La chronique de Patrick Pilcer
17H37 - lundi 16 septembre 2024

La rupture que doit entamer Michel Barnier doit être une véritable révolte contre la lenteur ! La chronique de Patrick Pilcer

 

Le nouveau Premier Ministre est en train de mettre en place son équipe et d’imposer sa méthode, une méthode qui allie écoute, recherche de consensus et prise de décision. Il affirme vouloir une rupture avec la gouvernance précédente, mais quelle rupture attendent les Français ? quelle différence réelle peut-il installer à Matignon et au gouvernement ? et surtout comment prendre en compte les attentes nombreuses de nos concitoyens en ces temps troublés ?

Commençons par nous poser une question : qu’est-ce qui séduit autant une bonne partie des Français dans les propos des partis extrémistes, et les détourne du vote vers les Partis « Raisonnables » ?

Au-delà du Yakafocon, de la simplification à l’extrême des analyses de situation économique ou géopolitique, de la manipulation des haines et des esprits, au-delà de l’utilisation de la baisse du niveau scolaire, et donc de culture générale, de notre pays, au-delà de la recherche permanente d’un bouc-émissaire, il y a, me semble-t-il, une Révolte contre la lenteur qui amène la jeunesse, mais les moins jeunes aussi, à protester contre les politiques en place et à exiger une autre gouvernance, une autre manière d’administrer le pays.

Révolte contre la lenteur, cela fait référence bien sûr à ce bref essai de Stefan Zweig, au tout début des années 1930. Deux mois avant ce fameux texte, les nationaux socialistes sont passés de quelques députés à 107 sièges au Reichstag, avec plus de 6 millions de voix ! Une situation qui fait écho à notre propre situation.

Quelle est l’analyse de Zweig sur cette déflagration majeure de la scène politique allemande : « … une révolte de la jeunesse, une révolte – peut-être pas très habile mais finalement naturelle et tout à fait à encourager- contre la lenteur et l’indécision de la « haute » politique » (…)  Le rythme d’une nouvelle génération se révolte contre celui du passé ».

On sait où cette « révolte » a mené l’Allemagne et l’Europe. Cette révolte mais surtout l’absence de prise en compte par la « haute politique » des nouvelles attentes de ses concitoyens !

La France en est peut-être là aussi, en 2024. Nos jeunes, mais tous les Français en fait, vivent au rythme de l’immédiateté. Le moindre typhon à Shangaï est vécu en direct dans le fin fond du Cantal. Mais surtout, le moindre besoin matériel peut être comblé dans les 24 heures. On souhaite une information, un livre, un objet, un repas, une mise en contact. Il suffit de prendre son téléphone et on assouvit notre attente en deux temps trois mouvements. Tout est immédiat.

Par contre, quand nos concitoyens souhaitent refaire une pièce d’identité, un passeport, une carte de séjour, tout est lent, il leur faut 3 à 6 mois ! S’ils veulent un permis de construire ou signer un acte de vente, tout est lent ! S’ils attendent une décision de justice, il leur faut compter en années ! Kafka a été naturalisé français par notre Administration…

Il y a un gouffre abyssal à présent entre la façon dont les Français vivent leur vie quotidienne et leur rapport à l’Administration, à l’Etat.

Les Français ne comprennent plus pourquoi des OQTF sont encore sur notre territoire, plusieurs mois ou années après une décision de justice. Ils ne comprennent pas plus pourquoi leur demande de logement en HLM, dûment validée par les autorités en charge, ne débouche toujours pas des mois plus tard. Et je pourrais parler des places en crèche, en école, de l’attente aux urgences d’un hôpital, etc… Tout ce qui touche à l’Administration, aux Services Publics en général, est lent ; les Français sont en Révolte contre cette lenteur, et par ricochet contre ceux qui gouvernent notre administration.

Face aux partis de gouvernement, il y a les extrémistes qui eux promettent des solutions simples et rapides à tous les problèmes. On met les étrangers illégaux dehors, demain, on augmente le smic à 1600€ de suite, on résout les problèmes d’insécurité d’un coup de baguette magique, on construit en un claquement de doigt, on déshabille Paul pour habiller Pierre, tout est immédiat. Démagogie quand tu nous tiens…

Bien sûr les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent, et une fois élus, ces extrémistes se heurteront au mur de la réalité, mais ce refus de la lenteur, cette révolte contre la lenteur, sont entendus par ces démagogues et ils les utilisent habilement dans leurs propos et leurs ébauches de solution.

Dans le même temps, les Partis de gouvernement semblent rester sourds et aveugles. Pire, ils multiplient encore et encore les lois et règlements, empilent les normes, et retardent de facto toute recherche de solution. C’est comme s’ils sombraient dans l’éloge de la lenteur.

Si Michel Barnier veut créer une véritable rupture, c’est certainement en prenant en compte ce rejet de la lenteur qu’il pourra y parvenir. La tâche du prochain gouvernement, et des suivants, au vu de la fragilité de toute majorité relative à l’Assemblée, est là : réformer l’Etat, moderniser, optimiser l’Administration, faire entrer tous nos Services Publics dans l’ère de l’Intelligence Artificielle. Une autre façon aussi de réduire nos dépenses publiques. Il nous faut absolument une Administration 3.0.

A l’époque de « l’Homme augmenté », Barnier doit opter pour la rupture et créer un « Etat augmenté » !

 

Patrick Pilcer
Conseil et expert sur les marchés financiers, président de Pilcer & Associés, Chroniqueur Opinion Internationale

Président de Pilcer & Associés, conseil et expert sur les marchés financiers
Patrick Pilcer, Président de Pilcer & Associés, conseil et expert sur les marchés financiers