la France entre mi-septembre et novembre) et de tous ceux qui ont de bonnes raisons de réclamer toujours un peu plus d’argent public : Éducation nationale, Santé, Armée, Écologie…
Oser dégrossir intelligemment le mammouth
Mon premier appel à notre Premier ministre concerne évidemment la préparation du budget 2025 de l’État et de la Sécurité sociale. La priorité, c’est de résister au coup de rabot universel, aussi aléatoire dans son résultat qu’un joueur amateur, qui lancerait au hasard une bille sur le tapis vert en espérant qu’elle retombe sur la case gagnante. Et de privilégier un travail de fond qui passera, certes par le grignotage nécessaire des plus grosses « niches fiscales », mais surtout par la construction d’un projet raisonné de baisse des effectifs de l’État et des collectivités locales, en organisant le développement des compétences d’avenir de ses agents (numérique, transition écologique…) et leur transfert vers le secteur privé, à la recherche de nouveaux profils pour préparer les grandes transformations technologiques et environnementales. Gain à terme : au moins 13 milliards d’euros par an pour 250 000 agents publics formés et réinstallés dans les différentes filières de l’économie française.
Partager la valeur
La seconde ligne directrice : le redressement de l’économie française. Si Michel Barnier – à qui l’on ne peut pas intenter de procès a priori en ce domaine- entend poursuivre la politique dite de l’offre, il ne pourra y parvenir que si non seulement il parvient à éviter un nouvel hiver fiscal aux entreprises (et aux ménages) mais s’il réussit à installer aussi un nouveau modèle productif combinant mieux les exigences de compétitivité et d’innovation -afin d’accélérer la réindustrialisation et le redressement du commerce extérieur- et de pouvoir d’achat, qui reste une préoccupation forte des Français après deux ans de forte inflation. Là encore, l’ombre du général de Gaulle planera sur son action !
Pour réussir cette combinaison subtile de l’efficacité et de la redistribution, le nouveau Premier ministre va devoir envoyer des gages clairs de son attachement – en principe incontestable- à un « gaullisme social » si inspirant à une époque où ce sont plutôt les options radicales qui paralysent l’initiative. En 2024, c’est en poussant la création de richesses à travers une politique d’investissement public et privé solide et tournée vers les technologies d’avenir et, dans un même mouvement, une meilleure répartition des richesses qu’on peut espérer réconcilier l’État et les partenaires sociaux autour d’une feuille de route ambitieuse économiquement et socialement.
J’appelle donc Michel Barnier à s’emparer pleinement de l’objectif d’un partage plus efficace et plus juste de la valeur ajoutée créée par les entreprises, et particulièrement les PME, en rendant les dispositifs d’intéressement, de participation et d’actionnariat salarié plus accessibles pour toutes les entreprises, et pas seulement aux seuls grands groupes.
A partir du 1er janvier prochain, la loi sur le partage de la valeur, qu’il faudra faire connaître à tous les acteurs économiques et sociaux concernés, élargit ces dispositifs d’intéressement des salariés jusqu’aux PME de moins de 50 salariés. Voilà une bien belle opportunité pour la méthode Barnier et les valeurs gaullistes les plus profondes d’améliorer la vie des Français, comme s’y est engagé le chef du gouvernement dès sa prise de fonction.
Une grande phase de décentralisation
Enfin, si Michel Barnier entend nourrir un espoir raisonnable de réformer le pays dans le contexte inédit d’une majorité introuvable à l’Assemblée, il ne pourra le faire – c’est la troisième certitude– qu’en réconciliant les Français. En créant de nouveau les conditions d’un lien social fort, qui rende la fierté d’appartenance à la nation et le sentiment pour chacun de pouvoir jouer un rôle dans cette filiation et cette unité nationale, indéfectible. On sait que la France est devenue un « archipel ». Que les divisions et les séparatismes aussi insidieux que dangereux alimentent défiance et rancœur chez beaucoup de nos compatriotes, au point qu’ils s’interrogent aujourd’hui sur ce qu’ils pourraient bien partager ensemble.
Si Paris 2024 a constitué cette « parenthèse enchantée » dont beaucoup d’observateurs ont parlé et dont les Français avaient besoin, je veux dire au nouveau chef du gouvernement que c’est dans la proximité que les réconciliations pourront s’opérer. Et dans elle seule. Et que ce sont par conséquent dans les territoires que les solidarités pourront continuer de s’épanouir et même de s’intensifier.
Un gouvernement soucieux de recréer un contrat social, économique et écologique réel avec et entre les Français, c’est un gouvernement qui n’hésitera pas à ouvrir un nouvel acte de décentralisation. Un acte qui simplifiera encore les compétences et reviendra sur les enchevêtrements coûteux de prérogatives que le rapport parlementaire d’Éric Woerth pointait il y a quelques mois à peine.
Un acte qui s’attaquera pleinement aux déserts sanitaires et sociaux.
Un acte qui aura à cœur de rétablir un dialogue de confiance entre l’État et les différents échelons territoriaux simplifiés.
Michel Barnier n’a peut-être que dix mois devant lui. Mais sa méthode lui permettra sans doute de tenir les rênes de la France jusqu’à 2027, dans le plus grand intérêt des Français !
Pour emporter l’adhésion, son discours de politique générale devra éclairer les parlementaires sur la voie et la méthode qu’il entend suivre pour répondre aux problèmes concrets des Français et en leur redonnant l’espoir d’éteindre le volcan.
François Perret*
Ancien élève de l’ENA (promotion Robert Badinter)
*François Perret, haut-fonctionnaire et économiste, est un ancien conseiller ministériel au ministère de l’Économie et des Finances. Directeur général de Pacte PME depuis 2015, il est également professeur affilié à l’ESCP Business School. Il a été chargé par le gouvernement d’une mission sur le partage de la valeur pendant cinq ans (2019-2024). Il est également vice-président du Think Tank Étienne Marcel et membre de la Société d’économie politique depuis 2021.
François Perret
Ancien élève de l’ENA (promotion Robert Badinter)
François Perret, haut-fonctionnaire et économiste, est un ancien conseiller ministériel au ministère de l’Économie et des Finances. Directeur général de Pacte PME depuis 2015, il est également professeur affilié à l’ESCP Business School. Il a été chargé par le gouvernement d’une mission sur le partage de la valeur pendant cinq ans (2019-2024). Il est également vice-président du Think Tank Étienne Marcel et membre de la Société d’économie politique depuis 2021.